Deux autres « disparues » (II) : Sun Min

Parmi les personnes « arrêtées » les 9 et 11 novembre, il y a Sun Min, une diplômée de l’université de Pékin investie depuis de nombreuses années dans les luttes féministes et le soutien aux travailleurs. Nous publions ici la traduction ( depuis celle donnée sur le site du China Digital Times) d’un texte écrit à son sujet par Zheng Churan, l’une des « Feminist Five ».

Mon idole a disparu.

J’ai bien du mal à écrire ces quelques lignes. Il est assez simple de dire à tous que Sun Min est mon idole, mais d’expliquer pourquoi elle manque, cela nécessite que je me plonge dans mon ancienne vie. Je ne sais vraiment pas quel type de langage est à la hauteur de la tâche de décrire ce qu’on ressent quand quelqu’un que l’on aime vient juste de disparaître. C’est comme lorsque j’ai moi même disparue ( lors de l’arrestation des « Feminist Five » en 2015 ndt). Mes camarades ont d’abord dû laisser couler leurs larmes avant de passer aux mots.
J’ai consacré Sun Min comme mon idole bien avant de la rencontrer réellement. C’était un jour de l’hiver 2012. Je m’étais rendue dans une zone industrielle pour une discussion sur le féminisme avec des travailleurs. A l’époque je ne comprenais rien aux classes et au travail. La discussion a porté sur l’activité de mon groupe de défense des droits des femmes: nous avons parlé de la lutte contre la violence domestique et de discrimination sexuelle.
Une « grande soeur », ayant repéré notre groupe de travailleurs, avait saisi mon épaule gauche avec enthousiasme et dit d’une voix joyeuse : «  Sun Min tu es de retour ? » Je me suis retournée, embarrassée, et ai demandé «  Qui est Sun Min ? »
La grande soeur eut un hoquet de surprise «  Je pensais que tu étais Sun Min ! Tu es son portrait craché, vraiment ! »
Nous avons bien ri à ce sujet. Je me suis dit que ma jumelle Sun Min devait être bien populaire tant la « grande soeur » semblait heureuse de la voir. Après avoir écouté la discussion sur la violence domestique et la discrimination sexuelle, un travailleur a levé la main pour poser une question.
J’en ai assez des spectateurs masculins qui font des problèmes et posent des questions biaisées. Je deviens toujours un peu apathique quand on en vient aux déclarations des hommes. Mais à ma grande surprise, le gars a posé une question très profonde concernant le féminisme. Il a en effet demandé quelles améliorations de la «Loi sur la protection du personnel féminin» il fallait défendre. Il a poursuivi en soulevant les problèmes qu’il avait rencontré pour faire face à la violence domestique dans son entourage et les obstructions qu’il avait connu pour l’empêcher de signaler des incidents dues à celles-ci…
« He bien ! Ces hommes sont vraiment évolués ! » me suis-je dit. A l’époque je ne pouvais pas comprendre que des hommes conscients des questions de genre pouvaient exister dans ces zones industrielles glauques. D’ou venaient-ils ? Avaient-ils été transplantés là ? Il y avait-il des graines d’une telle attitude ?
J’ai fait part de cette découverte à une amie, ouvrière dans le coin. J’ai poussé un soupir d’étonnement : « le terrain local doit être très bon ! »Elle m’a regardé comme si j’étais une idiote: «  Tu penses vraiment que ces gars pourraient se préoccuper des questions de genre naturellement. ? Tout cela c’est grâce à l’influence de Sun Min. »
Cette Sun Min, après avoir obtenu son diplôme de deuxième cycle en études des femmes à l’université de Pékin, s’était constamment tenue aux côté des ouvriers des zones industrielle. Puisque la proportion d’hommes dans cette zone était élevée, elle interpellait chaque jour des ouvriers, s’accroupissait à côté des stands de nourriture et en buvant de la bière les sensibilisait méticuleusement et par petites touches à l’égalité des sexes et au droit du travail. C’est pourquoi des années plus tard, je voyais des hommes aussi éclairés, soutenant le droit des femmes dans la zone industrielle.
