L’Ultra-gauche, le mouvement libertaire et l’autogestion en Algérie (I)

Précision malheureusement obligatoire de nos jours : nous recouvrons sous le terme générique « ultra-gauche » les différents courants de la gauche communiste, non ou anti-léniniste ( voir  Trajectoire d’une balle dans le pied. Histoire critique de l’ultra-gauche republié récemment par Senonevero).

Jean François Lyotard dans Socialisme ou Barbarie

Léger paradoxe, on peut difficilement donner un aperçu de la position de l’« ultra-gauche » sur l’indépendance algérienne et l’expérience autogestionnaire sans commencer par évoquer la série d’articles publiés par Jean François Lyotard dans Socialisme ou Barbarie ( et reprise dans le volume La guerre des Algériens publié par Galilée ) alors que pourtant l’autogestion n’y est pas mentionnée une seule fois… Les quatre articles, allant de 1960 à 1963 sur lesquels nous nous penchons, constituent pourtant une des analyses les plus éclairantes de la lutte d’indépendance, de son évolution et de l’impact de ses contradictions et limites sur la situation du pays après la libération.
Dans « Le contenu social de la lutte algérienne » (1960 extrait du numéro scanné par l’indispensable site archives autonomies, pdf : ici ), Lyotard s’intéresse plus particulièrement à la structuration sociale et à l’idéologie du mouvement national algérien et constate « la faiblesse relative du rôle joué par la bourgeoisie algérienne » Faiblesse qui vient de loin : « Le schéma qu’offre l’Algérie est, du point de vue de la question coloniale, aux antipodes du modèle traditionnel. Ici la faiblesse politique de la bourgeoisie coloniale ne provient pas de la combinaison de ses intérêts avec ceux de l’impérialisme sous la forme de participation aux profits tirés du travail colonial ; tout au contraire la bourgeoisie algérienne a été tenue systématiquement à l’écart des positions sociales où le partage de là plus-value est décidé. Sa faiblesse politique résulte de sa faiblesse économique et sociale. » Faiblesse héritée d’une domination ottomane restée « allogène » (« Les administrateurs turcs « campent » dans le pays, ils n’y constituent pas une classe qui détruit les rapports sociaux préexistants, essentiellement tribaux et impose ses modèles propres d’organisation sociale ») ce qui a alimenté « le parasitisme » de couches dirigeantes algériennes, qui une fois la colonisation française installée ne pourront pas recourir à l’issue habituelle du « travail administratif » ou de la figuration de pouvoir traditionnel au service du colon. Ce qui ne manque pas d’avoir d’incidences sur le développement de l’idéologie nationaliste : « Encore faut-il pour que l’idéologie nationaliste puisse se développer et se répandre comme solution à la situation coloniale, que des classes sociales ayant une expérience ou du moins une vision de l’ensemble de la société soumise à l’oppression impérialiste soient capables de donner à tous les mécontentements particuliers, à toutes les révoltes isolées, une formulation universelle et des objectifs communs. Ce rôle est en général assumé par les éléments expulsés des anciennes classes moyennes et regroupés dans l’appareil même dont l’impérialisme se sert pour maintenir sa tutelle sur la société. En Algérie cette condition faisait défaut. »

