Autogestion et décolonisation : la réalisation d’un socialisme islamique ?

« Le thème d’un rattachement à un collectivisme islamique primitif est fort peu développé dans la campagne radiophonique du BNASS mais il est constant dans les discours du président, qui tient par là à rassurer le nationalisme algérien : «  Nous ne sommes pas des communistes. Nous sommes des musulmans et des arabes. Nous voulons appliquer l’Islam, comme l’ont fait les premiers khalifes, comme Ibn Kettab, c’est à dire en instaurant l’égalité entre tous et en procurant le bonheur et le bien-être de chacun ». Moins soucieux des inquiétudes, sinon de l’hostilité, des forces religieuses, mais sans engager le combat, le BNASS préfère une position « naturaliste » : (…) « l’autogestion est l’aboutissement d’une mentalité collective naturelle que cent trente ans de colonisation n’a fait que renforcer et qui a muri radicalement dans les sept années d’opposition révolutionnaire. » François Duprat Révolution et autogestion rurale en Algérie

« … (A cet effet) il est au reste très souhaitable que le Parti organise un séminaire sur ce problème de l’enseignement religieux… car il s’agit de sauvegarder et d’enrichir ce patrimoine qui, après avoir été l’âme de la résistance algérienne sera l’âme de l’édification socialiste’. Ainsi, l’islam et le socialisme seront les deux pôles de la dynamique globale de notre révolution et l’Algérie socialiste, ouvrière et paysanne, aura bien prouvé sa capacité de trouve en elle-même les ressources nécessaires à sa renaissance nationale. » Révolution et Travail, 18 septembre 1964

« En Algérie l’Islam n’a pas été seulement une religion tolérante mais un ferment social libérateur. Que ceux qui veulent souiller l’Islam en essayant de l’utiliser dans un sens hostile au progrès sachent qu’ils ne pourront pas continuer indéfiniment à agir de la sorte, car ils n’ont pu le faire jusqu’à présent qu’en profitant d’une tolérance excessive de notre part et d’une certaine confusion qu’ils contribuent d’ailleurs largement à maintenir : l’Islam, loin d’être contraire à notre option, s’identifie, dans l’esprit des masses, à l’égalité et va dans le sens du socialisme… », disait Ben Bella en avril 1964. Le débat n’est pas clos. On a même tenté de justifier l’autogestion par le thème de l’équité en Islam, reprenant des principes des Oulémas et de Ben Badis (édités en 1936). Ceux-ci soulignent que l’Islam est « …la religion de la fraternité humaine, à l’égard de tout le genre humain, [qui] impose, comme règle absolue, la justice entre tous les hommes… [qui] appelle à l’intervention en faveur des opprimés et à l’application de sanctions à l’encontre des oppresseurs, [qui] condamne l’asservissement de l’homme par l’homme… son régime est essentiellement démocratique et n’admet point l’absolutisme, même au profit de l’homme le plus juste… » Bruno Étienne Algérie : culture et révolution.

A SUIVRE…

La question des « racines pré-coloniales » de l’autogestion : la segmentarité et ses critiques

On peut difficilement clore ces quelques notes sur les « racines pré-coloniales » de l’autogestion et aborder le rapport de cette dernière à la décolonisation en Algérie mais aussi ailleurs, sans mentionner les analyses en termes de segmentarité et les critiques qui en ont été faites.

La définition donnée par Jeanne Favret Saada dans son article « La segmentarité au Maghreb » repris dans Algérie 1962-1964. Essais d’Anthropologie politique nous a semblé la plus éclairante :  » La segmentarité constitue la stratégie politique de groupes tribaux soucieux d’éviter, autant que possible, l’emprise de l’État. (…) Ce qui unit une tribu nord-africaine selon Ernest Gellner [dont les études sur le Maroc ont été fondatrices des analyses segmentaires du Maghreb] c’est d’abord la volonté d’autonomie vis à vis du pouvoir central. Ce choix essentiel de la marginalité -politique sinon culturelle- est renforcé ou rendu possible par une organisation fondée sur le principe de segmentarité, l’opposition équilibrée des groupes tient lieu d’institutions politiques spécialisées, dont on ne trouve d’ailleurs pas la trace au Maghreb (…) La segmentarité est ici la conséquence de l’état de dissidence dans lequel vivent les tribus et l’on peut exprimer son principe en contrariant l’adage :  » Divisez-vous pour ne pas être gouvernés ». » Ou encore via ce proverbe arabe (cité par Favret-Saada) :  » Moi contre mes frères, mes frères et moi contre mon cousin, mes cousins, mes frères et moi contre le monde ».