C’était très difficile pour une misanthrope telle que moi, d’imaginer comment Sun Min pouvait, années après années, jour après jour, aller discuter de classe et de genre avec chaque ouvrier, un par un. C’était un travail exigeant, la conquête consciencieuse des coeurs et des esprits. Cela supposait vraisemblablement beaucoup de patience et de ferveur.
C’est ainsi que j’en suis venu à considérer Sun Min comme l’une de mes idoles. J’espérais égaler sa force et son assiduité à défendre l’idéal féministe.
Je l’ai finalement rencontré, tout à fait par accident. Bien sûr, ses lunettes à monture rouge étaient pareilles aux miennes. Tout le monde a dit qu’on se ressemblait. La différence était qu’elle s’habillait de façon très banale, comme si elle ne s’était jamais préoccupée de faire correspondre les habits et qu’elle avait simplement mis un t-shirt sur pantalon de randonnée à séchage rapide acheté dans un magasin de fournitures de plein air. Ses cheveux courts, légèrement dorés étaient coupés courts de façon à révéler ses oreilles et son front. Ses yeux scrupuleux vous regardaient avec une grande concentration. Sur un ton sérieux, elle a dit «  Salut Datu, moi aussi je suis féministe ! »
Nous avons tout de suite discuté comme si nous étions des amis proches qui ne s’étaient pas vus depuis des centaines d’années. Peut-être que d’autres ne pouvaient pas nous comprendre alors que nous parlions et rions comme des cochons. Sun Min n’était pas le genre de fille coquette. Elle passait son temps à étudier et à agir. Encore étudiante en première année à l’Université des femmes de Chine, elle a rejoint les trois groupes sur le campus qui s’occupaient des questions rurales. Chaque semaine, ils se rendaient dans un village du périmètre de Pékin pour donner des cours aux enfants des travailleurs migrants, dans le cadre d’un programme éducatif pour les zones sous-développées. Dans le vaste Pékin, ces allers-retours prenaient au moins deux heures, mais Sun Min ne pouvait pas oublier à quel point les enfants étaient mignons. Beaucoup de parents ouvriers étaient trop occupés à soutenir leurs familles pour prendre soin de leurs enfants. Cela désolait particulièrement Sun Min. Elle passait beaucoup de temps sur ces questions.
Ses recherches sur les femmes ont porté sur les travailleuses migrantes. Les ouvrières qu’elle rencontrait sur le terrain, sortant du lycée pour aller directement travailler en usine, lui rappelait ses amis proches: forcées de mettre fin à leurs études, obligées de travailler dans des usines et d’envoyer de l’argent à la maison. Elle nous a raconté une fois un incident dont elle a été témoin lors d’une réunion matinale dans une usine. Le patron a hurlé toute sorte d’insultes à ses travailleurs, sa bouche dilatée comme un anus pulvérisant des excréments. Mais les gens ne pouvaient que baisser la tête. Ils ne pouvaient pas répliquer, ils devaient simplement endurer ces violences verbales . Sun Min nous a dit qu’elle était tellement en colère qu’elle a pleuré. Elle ne pouvait pas s’arrêter à la recherche. Elle devait faire quelque chose pour remédier à ces injustices.
Sun Min était tellement pleine d’une ardeur vertueuse que j’avais parfois l’impression qu’elle était comme ces héroïnes modèles des opéras de l’époque de la révolution culturelle. Mais j’ai surtout trouvé Sun Min particulièrement humaine et intéressante, et, de plus, son style de féminisme était unique. Par exemple, elle m’a raconté le moment où sa classe était sur le point de partir en excursion, et les garçons avaient une destination en tête. Elle était en désaccord, affirmant qu’elle ne voulait pas y aller. Elle a senti que les garçons étaient trop autoritaires, n’écoutant pas les souhaits de leurs camarades de classe. Elle a donc convaincu tout le monde de se passer du voyage et laisser les garçons jouer seuls. Il y eut un départ en mauvais termes, mais, me dit-elle soudainement et sérieusement, à la fin tout fut pour le mieux: la destination initiale a été le lieu d’une inondation ou d’un tremblement de terre. Étonnamment, le méprisable chauvinisme masculin leur avait sauvé la vie. Nous avons tous les deux ri. Cette interprétation des événements était tout à fait politiquement incorrecte, mais aussi très vraie.
