Les chansons qui accompagnent le mouvement actuel (dernière MAJ : 23/02)

( titre souligné : lien vers les vidéos )

On a un peu évoqué dans la presse française la chanson « Libérez l’Algérie » composée par une série d’artistes connus ( DJAM, Amel Zen, Idir Benaibouche, etc…) mais des rappeurs ont aussi apporté leur contribution tel Anes Tina avec « No you can’t »   ou Lofti DK .

Un des plus beaux succès  à ce jour ( près de 8 millions de vues sur Youtube) revient à la chanson  « Allô, le système » de la jeune chanteuse Raja Meziane (originaire de Tlemcen) dont certaines paroles ont été traduites :

« C’est un ouragan arrivé  /Les zwawla (démunis) se sont levés

les enfants du peuple sont sortis / et Moh, moul tabla (vendeurs de cigarettes)

les caisses sont vides / le pays est à l’arrêt

rongé jusqu’à l’os / ça perdure

vous avez détruit l’éducation / et c’est la débandade

société handicapée / la culture absente

le peuple qui saute dans les embarcations

et vous, vous croyez que vous allez rester éternellement (au pouvoir)

vous nous avez enterrés vivants

et vous avez laissé les morts diriger… »

La plus belle des chansons anti-système est selon nous la Casa del Mouradia composée par un groupe de supporters de football Ouled El-Bahdja ( qui ont également repris un poème de Victor Hugo Ultima Verba  ).

On l’entend (et la voit )  ici  chantée lors de la manifestation du 8 mars, ici dans un stade et ici couplée à d’autres chansons politiques de supporters. Enfin à écouter:  un reportage audio de l’émission « les pieds sur terre » sur France Culture, « Toutes les révolutions ont une chanson et toutes les chansons ont une histoire. On va vous raconter celle de « La Casa del Mouradia », l’hymne des manifestations algériennes.  »

Traduction de la chanson par Lignes quotidiennes, le blog Akkram Belkaïd :

« C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

Le premier [mandat], on dira qu’il est passé

Ils nous ont eu avec la décennie [noire]

Au deuxième, l’histoire est devenue claire

La Casa d’El Mouradia [quartier où se trouve le palais présidentiel]

Au troisième, le pays s’est amaigri

La faute aux intérêts personnels

Au quatrième, la poupée est morte et

L’affaire suit son cours…

Le premier [mandat], on dira qu’il est passé

Ils nous ont eu avec la décennie [noire]

Au deuxième, l’histoire est devenue claire

La Casa d’El Mouradia [quartier où se trouve le palais présidentiel]

Au troisième, le pays s’est amaigri

La faute aux intérêts personnels

Au quatrième, la poupée est morte et

L’affaire suit son cours

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

Le cinquième [mandat] va suivre

Entre-eux l’affaire se conclut

Et le passé est archivé

La voix de la liberté…

Dans notre virage la discussion est privée

Ils nous connaissent quand il déferle

L’école… et la nécessité du c.v

Un bureau pour l’analphabétisme

Le cinquième [mandat] va suivre

Entre-eux l’affaire se conclut

Et le passé est archivé

La voix de la liberté…

Dans notre virage la discussion est privée

Ils nous connaissent quand il déferle

L’école… et la nécessité du c.v

Un bureau pour l’analphabétisme

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie

C’est l’aube et le sommeil ne vient pas

Je consomme à petites doses

Quelle en est la raison ?

Qui dois-je blâmer ?

On en a assez de cette vie »

Sur cette tradition des chants politiques de supporters Sihem Benmalek écrivait, de façon prémonitoire  en février sur le site du journal  liberté algérie. : 

