#MeToo en Chine (3) : l’affaire Gao Yan et ses suites

Une des affaires qui a eu le plus d’écho lors des différentes vagues de #MeToo, mouvement qui d’ailleurs continue avec cette fois-ci la mise en cause de la police de Guangzhou ,date pourtant de plus de vingt ans. Gao Yan, dont la photo orne ce post, était une étudiante prometteuse en littérature chinoise qui après avoir été violée par son professeur Shen Yang s’est suicidée en 1998. Le jour de la fête de Qing Ming (jour des morts célébré le 5 avril), une de ces anciennes amies de fac, Li Youyou, a publié un article intitulé «  Mr l’ancien professeur de l’université de Pékin Shen Yang, la mort de Gao Yan n’a-t-elle vraiment rien à voir avec vous ? » dans lequel elle rappelait qu’après l’avoir violée le professeur avait prétendu successivement qu’elle l’avait séduit puis qu’elle était folle, les rumeurs sur le campus ayant acculé Gao Yang à mettre fin à ses jours en mars 1998. Le texte devenu bientôt viral, lu et partagé par des millions de personnes a remis en lumière les agissements de Shen Yang. Ainsi une de ses victimes, Xu Hongyun, a témoigné auprès du site d’information Caixin du harcèlement dont elle avait l’objet de la part du professeur, témoignage très vite censuré. La complaisance des autorités universitaires a été également largement soulignée puisqu’il n’avait été condamné à l’époque qu’à une amende de 1 000 yuans. Si, au vu de l’écho de l’affaire, les universités de Nanjing et de Shanghai n’ont eu de choix que de mettre fin à leur collaboration avec Shen Yang, qui continue à clamer son innocence, l’affaire a rebondit quand on a appris que Yue Xin, une jeune étudiante de l’université de Pékin avait subi des pressions de toutes sortes pour avoir demandé des comptes à l’administration sur cette affaire.
Nous re-publions ici la traduction donnée de sa lettre ouverte par la radio en ligne LCF  ( nous avons rajouté la traduction du passage omis) :

Professeurs et élèves de l’Université de Pékin: salutations!
Je m’appelle Yue Xin, de l’école de langues étrangères promotion 2014, et je suis l’un des 8 étudiants qui ont soumis à l’université de Pékin le document sur la liberté de l’information ce 9 avril. Malgré ma grande fatigue, j’écris cette lettre pour expliquer ce qui m’est arrivé depuis:
Depuis le 9 avril, j’ai assisté à des discussions entre les professeurs et la direction au bureau des affaires étudiantes de l’université (1), dont deux se sont poursuivi jusqu’à une ou deux heures du matin. Au cours de ces discussions, le bureau m’a régulièrement laissé entendre que je n’aurai pas mon diplôme, et « que penseront ta grand-mère et ta mère », et « nous avons l’autorité de contacter directement tes parents sans passer par toi ». Par ailleurs, je prépare ma thèse et ces événements ont eu un impact négatif sur sa réalisation.
À midi, le 20 avril, j’ai reçu une réponse des autorités scolaires. Le secrétaire du comité du parti de l’École des langues étrangères, un enseignant du Bureau des affaires étudiantes et mon superviseur étaient tous présents, et le secrétaire du comité du Parti a lu la réponse de l’école à la demande d’accès à l’information: 
« Le manquement à l’éthique du professeur Shen Yang remarqué par des élèves était d’un niveau trop bas pour être sanctionné
L’université n’a pas les moyens d’accéder aux résultats de l’enquête menée par le Bureau de la Sécurité Publique
En raison d’une erreur, le texte de l’autocritique publique de Shen Yang a été perdu ». 
J’ai été déçu de cette réponse. Mais avec l’approche de la date limite pour ma soutenance de thèse, j’avais d’autres chats à fouetter. 
Vers 11 heures du soir, le 22 avril, mon supérieur a essayé d’appeler, mais je dormais. À 1 heure du matin, il est soudainement venu dans mon dortoir avec ma mère, m’a réveillé et m’a demandé de supprimer toutes les données relatives à la demande d’accès à l’information de mon téléphone et de mon ordinateur, et que je me rende au bureau des affaires étudiantes le lendemain matin pour garantir par écrit que je n’aurais plus à faire avec l’affaire. D’autres étudiants à mon étage peuvent témoigner. Peu de temps après, mes parents m’ont ramené à la maison et je n’ai toujours pas pu retourner à l’école.
Ma mère et moi n’avons pas dormi toute la nuit. Quand l’université l’a contactée, ils ont grossi l’affaire pour l’effrayer et la soumettre. Notre relation a largement pâtit cet événement. La manière d’agir est intolérable, l’université a franchi une ligne rouge. J’avais peur, mais j’étais furieux.
La demande d’accès à l’information était-elle un crime? Je n’avais rien fait de mal et je ne regrettais pas d’avoir exercé mon droit d’étudiant à l’Université de Pékin.
J’aime ma mère. Je l’admire et la respecte profondément depuis 20 ans. J’ai eu le coeur brisé de la voir gémir, se mettre à genoux et supplier et même menacer de se suicider. Face à ses supplications, je n’ai eu d’autre choix que de rentrer temporairement à la maison mais par principe, je ne pouvais pas faire marche arrière. Le compromis ne peut pas résoudre tous les problèmes. Je n’avais d’autre choix que d’écrire ce témoignage, de raconter toute l’histoire.
Je suis très agitée donc pardonnez moi si mon propos vous semble décousu.
Par la présente lettre, je lance l’appel formel suivant à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin:
a) L’Ecole des Langues Etrangères de l’Université de Pékin doit fournir une explication écrite des règlements en vertu desquels ils ont indûment fait pression sur mes parents, forcé l’entrée dans mon dortoir au milieu de la nuit, et exigé que je supprime toutes les données la demande de liberté d’information. Il doivent admettre les violations de la loi et des règlements commises au cours de cette procédure et prendre des mesures pour empêcher que ce genre d’épisode ne se reproduise.
b) L’école doit immédiatement cesser toute pression sur ma famille, et offrir des excuses à ma mère, pour aider à restaurer notre relation entachée par cette affaire.
c) L’école doit publier une assurance écrite que cette question n’affectera pas mon diplôme, et ne perturbera plus le travail sur ma soutenance de thèse.
d) L’université a la responsabilité de prévenir tout effet négatif que cette matière pourrait avoir sur mes études, mon futur emploi, ma famille, etc.
Je me réserve tous les droits d’intenter d’autres actions judiciaires contre des individus et des unités de travail impliqués, y compris, mais sans s’y limiter, de signaler les violations graves de la discipline scolaire à l’Université de Pékin et aux autorités supérieures.
Yue Xin, étudiante de premier cycle de la promotion de 2014 à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin.

