Yue Xin : lettre ouverte à Xi Jinping concernant la lutte des travailleurs de Jasic

L’importance de la lutte menée par les travailleurs de l’usine Jasic de Shenzhen, le soutien et la répression qu’elle a rencontré a été largement soulignée dans la presse, militante ou non. On peut ainsi se reporter en français au texte de Michelle Chen publié sur le site A l’encontre ainsi qu’à la traduction de la tribune de Jack Qiu « « Le réveil du mouvement ouvrier en Chine » publiée le 16 octobre dans Le Monde.  En anglais, on pourra se reporter aux posts déjà anciens publiés sur les incontournables sites China Labour bulletin et Chuang , sur ce dernier on trouvera également plusieurs témoignages de la nouvelle génération d’activistes marxistes chinois.
En septembre, un article de Reuters n’hésitait pas à faire le rapprochement entre les récentes « vagues » du mouvement #MeToo et la mobilisation de solidarité exceptionnelle avec les travailleurs de Jasic. Pour l’illustrer cette (très) relative continuité, et dans la foulée des posts précédents, nous publions ici de larges extraits ( nous avons principalement omis les louanges adressées à Xi Jinping et les serments d’allégeance usuels au Parti Communiste) de la lettre ouverte de Yue Xin publiée le 19 aout.

Honorables Comité Central du PCC et secrétaire général Xi Jinping,

Je suis Yue Xin, représentante du groupe universitaire de soutien ( aux travailleurs de Jasic) et diplômée de l’université de Pékin.

Depuis les incidents du 27 juillet ( arrestation de plusieurs travailleurs de Jasic et de leurs soutiens), je n’ai plus ressenti de paix dans mon coeur
La compagnie Jasic Technology de Shenzhen, ajuste illégalement, de façon systématique et depuis longtemps, les pauses des travailleurs, leur infligeant illégalement des pénalités, déduites de leurs paies et commet beaucoup d’autres infractions graves. Les travailleurs de Jasic ont adressé de façon répété des pétitions au bureau des ressources humaines mais n’ont jamais eu de réponses.
N’ayant plus d’autres choix, les travailleurs de Jasic ont formé un syndicat indépendant et ce en accord avec la constitution et la loi sur les syndicats de République Populaire de Chine et sous la direction du syndicat général du district, exerçant ainsi leurs droits légitimes. Personne ne s’attendait à ce qu’ils soient punis par des transferts, des intimidations, des menaces et des bastonnades par la direction de l’usine.
Ceux qui n’acceptaient pas d’être transférés étaient automatiquement licenciés. D’autres ont supporté des intimidations et des menaces constantes. Ne s’agit-il pas ici de violations sérieuses de la loi, de la part d’une société cotée en bourse qui n’a pas le moindre sens de sa responsabilité vis à vis de la société, méprisant même la constitution et la loi sur les syndicats ? Il est encore plus méprisable que la direction de l’usine se soit entendue avec des membres du crime organisé pour organiser le tabassage des ouvriers Liu Penghu et Mi Jiuping. Néanmoins, dans des circonstances particulièrement floues, non seulement la police de Pingshan ne s’est pas battue pour défendre les droits des travailleurs de Jasic mais semble plutôt avoir été achetée par les patrons de l’entreprise, agissant en connivence avec eux pour écraser les ouvriers désarmés. La raison en serait-elle simplement que le patron de Jasic, Pan Lei, est membre du congrès municipal de Shenzhen et membre de la conférence politique consultative du district de Longgang ?
Le 20 juillet, les ouvriers de Jasic et des membres du groupe de soutien ont été battus et illégalement arrêtés. Cela s’est reproduit le 27 juillet, avec cette foi-ci la détention illégale de travailleurs et de membres du groupe de soutien accusés de « Chercher des querelles et de provoquer du désordre ». 14 membres fondateurs du syndicat et des amis du groupe de soutien sont toujours en détention à la prison de Shenzhen Longgang, et souffrent. Parmi eux, une femme nommée Zhang Zeying allaite encore son bébé ! Et de surcroît, les étudiants progressistes et les activistes pour la justice sociale qui sont venus soutenir la cause des travailleurs sont également harcelés par les forces criminelles locales. Shen Mengyu ( NDT : nous reviendrons bientôt sur ce site sur cette étudiante devenue une activiste infatigable en faveur des droits des travailleurs), une représentante du groupe de soutien, a été kidnappée. A l’heure qu’il est on ignore encore où elle est. De plus, plusieurs étudiants ont été blessés par les forces criminelles.
Le patron de Jasic Pan Lei et la police de Pingshan violent la loi et l’ordre. Leurs actions sont ouvertement haineuses et insupportables ! Nous nous sommes hâtés ici à Pingshan depuis tout le pays pour soutenir les travailleurs de Jasic. Notre action se conforme complètement avec ce qu’on nous demande de faire, soutenir la loi et l’ordre dans notre pays pour le bien de la justice sociale et de la réputation du Parti. Comme tous les différents groupes de notre nation qui travaillent ensemble pour réaliser le rêve Chinois sous la direction du Comité Central du Parti et de son secrétaire général, Xi, nous pensons que les actions des puissances obscures à Pingshan démontrent le plus grand mépris pour l’État de droit dans notre pays. Leurs actions violent un des principes philosophiques directeur du Parti Communiste Chinois- protéger le rôle dirigeant de la classe ouvrière. C’est un affront à un des principes moraux de notre pays, éthiquement et politiquement.