Continuer la lecture de « La question des « racines pré-coloniales » de l’autogestion : la segmentarité et ses critiques »

La rente, l’Etat et la révolte : VenezuelAlgérie ?

Quel parallèle peut-on faire entre les pouvoirs vénézuéliens et algériens alors que ces deux régimes « pétroprétoriens », aux trajectoires historiques bien différentes, traversent chacun une crise majeure ? Avant de se prêter modestement à cette comparaison, signalons qu’elle a déjà fait l’objet de recherches et d’analyses.

Tout d’abord ce parallèle a été ébauché par Marc St-Upery sur son blog sur Mediapart, qui constitue avec le site barril.info , deux sources absolument primordiales pour comprendre ce qui se passe au Venezuela sans les habituelles oeillères campistes et autres sinistres redites « anti-imperialistes ».

Nous reproduisons la note de St-Upery  : « L’idée que l’État maduriste est « dominé par les mafias » est un leitmotiv des hauts fonctionnaires bolivariens ayant rompu avec le régime. Voir Marc Saint-Upéry, « Ce que disent d’ex-ministres et fonctionnaires de Chávez du régime de Maduro », Mediapart, 19 mai 2018, J’emprunte le terme « militaro-affairiste » à Omar Benderra (« Un été à Alger : cocaïne, charlatanisme et choléra », Algeria-Watch, ) dans le souci de pointer la potentielle fécondité heuristique d’une comparaison terme à terme – à même de dégager les ressemblances et les différences pertinentes – avec d’autres systèmes à base largement prétorienne et rentière, comme le régime algérien. Pour une bonne description de l’évolution récente de ce dernier et de son caractère, précisément, « militaro-affairiste » et clanique, voir Habib Souaïdia, « Le séisme politique au sein de la “coupole” des décideurs algériens de l’été 2018 », Algeria-Watch, ). Voir aussi le débat entre François Gèze, Omar Benderra et Habib Souaïdia sur YouTube .

Par ailleurs une journée d’étude du CNRS, organisée par Fatiha Talahite et Paula Vásquez Lezama, qui s’est tenue le 2 mai 2018, s’intitulait «  Rente pétrolière, crise de l’État et inégalités en Algérie et au Vénézuela ». On peut voir les vidéos des différentes et éclairantes interventions sur internet.

Nous reproduisons ici la présentation de cette journée d’étude :

« L’Algérie et le Venezuela, bien qu’appartenant à des continents et des aires culturelles différents, partagent de nombreuses caractéristiques tant économiques que politiques : avec une population comparable, ils sont tous deux producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz et membres de l’OPEP. La modernité y est intrinsèquement liée au secteur des hydrocarbures et aux effets de leur revenu sur tous les domaines de la vie sociale. Leur histoire contemporaine est jalonnée d’épisodes de populisme, d’économie administrée et de libéralisation, dont les séquences ne coïncident cependant pas. Ils traversent aujourd’hui une grave crise économico-politique – aggravée par la chute du prix du pétrole en 2014 – dont l’un des effets et de décourager les investissements étrangers, ce qui se traduit par une baisse de la production de pétrole et de gaz et une difficulté à diversifier les exportations. Il s’agit de comparer les expériences des deux pays et de discuter des grilles de lecture et des outils d’analyse. »

Enfin nous reproduisons un extrait de l’interview donnée à Jeune Afrique en novembre 2018 par Omar Berkouk qui établissait également un parallèle dans la crise à venir face à l’épuisement des réserves de change.

