#MeToo en Chine (1) : premier bilan

Alors qu’on célèbre le premier anniversaire du mouvement #MeToo, nous revenons dans une courte série de posts, sur son écho et son évolution en Chine. Pour commencer nous présentons une traduction (depuis la version anglaise établie par Emile Dirks et Winnie Shen) du texte de la féministe Lü Pin qui retrace justement les différentes phases traversées par le mouvement.

Les origines de « #MeToo » en Chine : de papillons en ouragans- La dissémination d’un point de vue.

Le 26 juillet 2018, beaucoup de personnes ont dit avec un soupir de soulagement : #MeToo est finalement arrivé en Chine. Après plusieurs jours d’agitation qui ont succédé à la révélation le 23 juillet de soupçons de harcèlement sexuel contre une figure publique célèbre, Lei Chuang ( le dirigeant d’une ONG venant en aide aux malades de l’Hépatite B en Chine), les révélations et les débat sur le harcèlement sexuel sont devenus des sujets de conversations explosifs. Certains ont qualifié cette journée d’historique pour le féminisme chinois. Certains, i-compris moi même, étions extrêmement enthousiaste. Bien évidemment, d’autres étaient plus pessimistes et disaient que le mouvement #MeToo n’allait pas tarder à s’estomper.
Laissez les balles voler, laissez voler un peu plus longtemps ( Il s’agit probablement ici d’une allusion à film chinois Let the Bullet Fly ). Dans une société de plus en plus stable, il est rare de se sentir bousculé. Même si les gens remarquent souvent de façon cynique que « le pays est fichu », ils n’avaient pourtant jamais vraiment vu le pourriture du système, donc lorsque celle-ci a été révélée au grand jour, ils ont été choqués. Dénoncer Lei Chuang n’est toutefois qu’une première étape. Beaucoup de personnes temporisent encore et non pas encore dit à voix haute ce qu’ils ont sur le coeur. Sur le long terme, le harcèlement sexuel n’est pas un ulcère putride qu’on peut simplement extraire mais plutôt une maladie interne se propageant de l’intérieur vers l’extérieur. Du diagnostic au traitement, il s’agit d’un processus ne peut pas être accompli du jour au lendemain.
De fait, les femmes ont toujours été en colère. Mais elles restaient isolées car elles étaient enclavées par le patriarcat, leur colère le plus souvent mise de côté et transformée en trauma. « J’y suis devenu imperméable » a écrit une femme qui a raconté avoir été agressée sexuellement par le présentateur de la télévision chinoise ( CCTV) Zhu Jun . Pourtant quand une femme se lève, les gens s’en rendent compte. Et quand ces femmes se lèvent à tour de rôle, de plus en plus de gens vont s’en apercevoir. C’est le mouvement des femmes : une convergence de colères. La même femme décrit ainsi sa vision du mouvement actuel : « Commençant l’année dernière, le mouvement des droits des femmes a été une étincelle, et même si elle est faible, elle nous guide ».
Ce n’est pas que #MeToo est « finalement arrivé en Chine » mais plutôt, que depuis l’année dernière, #MeToo est apparu et ré-apparu en Chine, atteignant à chaque fois de nouveaux niveaux de « viralité » et exposant toujours de plus de personnes au mouvement. #MeToo a été présent en Chine depuis longtemps et s’est constamment efforcé d’avancer. Voici trois incidents qui se déroulés depuis l’année dernière :

En mai 2017, l’activiste féministe Zhang LeiLei a lancé sa campagne de femme-sandwich contre le harcèlement sexuel. Bien qu’on lui ait vite ordonné d’arrêter, la campagne a produit un résultat inattendu : la première message dans les wagons de métro en Chine qui incluait les mots « harcèlement sexuel »

En janvier 2018, Luo Qianqian révéla l’expérience de harcèlement sexuel qu’elle avait subi de la part du professeur Chen Xiaowu de l’université d’aéronautique et d’astronautique de l’université et mobilisa plus de trois milles personnes pour qu’elles écrivent à l’université (pour soutenir son action). Peu après, neuf mille étudiants et anciens élèves de soixante-dix écoles à travers le pays écrirent en même temps à leurs institutions respectives et au ministère de l’éducation pour demander la création de mécanismes de prévention du harcèlement sexuel dans l’éducation supérieure. Le 14 janvier, le ministère de l’éducation a annoncé qu’il allait faire des recherches dans le sens de cette proposition.

En avril 2018, l’agression sexuelle subie il y a vingt ans par Gao Yan, qui avait mené à son suicide a été de nouveau mis à jour. En conséquence, avec les révélations d’autres affaires de harcèlement d’étudiants par des professeurs d’université, l’université de Pékin est devenue la première institution de l’enseignement supérieur a mettre en place des mécanismes de prévention du harcèlement sur la totalité de son campus.