Elle racontait toujours des blagues incroyables d’un point de vue matérialiste. Pendant ses années dans la zone industrielle, elle avait souvent des problèmes d’estomac. Discutant avec travailleurs, elle sautait souvent les repas. Le temps libre des travailleurs étant souvent très restreint, elle devait donc souvent debout tard. Petit à petit, sa santé s’est détériorée. Elle portait un maigre cardigan, même en été, pour ne pas attraper un rhume. Tout le monde la pressait de faire attention à sa santé et de pas mourir prématurément. Mais elle répondait en se moquant elle-même: «Vivre jusqu’à cinquante ou soixante serait très bien. L’important est la valeur de la vie. «
J’ai toujours imaginé que si elle avait vécu à l’époque révolutionnaire, elle aurait sûrement été une héroïne, portant une épée et prête à tout pour débarrasser le peuple d’un fléau. Elle aimait Qiu Jin, le révolutionnaire anti-Qing. Lors d’un festival de printemps, afin d’éviter que les sollicitations répétées de sa famille pour qu’elle se marrie, elle s’est enfuie. Le jour de l’An, elle était à Hangzhou, sur une rive du lac ouest. Sur la tombe de Qiu Jin, elle a chanté «Luttons pour le droit des femmes » . ”Nous aimons la liberté, nous buvons une coupe de vin pour la liberté. Et elle brandissait une épée, en disant librement et naturellement: «n’aime pas les habits rouges du mariage rouge, aime les armes militaires . »
Bien sûr, aux yeux de beaucoup de gens, des personnes comme elle, débordants d’idéalisme et de ferveur, sont toujours un peu bizarres ou naïfs: quand elle ne pouvait pas dormir, elle chantait vigoureusement «Che Guevara. « Elle adorait photographier des paysages qui s’harmonisaient avec les mots du président Mao. «Attendez que les fleurs de montagne brillantes soient en pleine floraison». Quand elle lisait quelque chose d’excitant, elle le partagerait avec vous sur WeChat, des choses comme «La liberté a des attributs de classe»… Ce genre de passion semble dépassée, inadaptée au courant dominant, mais elle est pourtant rare et précieuse. Quelqu’un qui pouvait être si naturel et si débridée, tout en faisant toujours ce travail méticuleux de plaidoyer pour l’égalité des sexes et les droits des femmes, doit sûrement être dans son cœur plein de bonne volonté envers l’humanité quelqu’un qui ne pourrait jamais perdre espoir dans l’avenir.
Si proche du peuple, cette héroïne a pourtant récemment disparu. Selon les informations qui circulent c’est à cause de son soutien aux droits des travailleurs et aux causes étudiantes que la police l’a emmené. Mais pour l’instant, nous ne savons pas où elle a été emmenée ni ce dont elle a été accusée. De nombreux étudiants impliqués dans les luttes pour les droits des travailleurs ont disparus. J’ignore à quel type de traitement terrible ils vont être confrontés. Il est difficile de comprendre ceux qui les ont arrêtés (ou peut-être délibérément, ne veulent-ils pas être compris ?). Ces étudiants poursuivent des idéaux de justice et d’équité. Ils ne peuvent être perçu par les autorités que comme très stupides ou naïfs, ou alors peut-être désœuvrés et prêts à semer le trouble. On leur demandera peut-être: cela ne suffit pas de bien vivre sa propre vie? Pourquoi diable défendre les droits des autres?
Mais bien sûr si ils se mêlent des affaires des autres c’est parce qu’ils sont comme l’héroïne Qiu Jin, doté de la même force intérieure, possédant le même espoir d’une époque de « fleurs de montagne lumineuses en pleine floraison. » Ils veulent que toute l’humanité soit libre et fraternelle. Ils ne pourraient jamais se contenter de mener une vie centrée sur leur seule satisfaction personnelle.