Ainsi «  quand les premiers coups de feu ont retenti dans les casbahs en novembre 54, les hommes de l’Organisation Spéciale n’avaient derrière eux ni une classe moyenne encore insérée solidement dans les rapports de production, ni un appareil d’État susceptible d’être retourné contre l’impérialisme et les éléments collaborateurs. L’idéologie nationaliste qu’ils faisaient éclater au grand jour, n’avait pour ainsi dire pas de support sociologique spécifique, ce n’est pas seulement un vide politique qu’il leur fallait combler, mais un vide social. » Lyotard en conclut que « la lutte nationale algérienne ne pouvait se développer que sous la forme de maquis » ou se rencontrent les éléments radicalisés de la classe moyenne et la paysannerie. Et, dans le même temps,  « L’émigration algérienne a joué pendant des années le rôle d’une école de cadres pour l’organisation du mouvement nationaliste. Des milliers de paysans algériens sont nés à la lutte de classes dans les usines de Nanterre, dans les mines du Nord, sur les barrages. L’univers industriel ‘métropolitain a rempli, par rapport au développement des antagonistes de classe en Algérie, un rôle parallèle à celui que jouait l’appareil d’Etat Pour l’Egypte ou l’Irak. »
Toutefois c’est ce même « vide social » que Lyotard évoque qui, en se faisant poursuivre la guerre (« Il y a un rapport absolument direct entre la durée et l’intensité de la situation révolutionnaire et le fait qu’aucune catégorie sociale capable de poser sa candidature à la direction de la société algérienne ne préexistait au déclenchement de la lutte. »), donne naissance aux premiers embryons de bureaucratie : « Le fait que cette bureaucratie naisse non pas du processus de production lui-même, mais de ce processus de destruction qu’est la guerre, ne change absolument rien à sa nature de classe, puisque aussi bien cette destruction exprime directement l’impossibilité où se trouvait l’Algérie coloniale d’assurer le processus productif dans le cadre des rapports antérieurs. La destruction n’est ici que la forme prise par la contradiction entre les forces productives et les rapports de production, et l’on savait déjà, au demeurant, que la violence est une catégorie économique. Que cette violence enfin donne à la classe en gestation dans les maquis la forme d’une bureaucratie, on le conçoit aisément puisque tous les rapports entre les membres de cette classe ne sont rien d’autre et rien de plus que tous les rapports entre les cadres de l’appareil politico-militaire, constitué justement pour la guerre : salariés, hiérarchisés, administrant en commun la destruction de l’Algérie traditionnelle, comme peut-être demain ils administreront en commun la construction de la République algérienne. Le processus en cours au sein d’une situation révolutionnaire vieille de cinq ans, c’est celui de la formation d’une nouvelle classe et la totalité des données qui composent cette situation fait nécessairement de cette classe une bureaucratie. »

L’article « En Algérie, une vague nouvelle » ( 61 pdf : SouB-n32extrait ) se montre plus optimiste sur les possibilités d’une intervention autonome des masses suites aux grandes manifestations urbaines de décembre 1960. Lyotard y voit le signe de l’émergence et de l’investissement dans la lutte d’une nouvelle génération urbaine différente des précédentes : « Les Algériens des nouvelles cités ne sont ni les restes momifiés de la société précoloniale ni les débris d’une colonisation impitoyable. En tant que salariés ils ont une expérience sociale toute différente des petits bourgeois traditionnels ou des paysans misérables ; dans le travail cette expérience n’est pas qualitativement autre que celle d’un « petit blanc » de Bab el Oued, tandis qu’elle l’est de celle d’un artisan de la Kasbah ou d’un mendiant. Mais cette situation de salarié se heurte à la persistance des barrières raciales et des attitudes anti-arabes dans la société algérienne en général, et elle doit se combiner aussi avec les modèles de conduite, les types de rapports humains qui viennent de la culture précoloniale. Bref les contradictions de la situation coloniale se trouvent, non pas effacées, mais soulignées, par la «modernisation », c’est à-dire la prolétarisation, de la vie urbaine. »  C’est cette position contradictoire qui est porteuse  d’un potentiel révolutionnaire : « Mais cette nouvelle couche sociale, qui est aussi une nouvelle classe d’âge, n’est pas seulement le produit de la situation. Elle en est en même temps le centre le plus sensible et le maximum de conscience. C’est en effet par rapport à ces jeunes, élevés dans la révolution, soumis à la répression, et, plus profondément, partagés entre la haine de l’Occident et la rupture avec la tradition, c’est par rapport à ces jeunes que le problème de l’Algérie se pose dans sa totalité, c’est-à-dire comme le problème de leur vie, de ce qu’ils vont devenir. Le contenu qu’ils donnent à la politique est sans commune mesure avec tout ce qui s’est fait et pensé en Algérie depuis des décennies à ce sujet. » Ce « nouveau courant révolutionnaire au sein des masses elles-mêmes » change la donne que ce soit pour les négociations entre le GPRA et l’État français ou le sort futur des pieds noirs : « De ce point de vue la situation a complètement basculé : le rapport colonial n’est plus toléré par les colonisés, et plus précisément ce qui fondait ce rapport, c’est-à-dire l’acceptation par les Algériens eux-mêmes, dans leur vie quotidienne, de leur asservissement, le consentement à leur propre oppression, a disparu Se taire, avaler l’humiliation, attendre, ne rien laisser paraître, c’est cela que les jeunes des villes ne savent plus faire. En criant publiquement leur volonté d’indépendance, en levant partout les défis que leur lançaient les pieds-noirs, en prenant ici et là l’initiative de l’offensive; Ils ont rompu irréversiblement avec leur existence de colonisés. » Ce qui ne manquera pas de poser des problèmes au FLN : « un courant révolutionnaire au sein des masses elles-mêmes, surtout au sein de la nouvelle couche de la jeunesse urbaine, commence à se dessiner.
Sans doute le GPRA s’apprête-t-il déjà à le faire rentrer dans l’ordre, dans son ordre : il peut capter une partie de cette force en attelant les jeunes à la tâche de construire la nouvelle société, il peut réprimer ce qui résiste. Mais dans tous les cas il faudra bien qu’il s’aliène une fraction importante de la jeunesse : la conscience acquise par celle-ci, sa participation au modelage de sa propre vie, les exigences qu’elle commence à manifester quant au sens à donner à la révolution, – tout cela ne se laissera pas facilement apaiser. »