(1) : Le bureau des affaires étudiantes est selon la définition donnée sur le site de l’université, « une section administrative placé sous l’autorité de la direction du comité du Parti de l’université conjointement au département des forces armées populaires. Le bureau est responsable de l’éducation politique et idéologique, de la gestion des normes de comportement et des opportunités de développement personnel pour les étudiants. »

Ce coup de pression et le courage de Yue Xin a provoqué une vive réaction
des étudiants de l’université qui ont collé des affiches ( assez vite enlevées ,une caméra ayant même été installée en face du lieu de l’affichage !)
pour la soutenir, comparant son geste à ceux des étudiants du mouvement du 4 mai 1919. Le 30 avril, Yue Xin a pu publier, sous le pseudonyme de Mu Tian, un nouveau texte intitulé « Une semaine après ma lettre ouverte » dans lequel on pouvait lire ( tous les textes de Yue Xin ont été traduits en anglais par le China Digital Times) :

« Le mardi 24 avril je me suis senti un peu plus calme et je pensais continuellement : je ne suis qu’une personne ordinaire qui fait des choses ordinaires, je ne suis en rien une combattante ou une héroïne. Si j’étais considéré comme une combattante et une héroïne, cela voudrait seulement dire que que ce système est trop plein d’anormalités et d’irrationalité.
Dans le même temps je réfléchissais car j’étais en train d’écrire ma présentation, et je me disais que j’ai reçu une attention inhabituelle car j’étais étudiante à l’université de Pékin. Au même moment, mes amis travailleurs qui résistaient recevaient beaucoup moins d’attention et d’aide. Si je me tiens pas au côté de ces amis travailleurs, il n’y a pas de doute que j’ai volé une attention et une aide qui devraient en vérité leur revenir.
Ce jour là j’ai écris dans mon journal : «  nous devons chérir tout ce que nous avons et plus encore nous devons parler pour ces gens qui ne parviennent pas à se faire entendre. » J’espère avoir la capacité de défendre plus de gens, d’aider plus de gens et pas le contraire. Je vois la la pneumoconiose (affection pulmonaire attribuable à l’inhalation de poussières minérales dans les mines et dans d’autres lieux de travail), je vois les accidents du travail, je vois mes amis grutiers quand ils résistent.
Le 25 avril, je dinais quand une amie travailleuse est venue et s’est assise à côté de moi. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait secrètement s’assoir que là car c’était le seul endroit sans caméra et sans cet endroit elle n’aurait pas le droit de se reposer. Le vendredi 27 avril, je marchais sur la route et je regardais mes amis travailleurs blottis sous un pont dans une chaude après-midi.
La journée internationale des travailleurs sera bientôt là; tant de travailleurs souhaitent se reposer, la situation est si dure.
Voir mes amis travailleurs soutenir d’autres travailleurs m’a poussé à mobiliser mon courage : comparée à la situation de ces gens à qui on doit leurs salaires, qui font des heures sups, sans vacances, avec des blessures et des maladies, et qui n’ont ni la nourriture ni l’habillement garantis, la pression à laquelle je fais face n’a vraiment rien de terrible et je n’ai aucun motif de battre en retraite. C’est seulement si nous continuons à nous mobiliser courageusement, à résister et nous battre pour un meilleur système, que nous pourrons garantir que nos camarades de classe et de travail pourront résister et exercer leurs droits, c’est seulement ainsi que nous pourrons éviter qu’ils soient frappés si durement.
Depuis le 23 avril, mon compte public sur WeChat « MuTianWuHua » a reçu 1774 yuans de dons. Après avoir déduit les 1% de charges de service, cela fait 1756 yuans. Au nom de tous mes amis, je vais prendre ces dons et les donner aux travailleurs qui luttent contre la pneumoconiose, même si c’est bien insuffisant.
A partir de maintenant je vais me tenir aux côté des travailleurs du monde. »

Yue Xin ne s’est pas arrêtée là puisque quelques jours plus tard elle a publié un texte « Education et privilège » dans lequel elle revenait de façon surprenante sur son parcours. Nous traduisons ici quelques extraits significatifs ( l’intégralité en chinois et en anglais est disponible sur le site du China Digital Times) :