Si ces paroles sont criminelles, veuillez arrêter tous ceux qui espèrent un changement et un monde meilleur (plutôt que pire). Qu’en dites vous, vous qui ne pouvez tolérer les gens éclairées, la bonté ou le courage.
Où sont-ils maintenant, ces gens courageux et naïfs? Sont-ils sains et saufs? Quand mon idole reviendra-t-elle pour que nous puissions chanter et boire, et nous réjouir de cette vie brève ? Il fait froid désormais. Est-ce qu’elle porte assez de vêtements chauds? Est-ce qu’elle mange régulièrement? Est-ce qu’elle dort suffisamment? Sera-t-elle faussement accusée? Traitée injustement? Humiliée? Battue? Découragée par un tel acharnement ? Indépendamment de tout ce que je sais ou pourrais savoir, je ne peux pas oublier Sun Min. Je ne peux pas oublier regard sérieux, sa manière décontractée, dépareillée, modeste, ses cheveux coupés pour gagner du temps, quelqu’un qui au cours des 6 dernières années a parlé pour les femmes, pour leur donner plus de pouvoir, avec chaque mot qu’elle a prononcé.
J’espère que tu es saine et sauve.

Deux autres « disparues » (I) : Shen Mengyu

La répression continue contre les travailleurs de Jasic et leurs soutiens ( voir posts précédents). Ainsi les 9 et 11 novembre, 16 nouvelles arrestations ont eu lieue alors même qu’on est toujours sans nouvelles des personnes arrêtées au mois d’aout. Précisons que terme arrestation semble pour le moins impropre puisqu’il s’agit de kidnappings en bonne et due forme, ainsi Zhang Shengye un des étudiants les plus actifs dans la lutte, a été violemment emmené en pleine nuit sur le campus de l’université de Pékin selon le récit de ses camarades.
Le 11 aout déjà c’était Shen Mengyu qui avait été enlevée en pleine rue par des hommes de main probablement à la botte des autorités locales. On est sans nouvelles d’elle depuis. Nous publions ici la traduction du texte « autobiographique » rédigé par cette activiste et traduit en anglais sur le site Red Balloon solidarity. ( On trouve dans cette version de l’article de nombreuses photos illustrant le propos de Shen Mengyu). Nous évoquerons demain une autre « disparue » récente, Sun Min.

De diplômée de l’université Sun Yat Sen à travailleuse à la chaîne : je n’ai aucun regrets.

En juin 2015, j’ai obtenu mon diplôme de mathématique et d’informatique de l’université Sun-Yat-Sen. Mais contrairement à mes pairs, je n’ai pas choisi d’aller travailler dans les buildings de bureaux. J’ai choisi au contraire d’aller dans les districts industriels et de devenir ouvrière. Mon choix n’était pas basé sur une fantaisie soudaine ou un intérêt éphémère, mais était profondément inscrit dans mon expérience et ma compréhension de la situation actuelle des travailleurs et ma conviction qu’il faut que cette situation change. Pendant mes études à l’université Sun-Yat-Sen, plusieurs séminaires et discussions m’ont permis d’avoir un aperçu de la vie des travailleurs. J’ai vu des victimes d’accident de travail, écrasés sous la roue du développement économique et les travailleurs de Foxconn se jetant des toits, leur vie ne valant que peu de choses; j’ai étudié cette maladie professionnelle qu’on appelle silicose et qui fait vivre à ses victimes un enfer et aussi les intoxications au benzène, la leucémie et la surdité provoqué par le bruit sur les lieux de travail…
Les ouvriers travaillent sans relâche dans les villes et sans relâche la ville les écrase.
Un jour, j’assistai à une conférence organisé par le professeur de l’université de Pékin Lu Huilin sur la situation des travailleurs migrants. Pendant les questions du public, un étudiant a demandé «  Professeur Lu, les étudiants de l’université tels que nous sont-ils des bénéficiaires du système ? »
Bénéficiaires du système ?! Ces mots m’ont profondément peiné.
J’ai eu la chance de naître dans une famille de la classe moyenne et depuis l’enfance je n’ai jamais eu à m’inquiéter des nécessités de base de la vie. Avec l’accès à une éducation de qualité, mon avenir s’annonçait brillant. Mais avais-je à juste titre droit à tout cela ?
