Texte de Zheng Churan ( Da Tu) paru sur la page Facebook « Free Chinese Feminists » le 18 janvier dernier.
Depuis 2012, mes amis activistes féministes et moi avons été impliquées dans de nombreuses campagnes prônant un changement de politique et une éducation publique sur des thèmes comme le combat contre les violences sexuelles et les discriminations au travail et la défense les droits des femmes et des enfants à accéder à l’éducation et à l’espace public. De 2012 à 2014, ces activités ont été largement couvertes par les principaux médias. Grace à cette couverture médiatique et à la pression de nos actions en justice , les services gouvernementaux n’ont eu d’autres choix que de commencer à améliorer certaines politiques publiques.
Toutefois, à partir de la fin 2014, nous avons commencé à progressivement sentir que l’espace pour nos actions était en train de se refermer. Les médias ont cessé de couvrir le mouvement féministe et plusieurs actions ont été directement empêchées par les autorités de sécurité. Le 7 mars 2015, à la veille de la journée internationale des femmes, plusieurs activistes féministes et moi, nous préparions à distribuer des tracts contre le harcèlement dans les transports publics, à la sortie du métro et des stations de bus. Nous espérions ainsi impliquer dans notre action des usagers des transports. Néanmoins, avant même le commencement de l’action, cinq d’entre nous furent arrêtées par le Ministère de la sécurité publique de Pékin pour « provocation de troubles à l’ordre publique ». Après 37 jours, quand le bureau du procureur a refusé d’approuver notre arrestation, nous avons été relâchées dans l’attente des résultats d’une enquête plus approfondie.
Après ma sortie de détention, l’organisation de défense des droits des femmes, auquel j’appartenais, a été obligée de cesser ses activités. J’ai vivement ressentie la fermeture de l’espace politique et il est devenu impossible pour les activistes féministes de descendre dans les rues et de manifester publiquement ou de faire des « performances artistiques » pour exprimer nos revendications. En dehors d’internet, toutes sortes de méthodes ont été utilisées pour interdire toute activité qui réunirait des gens publiquement pour appeler au changement. Sur le web, les discussions et les articles ne parvenaient que rarement à échapper à la censure. Quant à moi, j’étais régulièrement convoquée par la police pour des interrogatoires et je devais signaler mes activités quotidiennes.
Quoique l’atmosphère générale soit devenue extrêmement tendue, les activistes ont continué à combattre les discriminations de genre de toutes les manières possibles. Aujourd’hui je voudrais parler d’un exemple récent de campagne contre le harcèlement sexuel menée à Guangzhou, qui s’est propagée ensuite à travers le pays, partager quelques expériences générales des activistes féministes chinoises et présenter mes trois concepts principaux concernant cette forme d’activisme.
Après l’affaire des « Feminist five », beaucoup d’activistes ont continué à débattre de comment maintenir vivant le mouvement contre le harcèlement sexuel. Nous avons continué à espérer que le département des transports prendrait des mesures préventives dans le métro, en publiant, par exemple, des annonces officielles contre le harcèlement. Néanmoins, le département des transports n’a pas levé le petit doigt. (…) ( NDT : Nous omettons ici un passage concernant la campagne d’affichage dans le métro de Guangzhou,qui a déjà été évoqué dans deux textes publiés sur ce blog).
Pourquoi n’était-il pas possible d’afficher une simple annonce s’opposant au harcèlement ? Ces dernières années, le mouvement féministe a réuni un grand nombre de jeunes activistes qui ont collectivement fait pression sur les autorités publiques pour qu’elles répondent aux problèmes de discrimination de genre. D’un côté, ce genre d’efforts, pour en appeler à la responsabilité du gouvernement, a mis une pression certaine sur les départements concernés, qui n’ont eu d’autres choix que de répondre aux revendications mis en avant par les citoyennes ; d’un autre côté, la mobilisation des féministes chinoises et leur appel à restructurer la société et abattre le patriarcat menace directement l’effort du gouvernement pour diriger le pays tout en maintenant la stabilité. De ce point de vue, il n’est pas compliqué de comprendre pourquoi il était impossible de procéder à cet affichage.