De ce fait, pour rallier les forces progressistes d’un peu partout dans le pays et pour dénoncer ce piétinement de la justice par ces puissances de l’ombre, j’ai publié le 29 juillet une lettre de solidarité des étudiants de l’université de Pékin concernant « les incidents du 27 juillet et la lutte des travailleurs de Jasic pour leurs droits et leur syndicat » dénonçant ces actes odieux des forces locales malfaisantes. Peu de temps après j’ai rejoint le groupe de soutien qui travaille sur place pour la justice et l’équité, qui lutte pour le socialisme et la classe ouvrière.
Je pense que c’était le bon choix- et plus encore le seul choix honorable !
Comme le secrétaire général Xi l’a dit : «  Les jeunes gens à travers le pays doivent avoir de hautes ambitions, accroitre leur savoir, et tempérer leur volonté, afin qu’ils puissent briller dans l’avenir. » La formation de ce syndicat par les travailleurs de Jasic, établi en conformité avec la constitution et la loi sur les syndicats, peut agir comme un catalyseur pour la protection des travailleurs comme sujet de la production. C’est un appel pour l’équité sociale et la justice, une mesure pionnière faisant avancer la « Nouvelle Ère ». En tant que jeune personne, ayant grandi dans la nouvelle Chine socialiste et maintenant une jeune femme qui vit dans la Nouvelle Ère, je n’ai aucune excuse pour rester sur le côté et ne rien faire, de rester une spectatrice impuissante alors que les travailleurs de Shenzhen luttent seuls.
Mes quatre années passées à l’université de Pékin ont agi comme source de motivation pour lutter contre les forces locales malfaisantes. Les gens disent souvent « L’université de Pékin change tout le temps ». Mais comme l’a dit Lu Xun « L’université de Pékin lutte toujours contre les forces de l’obscurantisme ». Ceux qui sont venus avant moi ont eu le courage de parler, le courage de lutter. Comme étudiante de l’université de Pékin, je n’ai pas d’excuses pour rester les bras croisé telle une bénéficiaire innocente et oisive du statu-quo.
Les étudiants d’aujourd’hui sont les travailleurs de demain; nos destins sont étroitement entrecroisés. Quand j’ai rejoint le groupe de solidarité sur le terrain, des gens m’ont demandé pourquoi j’étais venue. J’ai répondu avec une question : pourquoi ne viendrais-je pas là ?
En tant que jeunes nous devons nous intégrer à la classe ouvrière, dans les flux et reflux de notre temps, dans le combat incessant contre les forces obscurantistes. (…)
Le soutien des frères et soeurs, des lycéens et des individus motivés de tout le pays ont permis aux justes forces représentées par le groupe de soutien de continuer à grandir, et l’élan des forces du mal a été temporairement brisé.
Ils disent : le mouvement du 4 mai ( NDT : 1919) était contre le gouvernement. Quand vous vous réclamez du mouvement du 4 mai, vous essayez de créer un mouvement étudiant contre le gouvernement. Ils disent aussi : la chanson ‘l’Internationale » est une chanson réactionnaire. Alors, quand les étudiants doivent travailler sur le marxisme ou la pensée Mao Zedong à l’école, des forces étrangères soutiendraient-elles cela en sous-main, cachant leurs vrais motifs ?
(…)
Nous avons appris dans les livres d’histoire du collège comment le mouvement du 4 mai a été extrêmement important dans l’histoire moderne de la Chine. C’était un mouvement anti-impérialiste, anti-féodal et patriotique ; c’était le début de la nouvelle démocratie et il a mené à la naissance du Parti communiste chinois. L’université de Pékin, l’un des lieux de naissance du mouvement du 4 mai, en toujours été très fière. (…)
Si vous caractérisez nos actions comme un progrès, comme quelque chose qui maintient vivant l’esprit du 4 mai, alors nous pouvons répondre sans hésiter « oui ! ». Mais si vous nous accusez d’invoquer l’esprit du 4 mai pour attiser des protestations, pour s’opposer au Parti et au socialisme, si vous nous accusez d’avoir des motivations insondables, si vous dites que chanter l’Internationale est équivalent au fait de s’engager dans une révolution de couleur ( NDT : allusion aux divers mouvements ayant, ces dernières années, fait chuter des régimes autoritaires partout dans le monde), alors nous ne pouvons rien vous promettre. Ceux qui professent de telles opinions ont complètement perdus de vue les valeurs originelles du Parti Communiste Chinois et du gouvernement populaire.
Se pourrait-il que la seule ligne d’action raisonnable soit de se couvrir les yeux d’ignorer la souffrance sociale et d’abandonner la lutte pour l’équité et la justice ? Ce serait véritablement la seule bonne chose à faire que de violer la constitution et d’opprimer la classe ouvrière au côté de ces forces obscurantistes ? !
Quant à ceux qui nous accusent de lire des ouvrages marxistes à l’instigation de puissances étrangères, ce type de personnes ont perdu tout sens de ce qu’est une opinion politique. Depuis sa naissance le PCC a adhéré au marxisme-léninisme comme sa philosophie centrale. Insinuer que nous étudions le marxisme à l’instigation de forces étrangères revient à accuser le parti d’être lui-même une force extérieur. C’est comme de dire qu’en luttant pour l’équité et la justice, contre les groupes malfaisants, le Parti s’engage dans une voie réactionnaire. (…)
Tant que tous les ouvriers détenus n’auront pas été relâchés sans charges retenues contre eux, tant que les malfaisantes autorités locales n’auront pas fait l’objet d’une enquête et que les droits fondamentaux des travailleurs n’auront pas été garantis, nous continuerons à nous battre !
Nous espérons que le Comité Central du Parti va envoyer une équipe enquêter pour comprendre la réalité de la situation, se battre pour rendre justice aux travailleurs de Jasic et punir sévèrement les forces obscurantistes. Nous en appelons spécifiquement à ceci :