« Les réserves de change de l’Algérie s’érodent à un rythme tel qu’elles risquent d’être totalement asséchées à l’horizon 2023. Les conséquences d’une telle perspective seraient tellement lourdes sur les plans économique et politique que des spécialistes n’excluent pas, toutes proportions gardées, un scénario semblable à celui du Venezuela.
Le pays d’Hugo Chavez, dont le modèle économique et politique ressemble à celui de l’Algérie, est plongé dans la tourmente suite à l’effondrement des cours du pétrole et l’épuisement de ses réserves de change. Pénuries, inflation démentielle, émeutes, troubles politiques, crise migratoire… Le Venezuela vit le chaos. Dans son dernier rapport, daté du lundi 19 novembre, l’International crisis group (ICG) avertit que l’Algérie risque d’entrer dans une crise économique dès l’année 2019, qui coïncide avec l’élection présidentielle. L’économiste et expert financer Omar Berkouk décrypte pour Jeune Afrique l’érosion de ces réserves de change et son impact sur le pays.

Jeune Afrique : Les réserves de change de l’Algérie, qui étaient de 194 milliards de dollars (environ 170 milliards d’euros) début 2014, tomberont à 62 milliards de dollars en 2019. En cinq ans, elles auront ainsi fondu de 132 milliards de dollars, soit une moyenne de 26 milliards de dollars par an. Comment expliquer ce phénomène ?

Omar Berkouk : La fonte du montant des réserves de change s’explique globalement par la détérioration de la balance commerciale, du déficit structurel de la balance des services et des capitaux. Lors de la dernière année d’excédent commercial (+4,3 milliards de dollars), en 2014, les cours du pétrole se sont effondrés au mois de juillet. Il s’en est suivi une série d’années déficitaires, en dépit de la mise en place, à partir de 2016, d’une politique restrictive en matière d’importations.
L’Algérie n’a qu’une seule source de revenus : la vente des hydrocarbures, dont le prix et la devise de facturation sont hors de son contrôle
À ces déficits commerciaux, il faut ajouter 12 à 15 milliards de dollars de services et de balance des capitaux, ce qui a conduit à des déficits de balance de paiement de l’ordre de 25 milliards de dollars en moyenne annuelle. Du point de vue comptable, ces chiffres ne reflètent que la situation d’un pays qui dépense plus que ce qu’il gagne. Les réserves de change ne sont que ses moyens vitaux de paiement vis-à-vis du reste du monde, pour acquérir les biens et services dont il a besoin pour faire tourner son économie et nourrir sa population. L’Algérie n’a qu’une seule source de revenus : la vente des hydrocarbures, dont le prix et la devise de facturation sont hors de son contrôle.

À quoi servent concrètement ces réserves de change ?

Elles constituent les moyens de règlement d’un pays pour financer ses échanges extérieurs lorsque ceux-ci sont déficitaires. Elles sont également une des contreparties de la masse monétaire qui figure au bilan de la banque centrale. Les réserves de change sont donc vitales pour les pays dont la monnaie n’est pas convertible et dont l’accès au marché international des capitaux est limité ou inexistant, comme c’est le cas de l’Algérie.
Les grands pays de l’OCDE sont moins préoccupés par leur déficit commercial. La zone euro est protégée par la BCE et les États-Unis font du déficit commercial « sans pleurs », c’est-à-dire que leurs échanges sont libellés dans leur monnaie, qu’ils impriment à leur guise. Pour l’Algérie, le dinar ne trouve preneur qu’en Algérie ! Pour assurer son indépendance économique et sa souveraineté, le pays doit conserver à tout prix des réserves de change équivalent à au moins 18 mois d’importations.

Le ministre algérien des Finances affirme que ces réserves seront de 33,8 milliards de dollars en 2021. Y a-t-il un risque qu’elles disparaissent totalement, comme c’est le cas du FRR (Fonds de régulation des recettes) ?