Ces trois épisodes symbolisent la propagation du mouvement contre le harcèlement sexuel en Chine depuis l’année dernière. Si la campagne de Zhang Leilei n’a pu atteindre le grand public, plus d’une centaine de personnes ont répondu à son appel sur les médias sociaux. Il s’agissait de jeunes féministes vivants dans différentes villes à travers la Chine. Cela a prouvé que parmi les jeunes gens qui connaissent le féminisme, le sujet du harcèlement sexuel a un fort potentiel de mobilisation.
Avec des scandales impliquant des célébrités comme « argument commercial », les informations concernant la tempête que constitue le mouvement #MeToo aux Etats Unis se sont inévitablement diffusées en Chine. Le mouvement américain a fourni (aux féministes) un encouragement à distance : dénoncer le harcèlement sexuel n’est pas honteux et le problème du harcèlement peut et doit être résolu. Inspiré par le mouvement #MeToo, Luo Qianqian  a été la première personne à dénoncer à visage découvert un cas de harcèlement sexuel, amenant le message du mouvement à une tribune encore plus large. Suivant leur revendication d’une mise en place de dispositifs de prévention du harcèlement sexuel, des membres du mouvement ont créé un groupe de jeunes fortement conscientisés sur le sujet. A partir de là, il était impossible de stopper la diffusion du message anti-harcèlement sexuel. Les gens continuaient à se le transmettre les uns aux autres et tandis qu’il était rapidement censuré en ligne, cette lutte ne faisait qu’étendre la diffusion du message.
L’affaire Gao Yan a été rendue publique durant Qingming Jie ( la fête des morts qui se déroule du 4 au 6 avril de chaque année). Après deux jours de censure sur les réseaux sociaux, les mass média ont commencé à parler de l’affaire. Les entraves à l’information furent surmontées et l’affaire est devenue la première concernant du harcèlement sexuel a réveiller la colère d’un nombre important de femmes et d’hommes. La responsabilité de l’université dans ces cas de harcèlement étant devenu le point focal de la discussion et face à la dénonciation de cas similaires dans d’autres institutions de l’enseignement supérieur, la diffusion du message est entrée de nouveau dans une période de prise de parole et de censure. Un jeu d’échec a commencé entre les gens et les autorités, appuyées par la haute technologie.
Un exemple : la nuit du 6 avril, de nombreux étudiants de l’université de Pékin suivaient les mises à jour postées par leur camarade Deng Yuhao, qui avait été convoqué par les autorités de l’école tard le soir ( du fait de sa demande d’une plus grande transparence concernant l’enquête sur l’agression sexuelle et le suicide de Gao Yan ). Une photo de l’événement qui a fuité montre de nombreux étudiants rassemblés dans une pièce et qui utilisent leur téléphone ( pour suivre les informations postées sur le Bulletin Board System  de l’école. Leurs publications en temps réel relatant les événements de cette nuit furent repris sur de nombreuses plate-formes en ligne. Néanmoins dans ce genre d’activité est source de danger et d’angoisse. Après cette soirée Yue Xin ( un autre étudiante) a été menacée et obligée de respecter un couvre-feu pour avoir participé à de telles activités ( comme de demander des informations sur la façon dont le cas de Gao Yan était traité) et demandé à l’école de prendre ses responsabilités. Yue Xin a publié un long et émouvant article ( bientôt traduit sur ce site) qui rend publiquement responsable ( de l’agression et de la mort de Gao Yan) l’université de Pékin, son article a été diffusé à d’autres groupes et a encouragé une compréhension plus profonde et un soutien aux réformes des systèmes de pouvoir comme moyen de combattre le harcèlement sexuel.
Après cet événement, il y eut une période de silence. Les divers groupes WeChat créés pour se concentrer sur ce sujet spécifique ont commencé à discuter d’autres choses. De temps à autre des gens demandaient « si il y avaient eu des développements récents. » Ils étaient avides d’informations, avides de nouvelles poussées d’activité qui ramènerait le sujet au centre de l’actualité. Mais le déclenchement d’un tel mouvement restait incertain. A partir de 2018, la norme était devenue claire : seul un cas individuel peut motiver un bond dans l’attention publique. De plus, ce dont il y avait besoin c’est d’un cas sérieux, clair et non anonyme de harcèlement sexuel.
Un période de baisse de l’intérêt public est difficile à éviter. En utilisant le programme d’index de WeChat, j’ai cherché quelle était la fréquence de l’usage du mot clé « harcèlement sexuel ». De janvier à avril ( de cette année), la fluctuation de la courbe du graphique suggère un certain entêtement. Chaque ondulation amenait avec elle un nouveau pic; chaque plongée, un moment pour s’en remettre.