1 Libération immédiate sans charges de tous les travailleurs détenus depuis le 27 juillet et restauration entière de leurs droits.

2 Punition sévère des forces de police, du président de Jasic Technology Pan Lei et de tous les responsables de l’usine.

3 Empêcher l’expulsion des travailleurs et des étudiants

4 Prévenir des représailles.

5 Permettre aux travailleurs d’être rétablis dans leurs droits, de retourner travailler et de légalement créer leur syndicat

6 Compenser les travailleurs pour leurs pertes de salaires et leur présenter des excuses officielles.

7 Conduire une enquête complète sur le kidnapping de Shen Mengyu et Xiao Hu, afin qu’ils puissent recouvrer la liberté.

Personne ne peut résister au mouvement de l’histoire. Nous ne sommes pas une force étrangère, ou une révolution étudiante, et nous n’avançons pas de revendications politiques. Tout ce que nous voulons c’est lutter pour la justice pour les travailleurs de Jasic.
(…)

La version intégrale ( anglais et chinois) est consultable sur le site du China Digital Times.

#MeToo en Chine (3) : l’affaire Gao Yan et ses suites

Une des affaires qui a eu le plus d’écho lors des différentes vagues de #MeToo, mouvement qui d’ailleurs continue avec cette fois-ci la mise en cause de la police de Guangzhou ,date pourtant de plus de vingt ans. Gao Yan, dont la photo orne ce post, était une étudiante prometteuse en littérature chinoise qui après avoir été violée par son professeur Shen Yang s’est suicidée en 1998. Le jour de la fête de Qing Ming (jour des morts célébré le 5 avril), une de ces anciennes amies de fac, Li Youyou, a publié un article intitulé «  Mr l’ancien professeur de l’université de Pékin Shen Yang, la mort de Gao Yan n’a-t-elle vraiment rien à voir avec vous ? » dans lequel elle rappelait qu’après l’avoir violée le professeur avait prétendu successivement qu’elle l’avait séduit puis qu’elle était folle, les rumeurs sur le campus ayant acculé Gao Yang à mettre fin à ses jours en mars 1998. Le texte devenu bientôt viral, lu et partagé par des millions de personnes a remis en lumière les agissements de Shen Yang. Ainsi une de ses victimes, Xu Hongyun, a témoigné auprès du site d’information Caixin du harcèlement dont elle avait l’objet de la part du professeur, témoignage très vite censuré. La complaisance des autorités universitaires a été également largement soulignée puisqu’il n’avait été condamné à l’époque qu’à une amende de 1 000 yuans. Si, au vu de l’écho de l’affaire, les universités de Nanjing et de Shanghai n’ont eu de choix que de mettre fin à leur collaboration avec Shen Yang, qui continue à clamer son innocence, l’affaire a rebondit quand on a appris que Yue Xin, une jeune étudiante de l’université de Pékin avait subi des pressions de toutes sortes pour avoir demandé des comptes à l’administration sur cette affaire.
Nous re-publions ici la traduction donnée de sa lettre ouverte par la radio en ligne LCF  ( nous avons rajouté la traduction du passage omis) :