En 2016, l’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal avait affirmé haut et fort que ces réserves de changes ne baisseraient pas en dessous de 100 milliards de dollars. On voit aujourd’hui où en est leur niveau et quelle est la tendance. Toutes choses égales par ailleurs, 33,8 milliards de dollars est une projection raisonnable pour 2021. Ce n’est pas sa crédibilité qu’il faut questionner, mais son inéluctabilité qui doit inquiéter. Nous savons comptablement que « le bateau prend l’eau », et nous devons en prendre la mesure.
Les réserves disparaîtront en 2023, comme celles d’un ménage qui a mangé ses économies sans avoir été en mesure de les sauvegarder par le travail
Les dirigeants du pays parient beaucoup sur une stabilisation des cours du pétrole dans une fourchette de 70 à 80 dollars le baril, ce qui permettrait de continuer à verser des subventions, à diversifier l’économie et à mener sans douleurs les grandes réformes structurelles. Si toutes ces actions nécessaires à la construction d’une économie indépendante et diversifiée ne sont pas entreprises au pas de charge, les réserves de change (en dehors d’un choc géopolitique externe favorable au cours du pétrole) disparaîtront normalement en 2023, comme celles d’un ménage qui a mangé ses économies sans avoir été en mesure de les sauvegarder par le travail.

En cas d’assèchement de ces réserves, quelles seraient les conséquences financières, économiques et politiques ?

Dans ce scénario, l’Algérie serait en crise de trésorerie, mais en pas en situation d’insolvabilité, compte tenu de ses richesses primaires. Elle devrait recourir à l’endettement bilatéral (Chine), multilatéral (Banque mondiale, FMI) et aux marchés financiers internationaux. Les coûts seraient élevés et les exigences en garanties importantes. Le pays perdrait l’autonomie de ses décisions, qui seraient soumises aux conditions des bailleurs de fonds. Ces derniers imposeraient des reformes qu’il a tardé à mettre en place, ce qui induirait un coût social élevé. Le pire n’est jamais certain, mais petit à petit l’Algérie s’achemine vers la pente du Venezuela.

ILLUSTRATION : L’HOMME JAUNE

La rente, l’État et la révolte (II)

Toujours autour de la question de la rente, nous nous permettons de republier ce texte de Hartmut Elsenhans : « L’Économie rentière en Algérie : continuités et discontinuités, perspectives » paru il y a 15 ans dans la revue Insaniyat ( consultable ici  ) qui donne une approche rétrospective originale de l’histoire du pays du point de vue d’une théorie, qu’il a développé dans de nombreux travaux, où la la rente occupe une place centrale. Nous ne partageons certes pas un certain nombre de points de vue exprimés ici ou ailleurs par cet auteur, pour qui, en faisant très bref, il faut sauver le capitalisme des capitalistes pour ouvrir la voie au socialisme (!). On peut lire aussi sur Algeria Watch, une interview donnée en 2015 à El Watan. 


L’Économie rentière en Algérie : continuités et discontinuités, perspectives

La grande continuité de l’histoire de l’Algérie me paraît résider dans les dimensions extraordinaires qu’a prises la rente pour ériger les blocages sociaux et économiques contre une transition vers un capitalisme à croissance auto- entretenue, orienté vers les besoins des masses. La rente est certainement un héritage lourd du passé de la plupart des pays qui ne sont pas dans le peloton de tête de l’industrialisation, car la spécialisation inégale à la suite de la révolution industrielle dans le centre du système mondial a largement renforcé les structures rentières, notamment aussi sur le plan politique par les orientations qu’ont forcément dû prendre les mouvements nationaux. Continuer la lecture de « La rente, l’État et la révolte (II) »

La rente, l’État et la révolte

Nous publions ici la seconde partie de l’article de Nadji Safir « Algérie 2019: à propos d’un nouveau contexte de crise » paru sur médiapart début mars qui contextualise de façon originale la question de la rente dans le cadre du mouvement actuel. Nos reviendrons sur le sujet très prochainement. (Illustration : l’homme jaune)