« Les gradins des stades de football, notamment dans l’Algérois, ne résonnent plus au rythme de chants exclusivement sportifs. La tendance, ces dernières années, est surtout à la revendication politique. Repris en chœur, dans une parfaite harmonie, les supporteurs de clubs de football entonnent des chants au contenu politique parfois étonnant, des messages adressés explicitement aux hauts responsables du pays. Les tribunes des stades se transforment ainsi en un tribunal géant où se tiennent de véritables procès politiques. Chaque week-end, la jeunesse accuse, délibère et condamne ceux qu’elle tient pour “responsables de ses malheurs”, les gouvernants. Chantés ainsi à pleins poumons, ces “réquisitoires” retentissent dans les stades, ponctués d’applaudissements nourris aux sons du tambour et de la derbouka. Les tribunes parsemées de tifos géants ainsi que de banderoles et éclairées de fumigènes, s’enflamment. Un des groupes qui a fait le plus parler de lui durant les dernières semaines de la saison écoulée, est celui des supporteurs de l’USM Alger, dit “Ouled el-Bahdja” (comprendre : enfants d’Alger). C’est le cas aussi du groupe Torino, du MC Alger, les “frères ennemis” d’à-côté… Ces deux groupes ont près de 50 000 abonnés chacun sur leurs pages Facebook respectives et leurs vidéos ont été vues des millions de fois sur Youtube. De l’avis de leurs fans, ils tirent leurs succès de “la véracité des paroles” qui touchent d’une manière ou d’une autre le citoyen lambda. Encouragés par une masse de jeunes, actifs autant sur les réseaux sociaux qu’à l’occasion des matchs livrés par leurs équipes favorites, ces groupes sont carrément adulés par leurs fans. Le choix des paroles, qui révèlent souvent un travail de recherche certain, est fait de manière subtile, sans l’emploi de mots vulgaires ou injures. Un fait largement relevé et salueé comme en témoignent plusieurs commentaires d’internautes postés sur leurs pages et vidéos. “Même dans la chanson, ils n’insultent pas. On peut même les écouter avec nos parents, c’est pour ca que j’aime ce club, ils (les supporteurs, ndlr) sont raffinés…”, commente une jeune femme, “Ilhem usmiste”, sur la page Facebook d’“Ouled el-Bahdja”.

Le “cinquième mandat” au menu des gradins

Les paroles tournent ainsi autour de l’actualité du pays et de la vie quotidienne d’un jeune Algérien. Elles sont écrites en arabe dialectal, utilisant des termes simples, directs, avec un strict respect de la rime. La dernière chanson en date, du groupe “Ouled el-Bahdja”, s’intitule “Casa del Mouradia”, en référence à la célèbre série Netflix “ La casa de papel”, qui relate l’histoire de huit voleurs qui organisent une prise d’otages dans la maison royale de la Monnaie d’Espagne. Sortie il y a tout juste un mois, la vidéo compte plus d’un million de vues sur Youtube. Dans le premier extrait, ils évoquent leur désespoir : “Sa’aât lefdjer ou majani noum (c’est bientôt l’aube et je n’ai toujours pas sommeil), rani n’consomi ghir bechouia (je consomme à petite dose —‘la drogue’—)”. Ils posent ensuite la question de savoir qui est responsable de leurs malheurs. “Chkoun seba ou chkoun nloum ? Mélina men lem’ïcha hadiya (à qui la faute, qui en est responsable ? Nous en avons marre de cette vie)”. Dans le deuxième extrait, ils critiquent le système, notamment le clan présidentiel accusé de préparer le cinquième mandat. “Fi louwla, n’qoulou jazet, h’chaw’halna bel aâchria (le premier mandat, disons qu’il est passé, on nous a dupés avec la décennie noire), fel tania h’kaya banet la casa del Mouradia (au bout du second mandat, c’est devenu clair, l’histoire de la casa del Mouradia), fel talta leblad ch’yanet bel masaleh el chakh’siya (au troisième, le pays a faibli à cause des intérêts personnels), fel rabâa poupiya matet ou mazalet el qadiya (au quatrième mandat la poupée est morte et l’affaire se poursuit), wel khamsa rahi t’suivi binat’houm meb’niya (le cinquième mandat va suivre, entre eux c’est combiné)”.

Ils veulent partir, ils le disent !

Dans la seconde chanson, interprétée par les supporters de l’USMH, nommés “El-Kawasser”, sont évoqués, pêle-mêle mais en toute harmonie, le climat politique régnant dans le pays, le transfert illicite de l’argent du contribuable vers l’étranger pour l’acquisition de biens immobiliers, ainsi que les inégalités sociales. “Dzaïr baâtouha ou q’semtouha chritou gue3 les villas fi Paris (l’Algérie, vous l’avez vendue et partagée, vous avez tous acheté des villas à Paris), ouled l’harka hadou li ba3ouha zawali fi bladou rahou kari (les fils de harkis l’ont vendue, le pauvre est locataire dans son pays)”. Et de poursuivre : “Ikhelouk dima 3ayech fel mahna t’khemem ghir aâl l’khobza w’drari (ils te laissent croupir dans la misère, préoccupé par la pitance), el chaâb l’youma 3tawlou el ta3mar, desespera meli rahou sari (le peuple, abandonné à la drogue, est désespéré de ce qui se passe)”. Comme leurs homologues du Mouloudia, ils s’interrogent sur la source de leurs problèmes. Une question à laquelle ils apportent la même réponse : “Chkoun s’babna ? El doula hia li s’babna, s’bab aâdabna (qui est responsable de notre souffrance ? L’État est la cause de nos problèmes, la cause de notre souffrance)”.