Professeurs et élèves de l’Université de Pékin: salutations!
Je m’appelle Yue Xin, de l’école de langues étrangères promotion 2014, et je suis l’un des 8 étudiants qui ont soumis à l’université de Pékin le document sur la liberté de l’information ce 9 avril. Malgré ma grande fatigue, j’écris cette lettre pour expliquer ce qui m’est arrivé depuis:
Depuis le 9 avril, j’ai assisté à des discussions entre les professeurs et la direction au bureau des affaires étudiantes de l’université (1), dont deux se sont poursuivi jusqu’à une ou deux heures du matin. Au cours de ces discussions, le bureau m’a régulièrement laissé entendre que je n’aurai pas mon diplôme, et « que penseront ta grand-mère et ta mère », et « nous avons l’autorité de contacter directement tes parents sans passer par toi ». Par ailleurs, je prépare ma thèse et ces événements ont eu un impact négatif sur sa réalisation.
À midi, le 20 avril, j’ai reçu une réponse des autorités scolaires. Le secrétaire du comité du parti de l’École des langues étrangères, un enseignant du Bureau des affaires étudiantes et mon superviseur étaient tous présents, et le secrétaire du comité du Parti a lu la réponse de l’école à la demande d’accès à l’information: 
« Le manquement à l’éthique du professeur Shen Yang remarqué par des élèves était d’un niveau trop bas pour être sanctionné
L’université n’a pas les moyens d’accéder aux résultats de l’enquête menée par le Bureau de la Sécurité Publique
En raison d’une erreur, le texte de l’autocritique publique de Shen Yang a été perdu ». 
J’ai été déçu de cette réponse. Mais avec l’approche de la date limite pour ma soutenance de thèse, j’avais d’autres chats à fouetter. 
Vers 11 heures du soir, le 22 avril, mon supérieur a essayé d’appeler, mais je dormais. À 1 heure du matin, il est soudainement venu dans mon dortoir avec ma mère, m’a réveillé et m’a demandé de supprimer toutes les données relatives à la demande d’accès à l’information de mon téléphone et de mon ordinateur, et que je me rende au bureau des affaires étudiantes le lendemain matin pour garantir par écrit que je n’aurais plus à faire avec l’affaire. D’autres étudiants à mon étage peuvent témoigner. Peu de temps après, mes parents m’ont ramené à la maison et je n’ai toujours pas pu retourner à l’école.
Ma mère et moi n’avons pas dormi toute la nuit. Quand l’université l’a contactée, ils ont grossi l’affaire pour l’effrayer et la soumettre. Notre relation a largement pâtit cet événement. La manière d’agir est intolérable, l’université a franchi une ligne rouge. J’avais peur, mais j’étais furieux.
La demande d’accès à l’information était-elle un crime? Je n’avais rien fait de mal et je ne regrettais pas d’avoir exercé mon droit d’étudiant à l’Université de Pékin.
J’aime ma mère. Je l’admire et la respecte profondément depuis 20 ans. J’ai eu le coeur brisé de la voir gémir, se mettre à genoux et supplier et même menacer de se suicider. Face à ses supplications, je n’ai eu d’autre choix que de rentrer temporairement à la maison mais par principe, je ne pouvais pas faire marche arrière. Le compromis ne peut pas résoudre tous les problèmes. Je n’avais d’autre choix que d’écrire ce témoignage, de raconter toute l’histoire.
Je suis très agitée donc pardonnez moi si mon propos vous semble décousu.
Par la présente lettre, je lance l’appel formel suivant à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin:
a) L’Ecole des Langues Etrangères de l’Université de Pékin doit fournir une explication écrite des règlements en vertu desquels ils ont indûment fait pression sur mes parents, forcé l’entrée dans mon dortoir au milieu de la nuit, et exigé que je supprime toutes les données la demande de liberté d’information. Il doivent admettre les violations de la loi et des règlements commises au cours de cette procédure et prendre des mesures pour empêcher que ce genre d’épisode ne se reproduise.
b) L’école doit immédiatement cesser toute pression sur ma famille, et offrir des excuses à ma mère, pour aider à restaurer notre relation entachée par cette affaire.
c) L’école doit publier une assurance écrite que cette question n’affectera pas mon diplôme, et ne perturbera plus le travail sur ma soutenance de thèse.
d) L’université a la responsabilité de prévenir tout effet négatif que cette matière pourrait avoir sur mes études, mon futur emploi, ma famille, etc.
Je me réserve tous les droits d’intenter d’autres actions judiciaires contre des individus et des unités de travail impliqués, y compris, mais sans s’y limiter, de signaler les violations graves de la discipline scolaire à l’Université de Pékin et aux autorités supérieures.
Yue Xin, étudiante de premier cycle de la promotion de 2014 à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin.