A ce moment là, je me suis examiné ainsi que cette classe remplie d’élèves aux perspectives illimités. J’ai commencé à réfléchir – réfléchir au 40 000 doigts brisés chaque année dans la zone du delta de la rivière des Perles et aux 280 millions de travailleurs migrants qui sacrifient leur jeunesse dans ces villes où ils ne sont pourtant pas autorisés à rester. (…)
Solidaire et concernée par la situation des travailleurs migrants, j’ai commencé à étudier le droit du travail. j’ai visité des zones industrielles, des villages urbains et des chantiers de construction pour en apprendre davantage sur leurs vies et leurs problèmes. Je suis allé sur un chantier de construction à côté de notre campus. Pendant une tempête, le garage souterrain dans lequel vivaient les ouvriers du bâtiment a été inondé. Les travailleurs étaient inquiets pour leurs vêtements et leur lits trempés, et ils étaient encore plus anxieux de ne pas pouvoir travailler ou gagner un salaire à cause des pluies. Je leur ai expliqué le droit du travail, mais la loi ne leur garantit pas un contrat de travail.
Je suis allé à l’usine Yue Yuen de Dongguan, qui est souvent qualifiée de «Foxconn de l’industrie de la chaussure».. Dans les dortoirs simples de l’ancienne usine, des « tantes » et des « oncles » me dirent qu’ils travaillaient ici depuis plus de dix ans, et que ce n’était que maintenant, à l’approche de la retraite, qu’ils découvraient que l’usine avait gravement sous-financé leurs prestations de sécurité sociale et leur fond de prévoyance logement.
J’étais en colère et choqué! Pourquoi la loi était-elle si inefficace? Pourquoi les travailleurs qui ont consacré leur jeunesse et toute leur vie [au développement économique] sont-ils laissés sans soutien dans leur vieillesse? Face à cette réalité cruelle, j’ai réalisé l’impuissance de la loi. Les travailleurs, nés pauvres, n’avaient d’autre choix que de mourir pauvres.
À l’été 2014, les travailleurs de l’assainissement du méga centre de l’enseignement supérieur de Guangzhou se sont mis en grève pour défendre leurs droits. Sur le piquet de grève, les travailleurs nous ont parlé de la malhonnêteté et de l’impudence de la société immobilière qui gère le site. Ceux-ci ont réduit les salaires et les primes des travailleurs, suspendu les paiements aux fonds de prévoyance pour le logement et la sécurité sociale, ont forcé les travailleurs à signer des contrats en blanc et ont tenté de se soustraire aux indemnités de licenciement légalement dues aux travailleurs. Les représentants des travailleurs qui ont demandé une réponse à la direction sur ces problèmes ont reçu en réponse des menaces, tandis que les managers tenaient des propos arrogants du type « C’est vrai, nous vous harcelons. » Face à tout ces traitements injustes à l’égard des travailleurs de l’assainissement, le département du travail et le gouvernement local ont détourné le regard comme s’ils n’avaient rien à voir avec eux. Des étudiants se sont battus et ont crié avec les travailleurs. Ils ont appris et ont été émus de la solidarité des travailleurs et de leur esprit combatif. Vingt jours plus tard, grâce à la collaboration entre étudiants et travailleurs, la grève a finalement réussi. Ce genre de victoire a apporté à la fois la dignité et des droits aux travailleurs et m’a également ouvert les yeux sur de nouvelles possibilités. Les travailleurs ne doivent pas être soumis à un traitement brutal et violent. J’ai donc décidé de rester avec travailleurs sur long terme, pour trouver un moyen de les aider à recouvrer la dignité et les droits qu’ils ont perdus.