La solution pour eux est l’exil. Ils le disent : “La solution rahi fel harga (la solution est dans la harga), yama kouli 3leh raki tabki ? (maman dis-moi pourquoi tu pleures ?) Yek hadouk li khanou l’fellagas (ils ont trahi les fellagas), khelini nahreb ou n’risqui (laisse-moi fuir et risquer ma vie)”. D’autres chansons expriment leur amertume, comme “Qilouna” (foutez-nous la paix) ou encore “Babor elouh”, où ils chantent la vie de misère que mènent les couches défavorisées face à la cherté de la vie, la difficulté de la jeunesse à trouver un emploi. Aussi, leurs problèmes et préoccupations qu’ils essayent d’oublier en s’adonnant à la drogue quitte à y sombrer, l’espoir d’un avenir meilleur… de l’autre côté de la Méditerranée.

Ces chants, dont on a tendance à ignorer la portée et le sens profond sont pourtant révélateurs d’un malaise certain. Ils expriment de profondes plaies dans le corps d’une jeunesse frappée de plein fouet par le chômage, l’oisiveté et le désespoir. Longtemps stigmatisée, cette jeunesse dont on a tendance à penser qu’elle ne communique que par la violence, fait montre, à travers ces chants, d’une conscience politique dont on ne peut plus douter. Saura-t-on les écouter ?… »

Nous pouvons mettre à jour cette recension grâce au récit que donne Hassane Saadoun  de la manifestation d’hier (reproduit en intégralité dans les notes de lecture) :

« Sur les rues principales de la capitale, les chants nés dans les stades, premiers lieux de contestation massive et populaire du pouvoir, ont été entonnés, d’abord par les supporters des clubs de football, avant d’être repris par tous les autres manifestants, hommes et femmes de tous les âges. Les nombreux escaliers d’Alger ont été les lieux idéals pour des rassemblements des jeunes des deux sexes, autour de troupes musicales formées spontanément.
Les chansons “Liberté” de Soolking et “Algérie mon amour” de l’Algérino ont été reprises à de multiples fois tout au long de la de journée, à cappella ou accompagnés d’instruments. Les collectifs d’artistes et d’associations de ont mis à la disposition manifestants des haut-parleurs et des sonos. Les Algériens ont marché en dansant et en chantant ce vendredi, une journée de revendication politique, que les chants de supporters de foot, les chansons des répertoires populaires, chaâbi, kabyle, des chants patriotiques ou de variété, ont transformé en gigantesque fête. »

Dans un article paru hier dans EL Watan (22 mars) sur la chanteuse Raja Meziane (voir plus haut), Ameziane Ferhani propose une rapide rétrospective de la tradition de chansons engagées en Algérie que nous reproduisons ici:

« Ce qui se passe en Algérie nous renseigne aussi sur l’engagement des artistes auprès de leur peuple et nous amène à tenter de situer les sources de la chanson engagée. Aussi loin que l’on puisse remonter, nous trouvons trace de chants dénonçant les oppressions et les injustices. Il en existait probablement dès l’époque antique et on peut supposer, ou rêver, que les combats de Jugurtha contre les Légions romaines, ont été accompagnés de chants. Ceux qui nous sont restés datent de la colonisation française. Signalons le sublime et triste chant Biya dhak el mor (En moi, un goût amer), popularisé par Blaoui El Houari et écrit par un certain Cheikh El Hachemi Bensmir, né en 1877 à Oran.
Dénonciation de l’oppression, ce chant porté, dit-on, par les résistants envoyés au bagne, a valu à son auteur un séjour en prison. Pratiquement tous les poètes du melhoun et dans toutes les régions du pays ont produit des textes du même genre qui devaient parfois emprunter les voies de l’allusion, du double sens et du symbole pour échapper à la censure et aux représailles. Cheikh Mohand ou M’hand en a laissé quelques exemples fameux, ouvertement séditieux, tel ce poème dénonçant les suppôts du colonialisme où il clamait que «De Tizi-Ouzou à l’Akfadou, nous avons juré d’être brisés mais de ne point nous incliner.» Avant d’ajouter : «La calamité est préférable là où les chefs s’avilissent.»