(1) : Le bureau des affaires étudiantes est selon la définition donnée sur le site de l’université, « une section administrative placé sous l’autorité de la direction du comité du Parti de l’université conjointement au département des forces armées populaires. Le bureau est responsable de l’éducation politique et idéologique, de la gestion des normes de comportement et des opportunités de développement personnel pour les étudiants. »

Ce coup de pression et le courage de Yue Xin a provoqué une vive réaction
des étudiants de l’université qui ont collé des affiches ( assez vite enlevées ,une caméra ayant même été installée en face du lieu de l’affichage !)
pour la soutenir, comparant son geste à ceux des étudiants du mouvement du 4 mai 1919. Le 30 avril, Yue Xin a pu publier, sous le pseudonyme de Mu Tian, un nouveau texte intitulé « Une semaine après ma lettre ouverte » dans lequel on pouvait lire ( tous les textes de Yue Xin ont été traduits en anglais par le China Digital Times) :

« Le mardi 24 avril je me suis senti un peu plus calme et je pensais continuellement : je ne suis qu’une personne ordinaire qui fait des choses ordinaires, je ne suis en rien une combattante ou une héroïne. Si j’étais considéré comme une combattante et une héroïne, cela voudrait seulement dire que que ce système est trop plein d’anormalités et d’irrationalité.
Dans le même temps je réfléchissais car j’étais en train d’écrire ma présentation, et je me disais que j’ai reçu une attention inhabituelle car j’étais étudiante à l’université de Pékin. Au même moment, mes amis travailleurs qui résistaient recevaient beaucoup moins d’attention et d’aide. Si je me tiens pas au côté de ces amis travailleurs, il n’y a pas de doute que j’ai volé une attention et une aide qui devraient en vérité leur revenir.
Ce jour là j’ai écris dans mon journal : «  nous devons chérir tout ce que nous avons et plus encore nous devons parler pour ces gens qui ne parviennent pas à se faire entendre. » J’espère avoir la capacité de défendre plus de gens, d’aider plus de gens et pas le contraire. Je vois la la pneumoconiose (affection pulmonaire attribuable à l’inhalation de poussières minérales dans les mines et dans d’autres lieux de travail), je vois les accidents du travail, je vois mes amis grutiers quand ils résistent.
Le 25 avril, je dinais quand une amie travailleuse est venue et s’est assise à côté de moi. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait secrètement s’assoir que là car c’était le seul endroit sans caméra et sans cet endroit elle n’aurait pas le droit de se reposer. Le vendredi 27 avril, je marchais sur la route et je regardais mes amis travailleurs blottis sous un pont dans une chaude après-midi.
La journée internationale des travailleurs sera bientôt là; tant de travailleurs souhaitent se reposer, la situation est si dure.
Voir mes amis travailleurs soutenir d’autres travailleurs m’a poussé à mobiliser mon courage : comparée à la situation de ces gens à qui on doit leurs salaires, qui font des heures sups, sans vacances, avec des blessures et des maladies, et qui n’ont ni la nourriture ni l’habillement garantis, la pression à laquelle je fais face n’a vraiment rien de terrible et je n’ai aucun motif de battre en retraite. C’est seulement si nous continuons à nous mobiliser courageusement, à résister et nous battre pour un meilleur système, que nous pourrons garantir que nos camarades de classe et de travail pourront résister et exercer leurs droits, c’est seulement ainsi que nous pourrons éviter qu’ils soient frappés si durement.
Depuis le 23 avril, mon compte public sur WeChat « MuTianWuHua » a reçu 1774 yuans de dons. Après avoir déduit les 1% de charges de service, cela fait 1756 yuans. Au nom de tous mes amis, je vais prendre ces dons et les donner aux travailleurs qui luttent contre la pneumoconiose, même si c’est bien insuffisant.
A partir de maintenant je vais me tenir aux côté des travailleurs du monde. »

Yue Xin ne s’est pas arrêtée là puisque quelques jours plus tard elle a publié un texte « Education et privilège » dans lequel elle revenait de façon surprenante sur son parcours. Nous traduisons ici quelques extraits significatifs ( l’intégralité en chinois et en anglais est disponible sur le site du China Digital Times) :

« Je suis née dans une famille standard de la classe moyenne de Pékin. J’ai un Hukou (Permis de séjour) pékinois, ma famille a un appartement à Pékin. Je me sens coupable quand j’écris cela parce que pour la plupart des chinois, ce sont des choses inatteignables même si ils travaillent dur toute leur vie. Moi je suis née avec.
Ma mère est employée d’une institution publique mais elle gagne la plupart de ses revenues en faisant de la logistique. Mon père était fonctionnaire avant de prendre sa retraite. C’est principalement ma mère qui fait vivre la famille. Je dis que je viens d’une famille de la classe moyenne par ce que d’un côté je n’ai jamais eu à me préoccuper de mon bien-être matériel avant de devenir adulte; tandis que d’un autre côté, j’avais des amis d’enfance qui venaient de familles très riches, et je ne dépenserai jamais de ma vie autant d’argent qu’eux. Curieusement, j’ai appris le mot « classe moyenne » quand j’avais 6 ans et que j’étais en première année d’école primaire. Maintenant j’ai 20 ans et je pense toujours que cette phrase décrit bien la situation de ma famille. (…)
Je suis très reconnaissante à mes parents de m’avoir permis de ne pas avoir de problèmes matériels et de grandir dans un environnement éducatif détendu. Bien sûr, je suis consciente qu’ils ne pensent pas comme moi. Par exemple, ils sont incapables de comprendre les questions LGBT, de même qu’ils ne comprennent pas que le fait d’être végétarien puisse tenir à des motifs éthiques plus que religieux. (…) Pour ce qui est de la religion, mes parents sont comme la plupart des chinois : ils ne sont pas religieux, mais ne sont pas expressément athées non plus. Après tout de vrais athées n’iraient pas au temple avant l’examen d’entrée à l’université de leur enfant, ne paieraient pas pour y prier et n’y retourneraient pas pour exprimer leur gratitude après que leur enfant ait été admis à l’université de Pékin. Néanmoins comme la plupart des enfants chinois j’ai grandi dans un environnement laïque. Ce n’est que quand j’ai visité l’Indonésie et que j’ai appris à travers des entretiens l’oppression que ressentaient les enfants de familles dévotes que je me suis sentie vraiment chanceuse d’avoir grandi dans un pays et une famille laïques.
On peut dire sans risquer de se tromper que ces vingt premières années de ma vie a été marquées par une très grande chance. J’ai pu passer d’une bonne école primaire directement dans un bon collège grâce à des entretiens préalables; à l’entrée au lycée, j’ai juste eu assez de points à l’examen pour entrer dans le lycée affilié à l’université Renmin; et enfin j’ai réussi l’examen qui m’a permis de rentrer à l’université de Pékin. Dans mes premières années à la fac, j’ai pu avoir un soutien de l’État pour être admise dans une université étrangère et je suis devenue la seule étudiante de mon département à pouvoir étudier à l’étranger avec le soutien de l’État. Face à cette bonne fortune, je n’ai aucune intention de remercier Dieu. D’abord parce que je ne crois pas en Dieu et ensuite parce que mes études de sociologie m’ont appris que tout cela est le résultat de l’injustice structurelle de la société. Si je remercie Dieu et me sens bien avec moi même, je suis à la fois stupide et mauvaise. L’injustice ne concerne pas que le hukou ou ma région d’origine, elle tient à l’examen et aux conditions d’admission elles-même. Je n’ai pas eu une très bonne note en maths. De même ma moyenne dans les arts libéraux était beaucoup moins bonne que lors des préparation à l’examen. On peut dire que le 20/20 que j’ai eu dans la partie « essais » est la seule raison pour laquelle j’ai eu assez de points pour rentrer à l’université de Pékin. Et ceux qui me connaissent ou qui ont lu mes articles savent que mon style n’est pas si bon et que je ne rédige pas mieux que les autres élèves. Si j’ai eu la meilleure note pour la partie « essais » c’est principalement à cause du « sens de la responsabilité sociale » que reflétait mon texte. Bien sûr ce sens de la responsabilité sociale était réel. Je ne pouvais pas m’empêcher de le montrer dans l’essai. Mais néanmoins si je fais montre d’un peu de pensée rationnelle sur les question sociales et d’esprit critique sur les injustices sociales, c’est seulement à cause de l’éducation que j’ai reçue à l’école et à mes lectures extra-scolaires; j’ai pu avoir accès à ces superbes ressources éducatives et opportunités extra-scolaires alors que ce n’est pas le cas pour la plupart des personnes. Au bout du compte, c’est une injustice sociale. (…)
Si je devais résumer ma famille, mes origines et mon éducation, alors je serais obligé de dire qu’on a là une chaine causale bien cruelle : je suis né avec un hukou pékinois et un très bon environnement familial. J’ai eu ensuite une superbe éducation élémentaire et secondaire, ce qui m’a permis d’intégrer l’université de Pékin sans subir de tortures inhumaines. Et intégrer l’université de Pékin suppose de bénéficier de la réputation et même des avantages matériels qui vont avec cette marque : si je n’avais pas intégré l’université de Pékin, je n’aurais pas eu cette petite réputation en donnant des cours d’éducation sexuelle aux enfants d’un village ( Yue Xin a donné des cours d’éducation sexuelle dans le Yunnan en 2015) ; si je n’avais pas rejoint cette université, les articles que j’ai envoyé au Southern Weekly n’auraient pas pris une telle importance dans le journal, même si les rédacteurs les aimaient bien et je n’aurais donc pas eu de ressources stables comme étudiante (…) Et dans le futur proche, la réputation de mon école va m’apporter d’autres bénéfices, même si cette réputation est principalement due à mes prédécesseurs et non à mes propres efforts.
Si nous disons « Quand vous êtes pauvres, occupez vous de votre propre vertu; quand vous êtes riches partagez là avec le monde entier »; si on dit « ceux qui sont dans le train ont la responsabilité d’avancer », alors je suis une de ces personnes « dans le train ». Je n’ose même pas penser, combien de gens j’ai « mangé » —pour utiliser une expression de Lu Xun- au fil de mon parcours. Quoiqu’étant athée je fais peut-être des erreurs quand je me réfère au christianisme, je tiens tout de même à utiliser une métaphore que vous comprendrez aisément : je dois admettre que souvent j’ai l’impression de porter le péché originel. Ce péché originel ne vient pas du royaume de Dieu, mais plutôt du royaume deshommes. Je porte le péché originel des injustice structurelles de toute cette société.
Mes capacité sont limitées et j’ai beaucoup d’insuffisances. Mais je suis pleinement consciente de mon devoir de travailler dur chaque jour pour m’améliorer et pour essayer quelque chose pour rendre cette société meilleure – beaucoup de ma motivation provient de mon profond malaise et de mon sentiment de culpabilité.
Je n’ai aucune raison de ne pas avancer; je n’ai aucune raison d’avancer uniquement pour mon bien propre. »