Afin de continuer à me tenir au côté des travailleurs, j’ai décidé d’en devenir un. Après l’obtention de mon diplôme, je me suis installé dans la zone de développement économique et technologique de Guangzhou. C’est une zone où vous ne pouvez obtenir d’emploi que par l’intermédiaire d’agences d’intérim. Pour obtenir un emploi, vous devez d’abord payer des commissions à ces agences. Les agences décrivent toujours les entreprises sous un jour attirant, mais après avoir perçu leurs honoraires, elles laissent les candidats en calèche en leur disant que les entreprises ne recrutent pas pour le moment. Après avoir été ainsi trompée par deux agences d’intérim, j’ai finalement décroché un emploi à l’usine japonaise de pièces automobiles NHK Spring Precision et suis devenu un bonne ouvrière.
NHK produit principalement des ressorts utilisés dans les moteurs et les courroies de transmission de Dongfeng-Honda, Guangqi-Honda et Nissan. Après une brève formation, je suis entrée dans l’atelier pour la première fois. Le bruit des machines m’a fait mal aux tympans et une odeur de graisse m’a assaillie. La poussière métallique a rempli l’air. Les ouvriers étaient engagés dans une activité fébrile sur des bancs usés. Les signes d’avertissement concernant le benzène et les autres les produits chimiques utilisés dans l’usine étaient inquiétants à regarder. Les travailleurs portaient des masques jetables incapables de filtrer efficacement la poussière ou les gaz toxiques, certains travaillaient même sans masque.
C’est à quoi ressemble une usine de pièces autos ou l’on est «bien payé»! Les travailleurs récoltent soi-disant un «bon salaire» en échange de leur santé.
Après avoir travaillé pendant un certain temps, j’ai appris que beaucoup de mes collègues avaient développé une rhinite, une bronchite, des pertes auditive ou une diminution du nombre de globules blancs dans le sang à cause du travail à long terme dans de telles conditions. Il fait chaud dans les ateliers toute l’année et en mai, la chaleur devient difficile à supporter. Au plus fort de l’été, les températures supérieures à 35 degrés sont normales. Dans certaines parties de l’usine, la température atteint même les 50 degrés. Étant donné l’intensité du travail et la chaleur, même un masque fin rend la respiration difficile. Un masque plus épais serait absolument suffoquant.
Entre leur santé et leur emploi, les travailleurs ont choisi leur emploi. Ce genre de faux choix est la réalité quotidienne pour mes collègues et moi. Puisque notre salaire de base est trop bas, si nous devons choisir entre nous reposer le week-end et ne pas avoir de jours de repos, nous choisissons de renoncer à nos jours de repos !
Puisque le fait de signaler un accident professionnel implique des déductions sur le bonus annuel, si nous devons choisir entre défendre nos droits et recevoir toutes nos primes, nous choisissons de ne pas signaler nos accidents du travail!
Puisque les gestionnaires contrôlent nos évaluations annuelles, lorsque nous hésitons à acheter le sous-vêtement trop cher que vend le gérant, nous n’avons d’autre choix que de l’acheter!
Face aux réprimandes et aux humiliations des managers, si nous devons choisir entre riposter ou se soumettre, nous choisissons de subir l’humiliation en silence !
Ce qui est encore plus pénible à regarder, c’est la façon dont l’usine traite les femmes enceintes. Être enceinte signifie que vous devez travailler encore plus dur, parce que les gestionnaires utilisent l’excuse du fait que les travailleuses soient enceintes et qu’elles ne peuvent pas de ce fait respecter les quotas de production pour les gronder et leur refuser les heures supplémentaires. Pour respecter les quotas, les femmes enceintes abandonnent leur temps de repos légalement mandaté.
L’environnement de travail difficile et les quotas de production en augmentation constante font que les femmes enceintes souffrent beaucoup jour après jour. En production, les femmes qui parviennent à travailler pendant leur grossesse sont très rares, cela du fait de l’intensité de la production mais aussi des dommages que l’environnement de production [toxique] peut causer à leur enfant.