« Alors, évidemment, la première question qui vient à l’esprit est celle de savoir comment avons-nous pu en arriver à cette nouvelle donne en termes de mobilisation populaire ? La situation que nous vivons peut-elle être considérée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ? A ces questions, pour l’essentiel, mes réponses consistent à dire – ainsi que je l’ai écrit depuis quelques années déjà et à maintes reprises – que nous sommes en présence d’une phase de mûrissement d’une lente évolution, liée à une crise inscrite dans les éléments constitutifs les plus fondamentaux à la base même de la configuration du « modèle » selon lequel, en Algérie, se sont nouées les relations entre la Société et l’Etat. Et ce, dès le début des années 1970 déjà, puis avec, en quelque sorte, une réactivation de plus grande intensité du même « modèle », mais sur la base des mêmes principes fondamentaux à partir du début des années 2000 et qui, ici, vont constituer la phase historique qui nous intéresse le plus.
Pour l’essentiel, « le modèle » repose sur le fonctionnement de deux logiques systémiques de rente, étroitement liées entre elles : – une rente systémique endogène, politique, de nature symbolique et d’origine historique et une rente systémique exogène, énergétique, de nature économique et d’origine extractive. Continuer la lecture de « La rente, l’État et la révolte »

Un débat sur l’Algérie pré-coloniale (II)

Dans une réponse au texte de René Gallissot parue dans le même numéro de la revue La Pensée, Lucette Valensi récuse la notion de mode de production féodal et critique l’importance que Gallissot donne aux antagonismes internes aux collectivités pré-capitalistes. Comme nous l’avons déjà mentionné il est assez aisé de réfuter les interprétations « féodalisantes » ( où sont les châteaux, les vassaux, les fiefs ?) par contre Valensi constate de façon plus incisive que les révoltes paysannes « entraînent tout le groupement, riches et pauvres, cadres religieux et paysans. On ne voit pas de lutte sociale qui opposerait les classes entre elles, les riches aux pauvres, les khammès aux possédants : tout le groupe marche. (Et quand la France s’installe, même chose : la plèbe rurale suit ses chefs). R. Gallissot admet d’ailleurs que les luttes internes sont « voilées » lors des soulèvements paysans. » Continuer la lecture de « Un débat sur l’Algérie pré-coloniale (II) »

Un débat sur l’Algérie pré-coloniale (I)

L’autogestion et les débats sur le mode de production pré-colonial

Dans l’introduction de son livre L’autogestion, l’homme et l’État, Serge Koulytchisky donne cette présentation succincte du débat, que nous allons évoquer entre René Gallissot et Lucette Valensi ( parus dans la revue La Pensée en décembre 1968 téléchargeable sur Gallica), tout en le rapprochant de la question des « origines de l’autogestion » : « L’époque pré-coloniale en Algérie est marquée sur le plan socio-économique par un mode de production de type asiatique. De savants débats ont eu lieu à ce sujet, marqués par une confrontation entre René Gallissot et Lucette Valensi, le premier taxant de « féodal » ce mode de production, tandis que la seconde le considérait comme « archaïque ». Continuer la lecture de « Un débat sur l’Algérie pré-coloniale (I) »

La question des « racines pré-coloniales » de l’autogestion  : la touiza avant-hier et aujourd’hui ?

Le concept de twiza, parfois rendu « touiza » en français, «  corvée bénévole mais imposée par la coutume » qui permet « la réaffirmation de la solidarité familiale, clanique au villageois » ( Pierre Bourdieu Sociologie de l’Algérie) a été parfois évoqué comme source pré-coloniale du mouvement spontané d’autogestion en Algérie après l’indépendance. Si son importance était indéniable dans la société traditionnelle ( « C’est par des touiza que le pauvre Kabyle bâtit sa maison; c’est avec le secours d’une touiza de femmes et d’enfants qu’il fait la récolte de ses olives. Si la touiza reçue n’engendre pas l’obligation légale de la reconnaître par une prestation quelconque, celui qui en a profité a trop d’amour-propre pour ne pas rendre à ses voisins, dans l’occasion, l’assistance qu’ils lui ont prêtée. » A. Hanoteau & A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris ), il ne faut pas oublier non plus que dans l’évolution de ces sociétés son rôle pouvait changer comme le rappelle René Gallissot lors de son débat avec Lucette Valensi « Le Maghreb précolonial : mode de production archaïque ou mode de production féodal ? » Continuer la lecture de « La question des « racines pré-coloniales » de l’autogestion  : la touiza avant-hier et aujourd’hui ? »

Les chansons qui accompagnent le mouvement actuel (dernière MAJ : 23/02)

( titre souligné : lien vers les vidéos )

On a un peu évoqué dans la presse française la chanson « Libérez l’Algérie » composée par une série d’artistes connus ( DJAM, Amel Zen, Idir Benaibouche, etc…) mais des rappeurs ont aussi apporté leur contribution tel Anes Tina avec « No you can’t »   ou Lofti DK .