#MeToo en Chine (2) : Ou est Yue Xin ?

Il est à craindre qu’une des premières victimes d’une nouvelle vague de répression anti-féministe et anti-marxiste soit la jeune activiste Yue Xin dont on est sans nouvelles depuis plusieurs semaines. Nous publions ici la traduction de l’article paru hier ( le 11/10/2018) et mis à jour aujourd’hui, dans le South China Morning Post.

Inquiétudes pour une jeune activiste marxiste disparue après un raid de la police en Chine

Yue Xin a été arrêtée en même temps qu’une cinquantaine d’activistes, une grande partie d’entre eux étant de jeunes marxistes, qui s’étaient joints à la campagne pour les droits syndicaux dans l’usine de Jasic Technology.

Yue Xin, 22 ans, a été arrêtée le 24 aout en même temps que d’autres jeunes marxistes impliqués dans un mouvement pour les droits syndicaux à Shenzhen.
Elle avait auparavant accusé l’université de Pékin de chercher à la faire taire car elle demandait des informations sur la façon dont était traitée l’enquête sur l’agression sexuelle qui avait poussé au suicide une étudiante vingt ans plus tôt – une des affaires qui a fait le plus de bruit lors du mouvement #MeToo.
Cette arrestation participe de l’intensification de la répression par les autorités contre le nombre croissant de jeunes activistes qui ont trouvé ces dernières années inspiration dans le marxisme, espérant ainsi amener du changement sur des questions allant du féminisme, des inégalités sociales aux droits des travailleurs.
Mais en contraste radical avec la ligne marxiste officielle, cette nouvelle génération de marxistes met l’accent sur les libertés individuelles, certains s’intéressant même à la démocratie constitutionnelle occidentale- considérée par les marxistes et maoïstes dominants comme une mauvaise voie pour la Chine.
La plupart des protestataires détenus en aout ont depuis été relâché, mais quatre d’entre eux ont été placé « en résidence surveillée dans un lieu désigné » – une forme de détention secrète, tandis que quatre autres sont encore incarcérés et pourraient être inculpés selon leurs amis et d’autres activistes.
Mais le sort de Yue, ainsi que celui de sa mère, qui n’est plus joignable depuis septembre, demeure inconnu.
« Il est possible que Yue ne réapparaisse pas avant longtemps » a déclaré une activiste étudiante souhaitant garder l’anonymat et qui veut alerter sur la situation difficile de Yue.
La jeune activiste a été diplômé de l’école des langues étrangères de l’université de Pékin cet été, alors que le mouvement #MeToo prenait de l’ampleur sur les campus et les lieux de travail. Elle a déposé une requête officielle auprès de son université demandant que celle-ci rende public les informations sur la façon dont avait été traitée l’affaire d’agression sexuelle impliquant un professeur dont avait résulté le suicide d’une étudiante il y a deux décennies de cela. Yue a ensuite écrite une lettre ouverte ( NDT : traduite dans le prochain post) accusant l’université de tenter de la faire taire en mettant la pression sur sa famille et suggérant qu’on ne lui permettrait pas de passer son diplôme, ce qui avait mené à une forte réaction publique contre l’université sur les réseaux sociaux.
En juillet, Yue s’est intéressée à un conflit dans l’usine de Jasic Technology basée a Shenzhen. Des étudiants de gauche, y compris Yue, ont voyagé d’un peu partout dans le pays pour soutenir les travailleurs du Guangdong dans leur campagne pour les droits syndicaux dans leur usine, qui produit des machines à souder électroniques et des bras robotiques. Mais le 24 aout, la police anti-émeute a perquisitionné l’appartement dans lequel ils résidaient à côté de Shenzhen, et a arrêté le groupe.
Plus tôt ce mois là, Yue avait déclaré au South China Morning Pots, qu’elle voulait apporter son soutien aux travailleurs de Shenzhen même si cela supposait de se faire arrêter.
« Plus de trente travailleurs innocents ont été déjà été arrêtés et traités de façon inhumaine. Je ne peux pas me contenter de rester assise et d’exprimer mon soutien en ligne – il faut que j’aille sur la ligne de front. » déclarait Yue «  Je suis prête à me faire arrêter… mais la question n’est pas d’être arrêté ou non… si vous croyez que ce que vous faites est juste, alors vous n’avez pas peur. »
Il y a aussi des inquiétudes concernant la mère de Yue. NGOCN, une ONG pour le développement social basé à Guangzhou pour un poste dans laquelle Yue avait postulé après son diplôme, a déclaré que la mère de Yue les avait contacté une semaine après l’opération de Huizhou car elle cherchait à savoir ce qui était arrivé à sa fille. Le directeur exécutif a dit à la mère de Yue qu’il n’avait plus de contact avec elle depuis le mois de juin mais qu’il essaierait d’aider.
« Yue Xin restait en contact avec sa mère après qu’elle soit venue dans le Guangdong, mais sa mère était anxieuse car elle n’avait pas plus de nouvelles depuis plus de quatre jours. » a déclaré Wu. Mais depuis le 2 septembre, l’ONG n’a pas pu entrer en contact avec la mère de Yue qui vit à Pékin. Le Post a également essayé de l’appeler mais son téléphone reste éteint.
Un officier du commissariat de Yanziling à Shenzhen a déclaré qu’ils ne s’occupaient pas du cas de Yue et nous a redirigé vers les bureaux du gouvernement de district de Pingshan, que nous n’avons pas réussi à joindre.
A part Yue, 4 animateurs de Epoch Pioneer, un site de gauche qui se consacre à l’activisme ouvrier, ont été placé en « résidence surveillée dans un lieu désigné » à Guangzhou, selon des activistes du groupe de soutien au travailleurs de Jasic. Ils ont également indiqué que quatre travailleurs étaient incarcérés à Shenzhen, accusés «  d’attroupement perturbant l’ordre social » et n’ont qu’un accès restreint aux avocats. D’autres jeunes activistes ont été relâchés mais restent étroitement surveillés par leurs universités et leurs parents selon les mêmes activistes.
Si les cours sur le marxisme font systématiquement parti du cursus dans les universités en Chine, le nombre croissant de jeunes activistes de gauche a apparemment provoqué l’inquiétude des autorités universitaires. Depuis le début de la nouvelle année académique en septembre, les jeunes marxistes se sont mobilisés contre le renforcement des contrôles dans leurs universités. L’un d’entre eux, étudiant à la faculté d’économie à l’université de Renmin China à Pékin, a détaillé, dans un article publié en ligne et qui a été ensuite supprimé par les censeurs, comment il a été « blacklisté pour s’être intéressé au peuple ». Xiang Junwei a accusé les administrateurs de l’université d’avoir fait pression sur lui et sa famille, un enseignant ayant ainsi dit à ses parents qu’il devait corriger ses « dangereuses pensées » et qu’il était « dans une situation politique problématique ». Il a déclaré avoir été exclu du chat en ligne de l’université et a indiqué que 12 autres jeunes marxistes avaient subis la même mesure.
Dans un autre article, il a souligné le cas d’une autre étudiante de l’école, qui a du être hospitalisée après qu’elle ait mené une grève de la faim pour protester contre sa famille et un enseignant qui voulaient l’empêcher de s’impliquer dans la campagne pour les droits des travailleurs à Shenzhen. Il a appelé l’université a lui permettre de reprendre ses études sans avoir à signer une déclaration selon laquelle elle abandonnerait l’activisme- une déclaration que, selon lui, on insistait qu’elle signe pour pouvoir reprendre les cours.
Les groupes d’études du marxisme ont également déclaré qu’ils avaient eu du mal à renouveler leur inscription dans les meilleures universités ainsi à la Renmin University, l’université de Nanjing et l’Université de science et de technologie de Pékin. A l’université de Pékin, où Yue étudiait, la société d’étude du marxisme a du demander l’aide d’un conseiller du département de marxisme de l’université pour se faire enregistrer après que la ligue de jeunesse communiste du campus lui ait retiré son soutien.
Début aout, Yue déclarait que les étudiants suivaient une tradition universitaire en s’impliquant dans l’activisme, la défense du peuple et des droits des travailleurs. « Les activistes étudiants se sont battus sur un grand nombre de sujets- y compris contre le harcèlement sexuel ou pour soutenir la démocratie sur le campus…tout le monde dans ce mouvement ne s’identifie pas comme marxiste, léniniste ou maoïste mais ils sont certainement influencés par le marxisme » déclarait-elle.

Dans la suite de ce post, nous reviendrons notamment sur l’affaire Gao Yan en publiant la traduction des deux lettres ouvertes publiées par Yue Xin à cette occasion, ainsi que sur la lutte des travailleurs de l’usine de Jansic et les nouveaux « marxistes » chinois…

#MeToo en Chine (1) : premier bilan

Alors qu’on célèbre le premier anniversaire du mouvement #MeToo, nous revenons dans une courte série de posts, sur son écho et son évolution en Chine. Pour commencer nous présentons une traduction (depuis la version anglaise établie par Emile Dirks et Winnie Shen) du texte de la féministe Lü Pin qui retrace justement les différentes phases traversées par le mouvement.

Les origines de « #MeToo » en Chine : de papillons en ouragans- La dissémination d’un point de vue.