« Je suis née dans une famille standard de la classe moyenne de Pékin. J’ai un Hukou (Permis de séjour) pékinois, ma famille a un appartement à Pékin. Je me sens coupable quand j’écris cela parce que pour la plupart des chinois, ce sont des choses inatteignables même si ils travaillent dur toute leur vie. Moi je suis née avec.
Ma mère est employée d’une institution publique mais elle gagne la plupart de ses revenues en faisant de la logistique. Mon père était fonctionnaire avant de prendre sa retraite. C’est principalement ma mère qui fait vivre la famille. Je dis que je viens d’une famille de la classe moyenne par ce que d’un côté je n’ai jamais eu à me préoccuper de mon bien-être matériel avant de devenir adulte; tandis que d’un autre côté, j’avais des amis d’enfance qui venaient de familles très riches, et je ne dépenserai jamais de ma vie autant d’argent qu’eux. Curieusement, j’ai appris le mot « classe moyenne » quand j’avais 6 ans et que j’étais en première année d’école primaire. Maintenant j’ai 20 ans et je pense toujours que cette phrase décrit bien la situation de ma famille. (…)
Je suis très reconnaissante à mes parents de m’avoir permis de ne pas avoir de problèmes matériels et de grandir dans un environnement éducatif détendu. Bien sûr, je suis consciente qu’ils ne pensent pas comme moi. Par exemple, ils sont incapables de comprendre les questions LGBT, de même qu’ils ne comprennent pas que le fait d’être végétarien puisse tenir à des motifs éthiques plus que religieux. (…) Pour ce qui est de la religion, mes parents sont comme la plupart des chinois : ils ne sont pas religieux, mais ne sont pas expressément athées non plus. Après tout de vrais athées n’iraient pas au temple avant l’examen d’entrée à l’université de leur enfant, ne paieraient pas pour y prier et n’y retourneraient pas pour exprimer leur gratitude après que leur enfant ait été admis à l’université de Pékin. Néanmoins comme la plupart des enfants chinois j’ai grandi dans un environnement laïque. Ce n’est que quand j’ai visité l’Indonésie et que j’ai appris à travers des entretiens l’oppression que ressentaient les enfants de familles dévotes que je me suis sentie vraiment chanceuse d’avoir grandi dans un pays et une famille laïques.
On peut dire sans risquer de se tromper que ces vingt premières années de ma vie a été marquées par une très grande chance. J’ai pu passer d’une bonne école primaire directement dans un bon collège grâce à des entretiens préalables; à l’entrée au lycée, j’ai juste eu assez de points à l’examen pour entrer dans le lycée affilié à l’université Renmin; et enfin j’ai réussi l’examen qui m’a permis de rentrer à l’université de Pékin. Dans mes premières années à la fac, j’ai pu avoir un soutien de l’État pour être admise dans une université étrangère et je suis devenue la seule étudiante de mon département à pouvoir étudier à l’étranger avec le soutien de l’État. Face à cette bonne fortune, je n’ai aucune intention de remercier Dieu. D’abord parce que je ne crois pas en Dieu et ensuite parce que mes études de sociologie m’ont appris que tout cela est le résultat de l’injustice structurelle de la société. Si je remercie Dieu et me sens bien avec moi même, je suis à la fois stupide et mauvaise. L’injustice ne concerne pas que le hukou ou ma région d’origine, elle tient à l’examen et aux conditions d’admission elles-même. Je n’ai pas eu une très bonne note en maths. De même ma moyenne dans les arts libéraux était beaucoup moins bonne