Lyotard reprend cette question dans son article « L’Algérie, sept ans après »
publié dans le numéro suivant de Socialisme ou barbarie (pdf : SouB-n33extrait) où il analyse magistralement l’enjeu des luttes de classes qui vont succéder à la colonisation : «  Du point de vue de la question de savoir qui, de la bourgeoisie ou de la bureaucratie locale, prendra finalement la direction de la lutte est déjà réglée. Mais ce qui ne l’est pas c’est la question de l’encadrement des masses, c’est à dire le renforcement de la bureaucratie par rapport aux couches les plus dynamiques de la population.
Le renforcement de l’appareil n’est pas une donnée indépendante : il traduit au contraire, – en les trahissant parce qu’il les transpose dans le langage de la bureaucratie – ,une action plus intense, une pression plus forte des masses
algériennes. S’il faut renforcer l’appareil, c’est parce qu’il s’affaiblissait non pas relativement à la lutte contre l’impérialisme, mais par rapport à la croissance de l’expérience et de la conscience politique, sociale et historique dans toutes les couches de la population, chez les travailleurs, les femmes, les jeunes. La répression et la riposte à la répression sont la matière de la vie quotidienne depuis sept ans : les questions qui se posent dans cette vie et les réponses qui peuvent leur être données sont pareillement l’objet de la réflexion quotidienne. Il n’y a pas un algérien maintenant qui n’ait des idées sur tous les problèmes de sa société, qui plus ou moins obscurément n’ait dans sa tête et presque dans sa chair une certaine image de la société qu’il va falloir construire, simplement parce que la durée et l’intensité de la lutte lui ont imposé une expérience très étendue.
Ce bouleversement ‘de la conscience traditionnelle, cette accumulation d’une expérience dans laquelle se trouve incluse, pour les algériens qui ont travaillé en France, celle de la moderne, constitueront pour les dirigeants de demain une donnée difficile à maîtriser. En renforçant l’appareil, ceux-ci cherchent (même s’ils n’en sont pas conscients) à canaliser les forces vives de la société future, tant que la lutte de libération leur permet d’exiger et d’obtenir une adhésion presque inconditionnelle ; la chose sera sans doute moins aisée lors de l’étape suivante. Ainsi se trouve préfigurée, avant même que l’impérialisme ait lâché prise, la lutte des classes dans l’Algérie indépendante. »