Alors qu’elle travaillait à la NHK, mon amie Xiaomei a fait plusieurs fausses couches. Ce cauchemar ne s’est terminé qu’après elle a quitté l’usine. Une autre collègue, tirant les leçons de l’expérience de Xiaomei, a quitté l’usine dès qu’elle a a appris qu’elle était enceinte, mais a fait une fausse couche quand même. Les dommages causés par l’environnement de travail de [NHK] sont gravés dans les gènes de l’enfant dès le début. Et puis il y a ces travailleurs plus âgés qui ont donné toute leur jeunesse à l’entreprise. Pendant plus d’une décennie, les gestionnaires ont été constamment derrière eux, brandissant un chronomètre – un mouvement par seconde, plus vite, plus vite. (…) Mon ami le vieux Wang m’a dit qu’il a envisagé de partir d’innombrables fois, pour abandonner derrière lui cela ce système de gestion inhumain et cet environnement de travail épouvantable. Mais en plus d’une décennie de travail, il a gagné rien si ce n’est un corps usé. Il ne sait pas où il irait s’il quittait l’usine, et comme il est le principal soutien de sa famille, il n’a pas les moyens de s’arrêter de travailler.
Aucune ancienneté de service ne peut empêcher le licenciement des travailleurs par l’entreprise. Aux yeux de l’entreprise, un travailleur vaut moins qu’une machine. Lorsqu’une machine est en panne, ils effectuent des réparations et de la maintenance. Mais quand la santé des travailleurs s’effondre, ils nient simplement la responsabilité et jettent les travailleurs à la porte.

Dans cet endroit, nous sommes des
machines fonctionnant 24h / 24 et 7j / 7
Des commutateurs sur lequel il faut appuyer
des chiffres clignotant sur un panneau d’affichage
Nous sommes
Des comptes bancaires économisant les frais médicaux de nos vieux parents
les larmes coulent sur le visage de nos enfants
Nous sommes aussi
Des colonnes vertébrales déformées, des muscles tendus, des oreilles sourdes
Mais nous ne sommes jamais des
êtres humains
Capables de ressentir la justice et la liberté
Nos jours et nos nuits sont complètement inversés, pour que la machine rugisse 24 heures sur 24!
Nous ne dormons pas et ne nous reposons pas pour que le patron s’enrichisse injustement!
Nous supportons le mépris et les insultes, en échange du ridicule de ces parasites!
Nous travaillons sans relâche, mais nous n’obtenons jamais en retour ni respect ni droits!

Un ami m’a déjà dit que se plaindre n’a pas de sens, que si on met les choses de côté, on vit une vie plus heureuse. Il y aura beaucoup plus de jours comme celui-ci à supporter. Je crois qu’il a raison, mais je ne peux pas m’empêcher de noter ces mots «sans signification» dans la nuit noire. C’est mon quotidien en tant que travailleuse et le quotidien de des milliers et des milliers de travailleurs. Les hommes, les femmes, ceux qui aiment rire, les gros, les anémiques, ceux qui ont travaillé quinze ans, ceux qui ont travaillé depuis plus de deux ans mais n’ont toujours pas obtenu un contrat en bonne et due forme, ceux dont les doigts ont été cassés, ceux qui ont fait une fausse couche…
Jusqu’à ce qu’un jour, nous ne puissions plus travailler, que les traces de nos journées de travail soient effacées, et qu’une plus jeune génération nous remplace en répétant cette routine quotidienne monotone.

Mais je ne peux pas me contenter de me plaindre!
Nous avons la tristesse, la colère et la peine de perdre notre dignité et nos droits. Mais nous avons le désir ardent, l’espoir, de trouver de la joie au milieu de l’amertume, la sueur et les efforts.Ici, nous avons besoin de changement! Ici, nous aspirons au changement! Fin mars 2018, la session annuelle de négociation collective sur les salaires et les primes a débuté. Dans le passé, les représentants des travailleurs à ces négociations étaient essentiellement nommés par le président du syndicat. Mais cette année, les travailleurs ont décidé d’utiliser leur droit à la participation démocratique. Ils m’ont nommé représentante à la négociation. Devenir représentante a été extrêmement difficile, car l’usine et le syndicat ont usé de mille stratagèmes pour me causer des ennuis. Ils ont toujours aimé les marionnettes obéissantes et sont naturellement hostiles aux ouvrières nommées par la base.
