Ahmed Mahsas

Ce livre est téléchargeable sur le site de la très riche bibliothèque en ligne jugurtha.

Ancien directeur de l’Office Nationale de la Réforme Agraire, l’organisme qui chaperonnait l’autogestion agricole, ancien ministre de l’agriculture et partisan malheureux du président Ben Bella, Ahmed Mahsas n’a en général pas très bonne presse. Ainsi Gérard Chaliand et Juliette Minces écrivent à son sujet : « Ahmed Mahsas a largement concouru à saboter l’autogestion en multipliant les entraves bureaucratiques et en appuyant la création de la Fédération Nationale des Travailleurs de la Terre, constituée, en grande partie, de fonctionnaires. » ( in L’Algérie indépendante). C’est notamment lui qui est à l’origine de la tentative de congrès fantoche de l’autogestion agricole de 1964 qui tourna, au grand dam des ses instigateurs, en mise en accusation de la bureaucratie. Dans le récit qu’il en donne ( p.191-200), Mahsas dénonce d’ailleurs l’instrumentalisation des « légitimes critiques » émises par les travailleurs de la terre par les « éléments de tendances marxisantes » voire, pire, anti-islamiques ( « Certains syndicalistes qui n’avaient jamais connu ce qu’était le travail prétendaient donner des leçons aux travailleurs qu’ils considéraient comme rétrogrades parce qu’ils bâtissaient des mosquées et faisaient apprendre le Coran à leurs enfants. »)
De fait, ce livre écrit en 1975, si il affiche à son sommaire des intitulés laissant croire à une démarche théorico-historique générale, tient avant tout du plaidoyer pro-domo et du règlement de compte, la polémique avec les pieds rouges et autres « éléments étrangers » gauchistes parcourant ainsi tout le texte. Il faut remarquer toutefois qu’il s’agit d’un des rares témoignages d’un acteur institutionnel algérien de l’expérience autogestionnaire, non-marxiste de surcroît.
Ainsi pour Mhasas, « Ce n’est pas au nom d’une doctrine pré-établie sur l’appropriation des moyens de production que ( les travailleurs agricole) se sont érigés en gestionnaires des fermes vacantes. Leur spontanéité signifiait le bon sens d’un peuple qui voulait prendre en main son destin par un réflexe salutaire au moment où le pays risquait de s’enfoncer dans le chaos (…) Elle ne devait sa signification à aucune autre idéologie que celle des masses algériennes et de leur révolution. Ce n’était pas un simple hasard si la gestion par la base ou l’autogestion ait surgi dans le milieu paysan, réputé pour être le plus traditionaliste.(…) Il y avait là un enseignement significatif ( après le rôle déterminant des paysans dans la lutte armée) sur les possibilités des valeurs populaires dites « traditionnelles » et la vanité de certaines théories dogmatiques. » Ces théoriciens dogmatiques ce sont bien évidemment les militants du Bureau National d’Animation du Secteur Socialiste (B.N.A.S.S), menés par le trotskyste Michel Raptis alias « Pablo » qui ne ménageaient pas leurs critiques du fonctionnement de l’O.N.R.A sous la direction de Mahsas. Avec la création de cet organisme «  Certains éléments du B.N.A.S.S crurent voir là une volonté de centralisation et une tendance bureaucratique contraire à l’autogestion. Sous ce prétexte, ils ne manquèrent pas aucune occasion pour attaquer systématiquement l’organisme de tutelle. Ils se constituèrent en une sorte d’opposition à ce dernier sans qu’ils aient été en mesure d’assurer au secteur industriel et agricole un minimum d’organisation avant la création de l’O.N.R.A. Mais cette attitude négative se fondait sur une autre cause. Le B.N.A.S.S ambitionnait la tutelle administrative du secteur agricole. Et c’est par dépit de ne pas l’avoir obtenu que ses dirigeants s’acharnèrent à critiquer l’action des membres de l’O.N.R.A. » Cette lutte pour la tutelle s’est achevée par une victoire à la Pyrrhus pour les bureaucrates de l’O.N.R.A., qui durent eux aussi en grande partie plier bagage après le coup d’État de Boumédiènne. Ce qui n’empêche pas Mhasas de voir dans celui-ci et le peu de résistance qui lui fût opposé, la preuve, pas entièrement fausse, de l’inconsistance de ses ennemis et de leur dépendance (et de la sienne ! ) à la figure et au pouvoir hypertrophiés de Ben Bella : « Les groupes qui dénommaient la « gauche » du régime et qui, au nom de Ben Bella menaient la vie dure aux « bureaucrates » et aux « fonctionnaires » pourfendaient la réaction, se réclamaient de l’adhésion des masses faisaient une démonstration magistrale de leur impuissance à mobiliser ces dernières. L’événement les remit à leur juste place : des groupuscules sans représentativité réelle et sans capacité d’action lorsqu’ils sont réduits à eux-mêmes. Leur stratégie a consisté à se servir du prestige d’un homme « qui incarnait les aspirations des masses », sans s’intégrer réellement à celles-ci. Ben Bella destitué, tous ces groupes (restreints) dont le sectarisme idéologique les tenaient éloignés des forces militantes, du pays, perdirent leur base d’action et leur signification. »
Mis à part ces récriminations contre les « gauchistes étrangers », la défense de son bilan à la tête d’un organisme qui a beaucoup fait pour paralyser et vider de son sens l’autogestion ne présente que peu d’intérêt si ce n’est sur la question du financement de l’autogestion où il parvient à une conclusion qu’on re-croise ailleurs (on remarquera que cette fois-ci c’est la faute aux technocrates) : «  Le secteur socialiste ne jouissait pas des facilités du système libéral et encore moins des modalités de crédit d’un système socialiste. L’absence d’un mode de financement adéquat au secteur socialiste agricole incombait en partie aux « technocrates financiers ». Dans leur esprit le secteur socialiste devait répondre aux même critères de rentabilité « qu’au temps des colons » bien que les facteurs qui assuraient l’efficience de ces derniers eussent complètement disparu. »

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