que lors des préparation à l’examen. On peut dire que le 20/20 que j’ai eu dans la partie « essais » est la seule raison pour laquelle j’ai eu assez de points pour rentrer à l’université de Pékin. Et ceux qui me connaissent ou qui ont lu mes articles savent que mon style n’est pas si bon et que je ne rédige pas mieux que les autres élèves. Si j’ai eu la meilleure note pour la partie « essais » c’est principalement à cause du « sens de la responsabilité sociale » que reflétait mon texte. Bien sûr ce sens de la responsabilité sociale était réel. Je ne pouvais pas m’empêcher de le montrer dans l’essai. Mais néanmoins si je fais montre d’un peu de pensée rationnelle sur les question sociales et d’esprit critique sur les injustices sociales, c’est seulement à cause de l’éducation que j’ai reçue à l’école et à mes lectures extra-scolaires; j’ai pu avoir accès à ces superbes ressources éducatives et opportunités extra-scolaires alors que ce n’est pas le cas pour la plupart des personnes. Au bout du compte, c’est une injustice sociale. (…)
Si je devais résumer ma famille, mes origines et mon éducation, alors je serais obligé de dire qu’on a là une chaine causale bien cruelle : je suis né avec un hukou pékinois et un très bon environnement familial. J’ai eu ensuite une superbe éducation élémentaire et secondaire, ce qui m’a permis d’intégrer l’université de Pékin sans subir de tortures inhumaines. Et intégrer l’université de Pékin suppose de bénéficier de la réputation et même des avantages matériels qui vont avec cette marque : si je n’avais pas intégré l’université de Pékin, je n’aurais pas eu cette petite réputation en donnant des cours d’éducation sexuelle aux enfants d’un village ( Yue Xin a donné des cours d’éducation sexuelle dans le Yunnan en 2015) ; si je n’avais pas rejoint cette université, les articles que j’ai envoyé au Southern Weekly n’auraient pas pris une telle importance dans le journal, même si les rédacteurs les aimaient bien et je n’aurais donc pas eu de ressources stables comme étudiante (…) Et dans le futur proche, la réputation de mon école va m’apporter d’autres bénéfices, même si cette réputation est principalement due à mes prédécesseurs et non à mes propres efforts.
Si nous disons « Quand vous êtes pauvres, occupez vous de votre propre vertu; quand vous êtes riches partagez là avec le monde entier »; si on dit « ceux qui sont dans le train ont la responsabilité d’avancer », alors je suis une de ces personnes « dans le train ». Je n’ose même pas penser, combien de gens j’ai « mangé » —pour utiliser une expression de Lu Xun- au fil de mon parcours. Quoiqu’étant athée je fais peut-être des erreurs quand je me réfère au christianisme, je tiens tout de même à utiliser une métaphore que vous comprendrez aisément : je dois admettre que souvent j’ai l’impression de porter le péché originel. Ce péché originel ne vient pas du royaume de Dieu, mais plutôt du royaume deshommes. Je porte le péché originel des injustice structurelles de toute cette société.
Mes capacité sont limitées et j’ai beaucoup d’insuffisances. Mais je suis pleinement consciente de mon devoir de travailler dur chaque jour pour m’améliorer et pour essayer quelque chose pour rendre cette société meilleure – beaucoup de ma motivation provient de mon profond malaise et de mon sentiment de culpabilité.
Je n’ai aucune raison de ne pas avancer; je n’ai aucune raison d’avancer uniquement pour mon bien propre. »

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