El Anka, Baaziz et autres

La production de poèmes populaires à cette époque n’a pas toujours donné lieu à des chansons, mais la plupart des chansons existantes (ou demeurées en mémoire) s’appuyaient sur des textes de ce répertoire. Nous pouvons citer également le chant émouvant des femmes chaouies, Ya rabi Sidi… (Ô Dieu, notre Seigneur), ou oranaises, Halli dhik el touiqa (Ouvre la lucarne), sur leurs enfants mobilisés de force durant la Première Guerre mondiale.
Il s’agit là de textes de lamentation mais, même sur ce registre, ils portaient une dimension politique profonde en appuyant indirectement le mouvement de désertion. La chanson engagée n’est pas toujours directe et elle peut s’exprimer de maintes manières, notamment quand les circonstances empêchent de s’exprimer librement. Ainsi, Le temps des cerises, associée aux Communards de Paris terriblement réprimés en 1871, soit en même temps que les combattants de l’insurrection algérienne, est une chanson d’amour.
Ces textes à symboles sont nombreux dans le patrimoine musical de résistance en Algérie, du fait de la dureté de la répression coloniale ainsi que des aptitudes développées dans les doubles sens ou sens cachés que recèlent des répertoires, comme l’andalou où les mots parviennent à se jouer des interdits. Avec le mouvement nationaliste puis la guerre de Libération nationale, sont apparus les chants patriotiques et il n’est pas anodin qu’ils aient été repris par les jeunes manifestants d’aujourd’hui quand ils pouvaient les ressentir jusque-là comme des obligations scolaires. Mais un chant de liberté conserve son sens même si le contexte a changé.
Ce glissement peut prendre des formes étonnantes comme avec le chant patriotique Min djibalina (De nos montagnes) dont la musique est celle du chant militaire français Sambre et Meuse, ce qui permettait alors de dissimuler des paroles nationalistes sous un air autorisé tout en suggérant que le combat des Algériens était aussi légitime que celui des Français contre l’Allemagne.
L’émigration a constitué un autre terreau avec ses chants d’exil sur les dures conditions de travail et d’existence et sur l’éloignement des siens et de la patrie. Il perdurera après l’indépendance et fera parfois la jonction avec la situation nouvelle du pays comme dans le cas de Slimane Azem, connu pour ses chansons critiques à l’encontre du pouvoir. Tout mouvement artistique, et donc musical aussi, prend source dans un contexte précis à partir d’éléments historiques, sociologiques, économiques ou politiques. Ce n’est pas un hasard si le Printemps berbère de 1980 s’est accompagné de la naissance de la chanson kabyle moderne (Aït Menguellet, Iddir, Djamel Allem…).
Pas un hasard non plus si l’apparition du raï et son extension d’une région vers l’ensemble du pays ait correspondu aux émeutes de jeunes dans plusieurs villes avant l’apogée d’Octobre 88. Et que les premières apparitions en France de ce genre aux textes «politico-amoureux», comme les décrit le sociologue culturel Hadj Miliani, aient eu lieu au moment des révoltes de banlieues et de la fameuse marche pour l’égalité de 1983.
Parfois, la chanson précède le mouvement social, parfois elle l’accompagne. On peut dire que les deux se mêlent pour l’Algérie. Les causes du mouvement actuel étaient lisibles dans le chef-d’œuvre du chaâbi Sebhane Allah yal’tif (El Anka sur un texte de Mustapha Toumi), dans les balades subversives de Baâziz ou, plus proche, dans les groupes de la nouvelle scène algérienne (Démocratoz, Freeklane, Ifrikya Spirit…) et les chants de supporters de stade. Aussi, Raja Meziane est bien la fille de son père mais aussi l’héritière d’une riche tradition où l’âme du peuple s’est réfugiée pour rejaillir plus tard. Soit en ce moment-même. »

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