Le 26 juillet 2018, beaucoup de personnes ont dit avec un soupir de soulagement : #MeToo est finalement arrivé en Chine. Après plusieurs jours d’agitation qui ont succédé à la révélation le 23 juillet de soupçons de harcèlement sexuel contre une figure publique célèbre, Lei Chuang ( le dirigeant d’une ONG venant en aide aux malades de l’Hépatite B en Chine), les révélations et les débat sur le harcèlement sexuel sont devenus des sujets de conversations explosifs. Certains ont qualifié cette journée d’historique pour le féminisme chinois. Certains, i-compris moi même, étions extrêmement enthousiaste. Bien évidemment, d’autres étaient plus pessimistes et disaient que le mouvement #MeToo n’allait pas tarder à s’estomper.
Laissez les balles voler, laissez voler un peu plus longtemps ( Il s’agit probablement ici d’une allusion à film chinois Let the Bullet Fly ). Dans une société de plus en plus stable, il est rare de se sentir bousculé. Même si les gens remarquent souvent de façon cynique que « le pays est fichu », ils n’avaient pourtant jamais vraiment vu le pourriture du système, donc lorsque celle-ci a été révélée au grand jour, ils ont été choqués. Dénoncer Lei Chuang n’est toutefois qu’une première étape. Beaucoup de personnes temporisent encore et non pas encore dit à voix haute ce qu’ils ont sur le coeur. Sur le long terme, le harcèlement sexuel n’est pas un ulcère putride qu’on peut simplement extraire mais plutôt une maladie interne se propageant de l’intérieur vers l’extérieur. Du diagnostic au traitement, il s’agit d’un processus ne peut pas être accompli du jour au lendemain.
De fait, les femmes ont toujours été en colère. Mais elles restaient isolées car elles étaient enclavées par le patriarcat, leur colère le plus souvent mise de côté et transformée en trauma. « J’y suis devenu imperméable » a écrit une femme qui a raconté avoir été agressée sexuellement par le présentateur de la télévision chinoise ( CCTV) Zhu Jun . Pourtant quand une femme se lève, les gens s’en rendent compte. Et quand ces femmes se lèvent à tour de rôle, de plus en plus de gens vont s’en apercevoir. C’est le mouvement des femmes : une convergence de colères. La même femme décrit ainsi sa vision du mouvement actuel : « Commençant l’année dernière, le mouvement des droits des femmes a été une étincelle, et même si elle est faible, elle nous guide ».
Ce n’est pas que #MeToo est « finalement arrivé en Chine » mais plutôt, que depuis l’année dernière, #MeToo est apparu et ré-apparu en Chine, atteignant à chaque fois de nouveaux niveaux de « viralité » et exposant toujours de plus de personnes au mouvement. #MeToo a été présent en Chine depuis longtemps et s’est constamment efforcé d’avancer. Voici trois incidents qui se déroulés depuis l’année dernière :

En mai 2017, l’activiste féministe Zhang LeiLei a lancé sa campagne de femme-sandwich contre le harcèlement sexuel. Bien qu’on lui ait vite ordonné d’arrêter, la campagne a produit un résultat inattendu : la première message dans les wagons de métro en Chine qui incluait les mots « harcèlement sexuel »

En janvier 2018, Luo Qianqian révéla l’expérience de harcèlement sexuel qu’elle avait subi de la part du professeur Chen Xiaowu de l’université d’aéronautique et d’astronautique de l’université et mobilisa plus de trois milles personnes pour qu’elles écrivent à l’université (pour soutenir son action). Peu après, neuf mille étudiants et anciens élèves de soixante-dix écoles à travers le pays écrirent en même temps à leurs institutions respectives et au ministère de l’éducation pour demander la création de mécanismes de prévention du harcèlement sexuel dans l’éducation supérieure. Le 14 janvier, le ministère de l’éducation a annoncé qu’il allait faire des recherches dans le sens de cette proposition.

En avril 2018, l’agression sexuelle subie il y a vingt ans par Gao Yan, qui avait mené à son suicide a été de nouveau mis à jour. En conséquence, avec les révélations d’autres affaires de harcèlement d’étudiants par des professeurs d’université, l’université de Pékin est devenue la première institution de l’enseignement supérieur a mettre en place des mécanismes de prévention du harcèlement sur la totalité de son campus.

Ces trois épisodes symbolisent la propagation du mouvement contre le harcèlement sexuel en Chine depuis l’année dernière. Si la campagne de Zhang Leilei n’a pu atteindre le grand public, plus d’une centaine de personnes ont répondu à son appel sur les médias sociaux. Il s’agissait de jeunes féministes vivants dans différentes villes à travers la Chine. Cela a prouvé que parmi les jeunes gens qui connaissent le féminisme, le sujet du harcèlement sexuel a un fort potentiel de mobilisation.
Avec des scandales impliquant des célébrités comme « argument commercial », les informations concernant la tempête que constitue le mouvement #MeToo aux Etats Unis se sont inévitablement diffusées en Chine. Le mouvement américain a fourni (aux féministes) un encouragement à distance : dénoncer le harcèlement sexuel n’est pas honteux et le problème du harcèlement peut et doit être résolu. Inspiré par le mouvement #MeToo, Luo Qianqian  a été la première personne à dénoncer à visage découvert un cas de harcèlement sexuel, amenant le message du mouvement à une tribune encore plus large. Suivant leur revendication d’une mise en place de dispositifs de prévention du harcèlement sexuel, des membres du mouvement ont créé un groupe de jeunes fortement conscientisés sur le sujet. A partir de là, il était impossible de stopper la diffusion du message anti-harcèlement sexuel. Les gens continuaient à se le transmettre les uns aux autres et tandis qu’il était rapidement censuré en ligne, cette lutte ne faisait qu’étendre la diffusion du message.
L’affaire Gao Yan a été rendue publique durant Qingming Jie ( la fête des morts qui se déroule du 4 au 6 avril de chaque année). Après deux jours de censure sur les réseaux sociaux, les mass média ont commencé à parler de l’affaire. Les entraves à l’information furent surmontées et l’affaire est devenue la première concernant du harcèlement sexuel a réveiller la colère d’un nombre important de femmes et d’hommes. La responsabilité de l’université dans ces cas de harcèlement étant devenu le point focal de la discussion et face à la dénonciation de cas similaires dans d’autres institutions de l’enseignement supérieur, la diffusion du message est entrée de nouveau dans une période de prise de parole et de censure. Un jeu d’échec a commencé entre les gens et les autorités, appuyées par la haute technologie.
Un exemple : la nuit du 6 avril, de nombreux étudiants de l’université de Pékin suivaient les mises à jour postées par leur camarade Deng Yuhao, qui avait été convoqué par les autorités de l’école tard le soir ( du fait de sa demande d’une plus grande transparence concernant l’enquête sur l’agression sexuelle et le suicide de Gao Yan ). Une photo de l’événement qui a fuité montre de nombreux étudiants rassemblés dans une pièce et qui utilisent leur téléphone ( pour suivre les informations postées sur le Bulletin Board System  de l’école. Leurs publications en temps réel relatant les événements de cette nuit furent repris sur de nombreuses plate-formes en ligne. Néanmoins dans ce genre d’activité est source de danger et d’angoisse. Après cette soirée Yue Xin ( un autre étudiante) a été menacée et obligée de respecter un couvre-feu pour avoir participé à de telles activités ( comme de demander des informations sur la façon dont le cas de Gao Yan était traité) et demandé à l’école de prendre ses responsabilités. Yue Xin a publié un long et émouvant article ( bientôt traduit sur ce site) qui rend publiquement responsable ( de l’agression et de la mort de Gao Yan) l’université de Pékin, son article a été diffusé à d’autres groupes et a encouragé une compréhension plus profonde et un soutien aux réformes des systèmes de pouvoir comme moyen de combattre le harcèlement sexuel.
Après cet événement, il y eut une période de silence. Les divers groupes WeChat créés pour se concentrer sur ce sujet spécifique ont commencé à discuter d’autres choses. De temps à autre des gens demandaient « si il y avaient eu des développements récents. » Ils étaient avides d’informations, avides de nouvelles poussées d’activité qui ramènerait le sujet au centre de l’actualité. Mais le déclenchement d’un tel mouvement restait incertain. A partir de 2018, la norme était devenue claire : seul un cas individuel peut motiver un bond dans l’attention publique. De plus, ce dont il y avait besoin c’est d’un cas sérieux, clair et non anonyme de harcèlement sexuel.
Un période de baisse de l’intérêt public est difficile à éviter. En utilisant le programme d’index de WeChat, j’ai cherché quelle était la fréquence de l’usage du mot clé « harcèlement sexuel ». De janvier à avril ( de cette année), la fluctuation de la courbe du graphique suggère un certain entêtement. Chaque ondulation amenait avec elle un nouveau pic; chaque plongée, un moment pour s’en remettre.