Son long et dernier article, écrit en 1963, « L’Algérie évacuée »  ( pdf : ici ) débute sur cet avertissement désabusé : « Les lignes qui suivent n’ont pas pour objet de définir une politique révolutionnaire en Algérie. La question du sort de ce pays ne se pose plus et ne se pose pas encore de cette manière. Plus, parce que l’élan qui animait les masses au cours de la lutte nationale est maintenant brisé : il n’y a pas eu de révolution. Pas encore, parce que les
problèmes qui assaillent les travailleurs et que la politique de la direction actuelle est incapable de résoudre, finiront par amener à maturité les conditions d’une nouvelle intervention des masses : la révolution reste à faire. » Pour Lyotard qui, répétons-le ne mentionne que de façon très allusive le secteur autogéré, un statu-quo crépusculaire s’est installé qui ne fait que souligner l’insuffisance idéologique et politique préalable du mouvement national : « Le poids de la colonisation avait comprimé la configuration de classe de l’Algérie jusqu’à la rendre méconnaissable. Le bloc où fusionnaient des classes néanmoins antagoniques ne pouvait donner expression à leurs intérêts respectifs. Il lui était interdit sous peine d’éclater de prendre en considération les problèmes réels de l’Algérie et d’y répondre. L’appareil lui-même ne put développer ni sa doctrine ni son organisation indépendamment des classes dont il était composé : les conditions d’un développement bureaucratique n’existaient pas. »
Faute de développement d’une conscience de classe spécifique lors de la lutte de libération ( « l’alternative n’était pas : prolétaire ou libre mais bicot ou algérien ») la décomposition reprend le dessus  : « Quand l’autre indépendance, politique, fut obtenue, le ciment qui tenait ensemble tous les morceaux de la société se désagrège. Ce qui unifiait toutes les vies se perd comme un oued dans le sable. Il n’y a plus de bicot à tuer ; il y a des Algériens à faire vivre. Chaque catégorie regagne sa place dans la société, chaque individu essaie de réintégrer son alvéole sociale. Le problème de faire vivre les Algériens est conçu et résolu en termes d’individu ou de petite collectivité, village, famille, quartier. Aucune conscience n’arrive à embrasser la société tout entière, à poser la question que la société est pour elle-même. Le chômeur veut du travail, la femme du pain pour son fils, le combattant l’honneur d’avoir combattu, l’étudiant des livres et des professeurs, l’ouvrier son salaire, le paysan des semences, le commerçant la reprise. Personne, aucun groupe politique, aucune classe sociale ne parvient à construire et à propager une nouvelle image de l’Algérie que l’Algérie pourrait vouloir comme elle a voulu l’indépendance. »
Toutes les forces nouvelles qu’il voyait à l’oeuvre à partir des manifestations de décembre 1960 ne semblent plus être en mesure de peser sur la situation. Ainsi la paysannerie, base du mouvement de libération, n’a pas avancé véritablement vers la résolution de ses problèmes : « C’est là le grand paradoxe de la révolution algérienne : une société rurale profondément désintéressée se dresse contre sa propre crise et cependant ne produit pas les idées ni les actes capables de la surmonter. » Cette paralysie progressive empêche le développement d’une articulation dialectique entre luttes rurales et urbaines : « Le fait qu’à partir de la fin de 1960 le mouvement national gagne les villes et y éclate dans des manifestations de masse revêt sans doute une immense importance politique. Des couches nouvelles reconnaissent à leur tour l’Algérien libre comme la seule image acceptable de leur avenir. La jeunesse des villes entre dans la révolution. Mais en même temps la révolution abandonne le bled, et seule la guerre y reste. Il est vrai que de toute manière le sort des campagnes ne se décide pas dans les campagnes (…)qu’enfin l’extension du mouvement aux couches urbaines, parce qu’elle signifiait que les travailleurs et les jeunes posaient à leur tour collectivement les. problèmes de la société, marquait une étape indispensable dans la consolidation de la révolution et permettait d’envisager qu’une réponse efficace soit donnée· à la crise rurale. Mais ce mouvement urbain qui élargissait le contenu de la lutte à la totalité des institutions de la société coloniale cachait la défaite du mouvement paysan en tant que constitution d’un pouvoir logé dans les masses rurales. La ville n’a pas fait écho à la campagne, elle l’a relayée quand celle-ci fût exsangue. »
Il conclut sur un constat somme tout classique du sous-développement des classes dans l’Algérie indépendante : « Le capitalisme  a désintégré les communautés traditionnelles, affamé et exilé les paysans, créé un prolétariat d’émigrants, étouffé les petits bourgeois et les bourgeois.
Si aucune classe n’a pu apporter une réponse à la crise que suscitait cette déstructuration, c’est parce qu’aucune classe n’a été complètement constituée, avec sa fonction sociale, son rôle économique, ses instruments politiques, sa conception de l’histoire et de la société. Sans doute aucun de ces traits n’est Jamais complètement dégagé, la transfusion des modes de vie, des manières de penser, des intérêts reste permanente d’une classe à l’autre, même dans les sociétés les plus développées. Mais en Algérie les grands pôles sociaux ne se sont pas différenciés suffisamment pour que le bourgeois perde la passion exclusive de la terre et de la maison, pour que l’ouvrier soit coupé du village et apprenne sans retour la condition du prolétaire, moins encore pour que le paysan –le plus rebelle survivant de l’époque précapitaliste même en Europe – soit déclassé, selon l’alternative que lui impose l’agriculture de profit, en riche fermier ou en ouvrier agricole. Toutes ces catégories existent, il est vrai, mais à l’état embryonnaire, et il n’a pas suffi de sept ans de guerre pour que se forme dans le ventre de la vieille société coloniale une autre société. »
Nous ne résumons bien évidemment que très sommairement ces textes foisonnants, notamment celui de 1963 qui offre par exemple une analyse impitoyable des luttes de pouvoir de juillet 1962 et des incises très intéressante sur la constitution des rapports sociaux post-coloniaux.