Un des plus beaux succès  à ce jour ( près de 8 millions de vues sur Youtube) revient à la chanson  « Allô, le système » de la jeune chanteuse Raja Meziane (originaire de Tlemcen) dont certaines paroles ont été traduites :

« C’est un ouragan arrivé  /Les zwawla (démunis) se sont levés

les enfants du peuple sont sortis / et Moh, moul tabla (vendeurs de cigarettes)

les caisses sont vides / le pays est à l’arrêt

rongé jusqu’à l’os / ça perdure

vous avez détruit l’éducation / et c’est la débandade

société handicapée / la culture absente

le peuple qui saute dans les embarcations

et vous, vous croyez que vous allez rester éternellement (au pouvoir)

vous nous avez enterrés vivants

et vous avez laissé les morts diriger… »

La plus belle des chansons anti-système est selon nous la Casa del Mouradia composée par un groupe de supporters de football Ouled El-Bahdja ( qui ont également repris un poème de Victor Hugo Ultima Verba  ).

On l’entend (et la voit )  ici  chantée lors de la manifestation du 8 mars, ici dans un stade et ici couplée à d’autres chansons politiques de supporters. Enfin à écouter:  un reportage audio de l’émission « les pieds sur terre » sur France Culture, « Toutes les révolutions ont une chanson et toutes les chansons ont une histoire. On va vous raconter celle de « La Casa del Mouradia », l’hymne des manifestations algériennes.  »

Traduction de la chanson par Lignes quotidiennes, le blog Akkram Belkaïd :

« C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

Le premier [mandat], on dira qu’il est passé

Ils nous ont eu avec la décennie [noire]

Au deuxième, l’histoire est devenue claire

La Casa d’El Mouradia [quartier où se trouve le palais présidentiel]

Au troisième, le pays s’est amaigri

La faute aux intérêts personnels

Au quatrième, la poupée est morte et

L’affaire suit son cours…

Le premier [mandat], on dira qu’il est passé

Ils nous ont eu avec la décennie [noire]

Au deuxième, l’histoire est devenue claire

La Casa d’El Mouradia [quartier où se trouve le palais présidentiel]

Au troisième, le pays s’est amaigri

La faute aux intérêts personnels

Au quatrième, la poupée est morte et

L’affaire suit son cours

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

Le cinquième [mandat] va suivre

Entre-eux l’affaire se conclut

Et le passé est archivé

La voix de la liberté…

Dans notre virage la discussion est privée

Ils nous connaissent quand il déferle

L’école… et la nécessité du c.v

Un bureau pour l’analphabétisme

Le cinquième [mandat] va suivre

Entre-eux l’affaire se conclut

Et le passé est archivé

La voix de la liberté…

Dans notre virage la discussion est privée

Ils nous connaissent quand il déferle

L’école… et la nécessité du c.v

Un bureau pour l’analphabétisme

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie »

Sur cette tradition des chants politiques de supporters Sihem Benmalek écrivait, de façon prémonitoire  en février sur le site du journal  liberté algérie. : 

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Ali Chibani : L’Algérie renoue avec son histoire occultée

Nous nous permettons de republier cet article de Ali Chibani  « L’Algérie renoue avec son histoire occultée » paru hier sur le site orientxxi.info et qui constitue une des meilleurs panoramas disponibles.  ( Illustration empruntée à l’homme jaune )

Si Abdelaziz Bouteflika a renoncé à se présenter au scrutin présidentiel, cette décision aboutit, pour l’instant, à une situation paradoxale : son mandat est prolongé sans même la tenue d’un scrutin. Si la caste au pouvoir tente de sauver ce qu’elle peut, les manifestants exigent la chute du système qui les opprime et appellent à renouer avec les pages glorieuses de la lutte de libération.

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