A ce moment là, un cas de harcèlement sexuel impliquant le Professeur Zhang Peng de l’université Sun Yat Sen a Guangzhou a été de nouveau portée à l’attention du public, pour la plus grande satisfaction de ceux qui voulaient que le harcèlement redevienne un sujet de discussion publique, et provoquant une fois de plus un regain de popularité en ligne pour le mot-clé harcèlement sexuel. Selon moi la plus grande utilité qu’a eu l’affaire Zhang Peng a été d’étendre la conscience de la réalité du harcèlement. En plus, cet incident a mis à l’épreuve la formation des activistes et la volonté des spectateurs de s’engager personnellement dans la lutte contre le harcèlement sexuel. Par exemple, des organisation académiques étrangères importantes reçurent des informations ( sur cette affaire) fournies par des activistes chinois.
« Je me suis senti encouragé par les récents événements » a écrit une étudiantes qui révélait en ligne l’agression sexuelle subie de la part de Yuan Tianpeng « l’expert procédurier ». Quoique Yuan ne soit plus professionnellement actif, la sphère publique fut alarmée. Et si le travail de promotion de mécanisme anti-harcèlement à l’université a abouti à une impasse, le mouvement #MeToo a effectué là une nouvelle percée. Le 23 juillet, l’affaire Lei Chuang  a perturbé un grand nombre de gens dans ce secteur. Ce spécialiste de l’intérêt public – un jeune homme ambitieux actif depuis de nombreuses années et qui fournissait un très grand nombre de matériaux aux médias- avait pourtant aussi cet autre côté scandaleux. Mais à l’époque il semblait inapproprié à Deng Fei ( qui mène des actions pour les enfants abandonnés à la campagne) et à d’autres comme lui de s’impliquer dans cette affaire. Leur loyauté fraternelle envers Lei Chuang et leur tentative de le tirer de cette situation ne leur amena qu’une publicité négative. Quand le nom de Lei Chuang est apparu à la une de la presse, l’apologie qu’en avait fait Deng Fei également. Dans la sphère publique, (..) le patriarcat a finalement commencé à s’autodétruire.
A travers la mise en accusation de Lei Chuang, les gens ont ressenti la douleur physique et mentale que le harcèlement sexuel cause aux femmes, certains ayant été même atteint de nausée à la lecture des méfaits de Lei Chuang. Leur douleur est aussi horrifiante que routinière. Nos valeurs sociales peuvent être d’ores et déjà sévèrement polluées mais notre conscience intérieure est toujours forte, et comme le pétrole enfoui dans la terre, il suffit juste de l’atteindre avec précision pour qu’elle jaillisse à la surface. Beaucoup ont été émus par la torture subie par cette étudiante et par sa bravoure. Parmi les personnes émues par l’affaire , il y avait celle qui a révélé l’affaire Zhang When . Deux mois après son viol, elle a finalement décidé de parler. De plus, elle a clairement indiqué que ses mots n’étaient pas dirigés uniquement contre Zhang Wen, mais visaient à éviter que lui et d’autres puissent faire du mal à d’autres femmes dans l’avenir.
La censure vint rapidement et comme d’habitude, plus vite que prévu. Afin de permettre que le récit des « exploits » de Zhu Jun ( un présentateur de la télévision publique accusé de harcèlement) puisse être disponible un peu plus longtemps, les citoyens du net ont contre-attaqué. De nombreux comptes ont joint leurs forces pour partager les posts importants. Si les masses médias se sont emparés de l’affaire, l’ampleur et la durée de la fenêtre d’opportunité pour faire circuler cette information n’était pas prédéterminée, elle dépendait au contraire de la lutte. Chaque acte individuel contre la censure est significatif. C’est un âge sombre sans précédent et le désespoir peut vite s’installer quand on voit la haute technologie utilisée contre les gens. Mais d’un autre côté, c’est une époque dans laquelle les gens, un par un, prouvent que l’individu peut avoir du pouvoir, que la résistance marche, que la société ne meure pas mais peut renaître à chaque instant. Quand cette renaissance aura-t-elle lieu ? Dans l’accidentel réside l’inévitable. C’est le point principal de cet article : Les gens doivent reconnaître comment le féminisme est important dans ce pays du fait de son profond sens de la justice, de la force de sa conscience (…)
Ce que je décris c’est un féminisme qui est une philosophie de lutte avec une éthique de résistance qu’il faut maintenir dans les périodes sombres. Après la dissolution des forces dissidentes autrefois actives, le féminisme reste sur la ligne de front, plus mobilisé que jamais. Ce n’est pas parce qu’il a une stratégie unifiée, mais parce qu’il rassemble les expériences de millions de femmes qui étaient auparavant incapables de parler et de transformer leur colère en action. Il ne peut pas être éliminé car il n’est pas le fait d’une minorité, et d’un autre côté il ne peut pas être absorbé dans les systèmes existants, car chaque concession que fait le patriarcat au féminisme ne fait que le rapprocher de la crise. Le mouvement contre le harcèlement sexuel auquel nous assistons devrait de nouveau renforcer le respect des gens pour le féminisme.
Un simple papillon bat des ailes, mais on peut sentir dans cet battement un ouragan. Tous les papillons, qui se sont battus et sacrifiés anonymement, devraient être remerciés.

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