Pouvoir ouvrier

Si dans ses articles de Socialisme ou Barbarie, Lyotard néglige de façon surprenante l’autogestion( « En quelques mois la crise qui secouait toute la société est réduite aux dimensions du problème des biens vacants. A cela se mesure la perte d’énergie des masses. »), le bulletin Pouvoir ouvrier associé à la revue a publié plusieurs articles intéressants sur le sujet ( réunis ici).
Nous reproduisons ici un extrait de l’introduction du dossier « Qui gère les comités de gestion ? » :
« Le bénéfice économique de l’autogestion n’est probablement pas considérable: il faut faire leur part aux conditions météorologiques favorable en I963. Son bénéfice social n’est pas évident à court terme: l’expropriation des petits colons ne crée pas beaucoup d’emplois nouveaux et l’excédent de la population agricole ne pourra que s’accroitre à mesure que la mise en exploitation se concentrera et que les façons culturales se moderniseront. L’un des problèmes rencontrés constamment les Comités est celui du choix entre la productivité et le plein emploi: faut-il gérer dans le sens d’une plus grande rentabilité, donc limiter l’embauche dans les exploitations et les entreprises sous gestion; ou bien au contraire les ouvriers permanents, qui forment l’assemblée générale d’un domaine ou d’une entreprise industrielle ou commerciale, doivent-ils embaucher le maximum de chômeurs totaux ou partiels comme saisonniers et tâcherons? Il semble qu’en dépit de l’intérêt des ouvriers permanents pour une élévation de la productivité (dont ils escomptent. recevoir une partie des bénéfices), la tendance qui l’emporte soit de donner des moyens de subsistance, donc du travail, au plus grand nombre possible de paysans et d’ouvriers.
Mais la véritable importance du mouvement gestionnaire est ailleurs. On verra que les extraits de la presse algérienne et dans les reportages inédits que nous publions plus loin, la nature des problèmes que les fellahs, en particulier, rencontrent. Ces problèmes, ce sont: l’organisation du crédit agricole et la commercialisation des produits, c’est-à-dire l’amont et l’aval de la production agricole; la rémunération des salaires des Comités de gestion et le logement paysan; le manque de matériel et l’insuffisance de l’encadrement technique. On verra et l’on voit dans les compte-rendus du congréa des fellahs (tenu à Alger au début de novembre)et des congrés préparatoires, dans quel sens les paysans tendent confusément à résoudre ces problèmes : simplification de la paperasserie, assouplissement du déblocage des fonds et du matériel que les administrateurs des Sociétés Agricoles de Prévoyance tendent à thésauriser, c’est-à-dire lutte contre les petits bureaucrates de village; socialisation des circuits commerciaux, élimination des intermédiaires, c’est-à-dire extension du secteur »socialiste »; gestion effective de sa comptabilité par le Comité c’est-à-dire revendication d’une responsabilité complète des travailleurs; péréquation des salaires agricoles sur le plan national, c’est-à-dire redistribution égalitaire des revenus entre tous les travailleurs agricoles et annulation du handicap dont souffrent les exploitations les plus mal situées ou les moins équipées; prélèvement d’une partie du produit de l’exploitation pour alimenter une caisse de logement; subordination des Directeurs de Comités, nommés par l’Etat, aux Présidents élus par les travailleurs, en tous cas nomination de Directeurs compétents en matière agricole, c’est-à-dire résistance à l’étatisation; formation accélérée de mécaniciens agricoles et de cadres techniques. Dans leurs congrès les paysans ont exprimé leurs difficultés avec une sobriété et une fermeté qui montre qu’en un an la paysannerie algérienne a retrouvé son souffle. Un courant collectiviste et égalitariste remue les campagnes. L’Afrique et le monde arabe sont en train de regarder ce qui se passe en Algérie. »

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