A ce moment là, un cas de harcèlement sexuel impliquant le Professeur Zhang Peng de l’université Sun Yat Sen a Guangzhou a été de nouveau portée à l’attention du public, pour la plus grande satisfaction de ceux qui voulaient que le harcèlement redevienne un sujet de discussion publique, et provoquant une fois de plus un regain de popularité en ligne pour le mot-clé harcèlement sexuel. Selon moi la plus grande utilité qu’a eu l’affaire Zhang Peng a été d’étendre la conscience de la réalité du harcèlement. En plus, cet incident a mis à l’épreuve la formation des activistes et la volonté des spectateurs de s’engager personnellement dans la lutte contre le harcèlement sexuel. Par exemple, des organisation académiques étrangères importantes reçurent des informations ( sur cette affaire) fournies par des activistes chinois.
« Je me suis senti encouragé par les récents événements » a écrit une étudiantes qui révélait en ligne l’agression sexuelle subie de la part de Yuan Tianpeng « l’expert procédurier ». Quoique Yuan ne soit plus professionnellement actif, la sphère publique fut alarmée. Et si le travail de promotion de mécanisme anti-harcèlement à l’université a abouti à une impasse, le mouvement #MeToo a effectué là une nouvelle percée. Le 23 juillet, l’affaire Lei Chuang  a perturbé un grand nombre de gens dans ce secteur. Ce spécialiste de l’intérêt public – un jeune homme ambitieux actif depuis de nombreuses années et qui fournissait un très grand nombre de matériaux aux médias- avait pourtant aussi cet autre côté scandaleux. Mais à l’époque il semblait inapproprié à Deng Fei ( qui mène des actions pour les enfants abandonnés à la campagne) et à d’autres comme lui de s’impliquer dans cette affaire. Leur loyauté fraternelle envers Lei Chuang et leur tentative de le tirer de cette situation ne leur amena qu’une publicité négative. Quand le nom de Lei Chuang est apparu à la une de la presse, l’apologie qu’en avait fait Deng Fei également. Dans la sphère publique, (..) le patriarcat a finalement commencé à s’autodétruire.
A travers la mise en accusation de Lei Chuang, les gens ont ressenti la douleur physique et mentale que le harcèlement sexuel cause aux femmes, certains ayant été même atteint de nausée à la lecture des méfaits de Lei Chuang. Leur douleur est aussi horrifiante que routinière. Nos valeurs sociales peuvent être d’ores et déjà sévèrement polluées mais notre conscience intérieure est toujours forte, et comme le pétrole enfoui dans la terre, il suffit juste de l’atteindre avec précision pour qu’elle jaillisse à la surface. Beaucoup ont été émus par la torture subie par cette étudiante et par sa bravoure. Parmi les personnes émues par l’affaire , il y avait celle qui a révélé l’affaire Zhang When . Deux mois après son viol, elle a finalement décidé de parler. De plus, elle a clairement indiqué que ses mots n’étaient pas dirigés uniquement contre Zhang Wen, mais visaient à éviter que lui et d’autres puissent faire du mal à d’autres femmes dans l’avenir.
La censure vint rapidement et comme d’habitude, plus vite que prévu. Afin de permettre que le récit des « exploits » de Zhu Jun ( un présentateur de la télévision publique accusé de harcèlement) puisse être disponible un peu plus longtemps, les citoyens du net ont contre-attaqué. De nombreux comptes ont joint leurs forces pour partager les posts importants. Si les masses médias se sont emparés de l’affaire, l’ampleur et la durée de la fenêtre d’opportunité pour faire circuler cette information n’était pas prédéterminée, elle dépendait au contraire de la lutte. Chaque acte individuel contre la censure est significatif. C’est un âge sombre sans précédent et le désespoir peut vite s’installer quand on voit la haute technologie utilisée contre les gens. Mais d’un autre côté, c’est une époque dans laquelle les gens, un par un, prouvent que l’individu peut avoir du pouvoir, que la résistance marche, que la société ne meure pas mais peut renaître à chaque instant. Quand cette renaissance aura-t-elle lieu ? Dans l’accidentel réside l’inévitable. C’est le point principal de cet article : Les gens doivent reconnaître comment le féminisme est important dans ce pays du fait de son profond sens de la justice, de la force de sa conscience (…)
Ce que je décris c’est un féminisme qui est une philosophie de lutte avec une éthique de résistance qu’il faut maintenir dans les périodes sombres. Après la dissolution des forces dissidentes autrefois actives, le féminisme reste sur la ligne de front, plus mobilisé que jamais. Ce n’est pas parce qu’il a une stratégie unifiée, mais parce qu’il rassemble les expériences de millions de femmes qui étaient auparavant incapables de parler et de transformer leur colère en action. Il ne peut pas être éliminé car il n’est pas le fait d’une minorité, et d’un autre côté il ne peut pas être absorbé dans les systèmes existants, car chaque concession que fait le patriarcat au féminisme ne fait que le rapprocher de la crise. Le mouvement contre le harcèlement sexuel auquel nous assistons devrait de nouveau renforcer le respect des gens pour le féminisme.
Un simple papillon bat des ailes, mais on peut sentir dans cet battement un ouragan. Tous les papillons, qui se sont battus et sacrifiés anonymement, devraient être remerciés.

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