Nous avons trouvé néanmoins une autre manière d’avancer. La photo qui orne cet article est celle d’une membre du « groupe F », qui en mars 2017 a lancé la campagne des « femmes-sandwich contre le harcèlement ». Elle a déclaré publiquement qu’elle allait pendant un mois porter personnellement l’affiche que le département des transports de Guangzhou avait refusé de publier. Dans le même temps, elle a recruté 100 autres personnes à travers le pays pour faire la même chose et devenir des « panneaux d’affichages mobiles contre le harcèlement sexuel. »
Pendant tout ce mois de mars, Zhang Leilei a porté le panneau sur elle à chaque fois qu’elle sortait dehors, i-compris lorsqu’elle prenait les transports publics, qu’elle allait au restaurant ou au karaoké. Même la fois où elle a été renversé par un motard, le panneau est resté fermement attaché à son corps et a été projeté à terre avec elle. Puisqu’aucun média ne parlait de ce mouvement, la campagne dépendait entièrement de la circulation de l’information sur les réseaux sociaux. En l’espace de deux jours, plus de 100 personnes provenant de 23 villes différentes ont répondu à ses posts, ont imprimé des copies de l’affiche et se les sont attachés dessus lorsqu’ils sortaient dehors. Parfois, ils ont fait signer des pétitions de soutien aux passants ou leur ont fait répondre à des questionnaires. Certains ont même commencé des lectures publiques impromptues sur le harcèlement sexuel au coin des rues.
La réussite des cette action est une démonstration de la validité de deux thèses très importantes du mouvement féministe aujourd’hui en Chine : l’action directe et la mobilisation sociale.
L’action directe fait référence aux actions que nous entreprenons par nous-mêmes pour trouver des moyens créatifs d’affronter une injustice plutôt que d’attendre que le système change par lui-même. Zhang Leilei n’a pas attendu que la publication des affiches anti-harcèlement soit autorisée, elle a utilisé son propre corps pour faire passer son message.
Pour ce qui est de la mobilisation sociale, ce concept signifie qu’il faut reconnaître que ce ne sont pas que les experts et les officiels gouvernementaux qui ont les compétences nécessaires pour discuter de ces sujets. Tout le monde peut s’impliquer dans l’action et c’est notre responsabilité de mobiliser cette force sociale. (…) (passage sur l’usage des réseaux sociaux)
Le mouvement des « femmes-sandwich » lancé par Zhang Leilei a été rapidement attaqué. La police est venue chez elle et lui a dit d’arrêter ses actions. Ils lui ont aussi demandé de quitter Guangzhou à l’occasion de la conférence internationale sur la croissance économique, qui s’est tenue dans la ville en décembre. Peu de temps après, on a demandé la même chose à une autre activiste féministe et moi-même. La police a pris contact avec le propriétaire de notre logement et a demandé à ce qu’il nous expulse. C’est loin d’être la première fois que les féministes de Guangzhou sont obligées de déménager. Zhang Leilei a été expulsée 4 fois ces six derniers mois ; j’ai été obligé pour ma part de déménager deux fois. A chaque fois que nous sommes obligées de quitter notre appartement, nous l’annonçons sur internet et nous expliquons au public pourquoi nous subissons de telles pressions. Et nous rappelons à tous que ces d’actions sont illégales, car, en Chine, il n’existe pas de loi ou de politique autorisant la police à maintenir l’ordre par des expulsions. Néanmoins, tous les posts concernant nos expulsions sont censurés et supprimés dans la journée. Le contrôle des échanges sur internet se renforce continuellement.
Dans un tel environnement, nous nous sentons parfois impuissantes et déprimées. Néanmoins, les trois principes de base de l’activisme féministe nous encouragent à aller de l’avant et à ne pas abandonner tout espoir. Nous rejetons le défaitisme. Parfois quand les gens font face à un traitement injuste ils vont inconsciemment transmettre un sentiment de désarroi, l’impression que le gouvernement est tout simplement trop fort et quoique fassent les personnes ordinaires, cela ne servira à rien. Nous pensons néanmoins que l’espace et les opportunités pour l’activisme ne sont pas des choses fixées mais dépendent des activistes eux-mêmes et de leur capacité à ouvrir et explorer de nouveaux champs. Comme Zhang Leilei, nous devons regarder au-delà de cet environnement restrictif et trouver de nouveaux modèles pour la mobilisation sociale.
Quand nous avons fait face à la dernière phase d’expulsions, nous nous sommes demandées comment utiliser cette opportunité pour créer plus de liens avec notre communauté et inspirer plus de discussions sur les problèmes que nous rencontrons. Nous avons donc décidé d’annoncer sur internet : « Nous sommes expulsées et nous organisons une fête de départ, rejoignez-nous ! »
Suite à l’affaire des « Feminist Five », toute la société chinoise a connu un resserrement du contrôle et il semblerait que le mouvement féministe soit dans une sorte d’impasse. Néanmoins, ces trois concepts ( action directe, mobilisation sociale et rejet du défaitisme) nous aide à chercher de nouvelles voies pour défendre les droits des femmes et nous encourage à ne pas laisser tomber l’activisme et à continuer de lutter pour une société plus juste.
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