Après avoir eu beaucoup de difficultés à devenir représentante et avec la confiance et le soutien de mes collègues, j’ai préparé un questionnaire pour recueillir les opinions des travailleurs. Le directeur m’a immédiatement reproché de provoquer des attentes des travailleurs concernant les augmentations de salaire. Le dirigeant syndical m’a averti que je devais « connaître ma place ». On m’a dit que j’avais déjà porté atteinte à l’intérêt de la haute direction et que j’étais jeune et téméraire, téméraire et extrémiste, pas assez mature… Tout simplement parce que j’ai accompli les premiers pas de ma responsabilité légale en tant que travailleuse déléguée !
Avec tristesse et colère, j’aimerai savoir ce qui aux yeux du syndicat et de l’entreprise n’est pas un comportement extrémiste.
N’est-ce pas extrême d’obéir aux ordres des dirigeants syndicaux et de ne pas utiliser un sondage pour recueillir les opinions des travailleurs!
N’est-ce pas extrême que de ne pas remettre en question les menaces et les insultes de l’entreprise envers les travailleurs, ni sa manipulation flagrante des processus de négociation collective!
N’est-ce pas extrême de tolérer les avertissements et les sanctions illégaux de l’entreprise contre les travailleurs faits sous de fausses accusations!
N’est-ce pas extrême de ne pas reconnaître la validité de l’extension des pouvoirs du comité syndical en me retirant mon statut de représentant négociateur!
Si tel est le cas, cette fois je choisis d’être «extrémiste», je choisis de briser les chaînes qui entravent les travailleurs!
Ces dirigeants habitués à violer la loi me voyaient comme une ennemie dangereuse et ont lancé une série d’accusations, y compris j’avais manipulé les élections, que j’étais une agent étranger infiltré et que j’avais dévoilé des secrets de l’entreprise.
Mon droit aux heures supplémentaires a été supprimé , il m’a été interdit de travailler aux côtés des travailleurs de la chaîne , ils ont essayé de me calomnier, de me diffamer, de me menacer et de me faire peur… ils ont eu recours à toutes sortes de méthodes !
Mais ils n’avaient qu’un seul objectif: me supprimer et effrayer tous les autres travailleurs. Pour ce qui est de la loi, elle n’est même pas un accessoire aux yeux de la compagnie ; simplement un tas de papier à jeter, ou des gaz toxiques et des eaux sales à évacuer. Les 107 mesures punitives du Manuel de l’employé sont le seul genre de loi qu’ils veulent.
Au petit matin du 28 mai 2018, le comité syndical a convoqué une réunion secrète. Ils ont contourné le réunion générale des représentants syndicaux et m’ont retiré mon statut de représentante des travailleurs. À 13h dans l’après-midi, la compagnie m’a donné un blâme sous le prétexte que je me serais opposée à mes supérieurs et que j’aurais perturbé l’ordre de l’usine. À 16 heures, la société a annoncé unilatéralement mon licenciement.
Le terme «atelier de misère» est connu depuis longtemps. Après quarante ans de réforme et d’ouverture, les ateliers clandestins utilise la vie des travailleurs pour se construire dans le miroir d’une Chine gouvernée par la loi, où se reflètent ses démons . Qu’en est-il de l’autonomie gouvernementale, de la démocratie, de la liberté, de l’égalité et de l’équité des travailleurs… plus belle est l’image, plus laide est le reflet!
Pour moi, la fin de mon mandat en tant qu’employé de la NHK n’est pas la fin. La porte de l’usine m’est maintenant fermée mais ses poutres en acier porteront toujours le souvenir de ces licenciements illicites et sans vergogne. Devant cette porte, il n’y a pas que moi, mais tous ceux qui ont osé parler avant et tous ceux qui un jour oseront se battre pour leurs droits.
Les travailleurs qui se sont réveillés de leurs cauchemars ne veulent pas y retourner.
D’étudiante en travailleuse, de travailleuse réguliere en représentante des travailleur,s je suis de plus en plus ferme dans ma conviction d’être aux côtés des travailleurs![Nous devons] faire un travail solide, continuer à aller de l’avant pour atteindre nos droits. [Nous devons]travailler pour les travailleurs et lutter pour le changement!
C’est mon choix, et ce sera le choix de beaucoup plus de gens après moi.

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