Caste et classe dans la littérature académique (II) : cerner un champ de force nouveau

Photo : un manifestant s’immole par le feu lors des protestations contre l’adoption des réformes proposées par la commission Mandal en 1990 ( Source : The Hindu)

Depuis plusieurs décennies un des enjeux pour les chercheurs travaillant sur les rapports entre caste et classe est de tenter de cerner un champ de force social en constante évolution. Déjà en 1969 dans son ouvrage, devenu un classique, Caste, Class and Power. Changing Patterns of Stratification in a Tanjore Village, André Beteille constatait : « Dans la structure traditionnelle les clivages de caste, classe et pouvoir tendaient beaucoup plus qu’aujourd’hui à suivre le même sillon. Les brahmanes étaient les propriétaires de la terre et ils constituaient aussi l’élite traditionnelle. Ce n’est plus le cas à présent. Le système social a pris un caractère beaucoup plus complexe et dynamique et désormais les clivages ont tendance à s’entrecroiser [cleavages that cut across one another]. » Comme il le précise plus loin dans son livre, selon lui :  » Dans la société traditionnelle, et même il y a une cinquantaine d’années, il y avait une bien plus grande cohérence entre le système de classe et la structure de caste. On pourrait même dire, en risquant certes de trop simplifier, que le système de classe était largement subsumé sous la structure de caste. Cela signifie que la propriété et la non propriété de la terre, et les rapports dans le système de production, étaient beaucoup plus associés à la caste que ce n’est le cas aujourd’hui. (…) Le système de classe ne peut plus être considéré comme un simple aspect de la structure de caste. » Et dans le même temps paradoxalement « Les classes – comme catégories de personnes occupant une position similaire dans le système de production – ne sont pas politiquement organisées et ce pour un ensemble de raisons. La séparation entre les différentes classes n’est en réalité pas assez accentuée pour que se développe un sentiment d’identité construit sur l’opposition aux autres. Les individus occupent des positions multiples et leurs loyautés sont partagées. (…) Les conflits politiques semblent donc avoir suivi plus étroitement les clivages de caste que de classe. »

Cet entrecroisement des clivages pour reprendre l’expression de Beteille est bien entendu le fruit de plusieurs facteurs de long terme tant dans les campagnes ( fin relative du système zamindari, déclin de la petite tenure, révolution verte et essor des middle castes, recours croissant à la migration chez les intouchables, révoltes et lutte armée) que dans les villes ( ouverture et tertiarisation de l’économie, déclin progressif du Congrès, affirmation dalit et fondation de partis de caste, etc) mais c’est notamment autour des politiques dites de « reservation » ( l’affirmative action à l’indienne qui assure aux castes et tribus défavorisées un accès prioritaire à l’emploi public, l’éducation et prévoit des quotas dans plusieurs domaines) qu’il semble notamment s’être cristallisé, ce qui a aiguillé un tournant dans la recherche académique. C’est du moins la thèse de Ashok K. Pankaj dans son utile synthèse « Engaging with Discourse on Caste, Class and Politics in India« . Pankaj considère ainsi qu’il y a dans la recherche sur le rapport entre caste et classe une véritable césure avec les protestations qui ont accompagné, en 1990, l’adoption par le gouvernement indien des recommandations de la commission Mandal. Celle-ci préconisait d’étendre les quotas aux Other Backward Classes (les castes shudras) portant le taux d’emplois réservés à près de 50% dans la fonction publique, le chiffre étant équivalent pour l’accès à l’université. Ce qui provoqua des protestations spectaculaires des étudiants des hautes castes dont certains allèrent même jusqu’à s’immoler par le feu ( photo qui orne ce post).

Selon Pankaj « avant Mandal » le débat se déroulait principalement entre les tenants d’une opposition stricte entre tradition et modernité, ou pour être plus précis entre système des castes et modernité, et qui postulaient donc une différenciation complète entre caste et classe et ceux qui défendaient le croisement nécessaire de l’ancien et du nouveau et tendaient à supposer une fusion entre caste et classe. Or après Mandal, d’un côté la théorie de la modernisation absolue et inexorable était une fois de plus démentie et de l’autre  » La légitimité des institutions traditionnelles en tant que facilitateur de la modernisation est devenue discutable. » Bref tous les termes du débat précédent étaient rendus en partie caduques par la nouvelle configuration entre caste et classe qu’avaient notamment manifesté les protestations. Désormais  » la question centrale de la recherche est de savoir si la caste doit être acceptée comme une catégorie permanente et fixe pour identifier les classes défavorisées socialement et sur le plan éducatif ou si il faut aller au delà de la caste pour trouver un critère plus séculier et plus flexible. » Ce débat opposera notamment deux universitaires marxistes I.P. Desai ( ‘Should “Caste” be the Basis for Recognising Backwardness?’) qui est contre et Ghanshyam Shah ( « Caste, Class and Reservation« ) qui est pour, débat qui bien entendu se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

C’est en effet à une véritable « Lutte de classement » comme l’écrit Roland Lardinois que l’on assiste depuis quelques décennies, où Les usages politiques de la caste ( Lardinois toujours, cette fois au sujet de la somme incontournable de Christian Jaffrelot : La démocratie par la caste ) sont démultipliés. Un des paradoxes les plus spectaculaires concerne les « castes-classes ascendantes » qui après avoir longtemps bataillé pour monter dans l’échelle de la varna ( une caste shudra demandant ainsi à devenir kshatrya) se mobilisent désormais pour être catégorisées « Other Backward Classes » ( voir par exemple les études de cas de Jaffrelot et A. Kalaiyarasan , « The Political Economy of the Jat Agitation for Other Backward Class Status« , « Caste as Social Power. Social Trajectory of an Intermediate Caste » de Satish Chennur et le livre From Hierarchy to Ethnicity. The Politics of Caste in Twentieth-Century India). Ce qui amène notamment à repenser un concept très sollicité dans l’analyse des castes, la « sanskritisation », qu’on appelle parfois brahmanisation, terme forgé par le sociologue M. N. Srinivas dans les années 60 pour décrire comment des basses castes recherchent une mobilité « ascendante » en imitant les rituels et les pratiques des castes dominantes.

Comme le résume Karin Kopadia dans son livre Siva And Her Sisters. Gender, Caste and Class in Rural South India : « Cette adoption par les basses castes des normes des castes dominantes est une tentative de s’approprier un style culturel prestigieux qui souligne leur changement en terme de statut de classe. Ils ne prétendent pas à un plus haut niveau dans l’échelle des castes, la brahmanisation a en fait plus à voir avec la mobilité de classe que la légitimation via un plus haut niveau de caste. » Et cela ne concerne pas que les « middle castes » comme le démontrent le livre de Vijay Prashad Untouchable Freedom A Social History of a Dalit Community et l’article de Nicolas Jaoul « Casting the ‘sweepers’. Local politics of sanskritisation, caste and labour« . Dans ce texte dense et fouillé sur la caste intouchable valmiki assignée au balayage dans les villes, Jaoul décrit un processus fort compliqué où s’entrecroisent caste et classe sur fond de sankritisation voulue par en haut (pour occulter les enjeux de l’intouchabilité et mieux contrôler la force de travail) et d’assentiment « tactique » par le bas :  » L’identité de caste a été habilement subvertie et réécrite d’une manière singulière qui signale le refus d’être patronné et l’aspiration dalit à la dignité et à l’émancipation. Tout en cherchant stratégiquement le patronage de leurs bienfaiteurs dans les élites locales, et acceptant donc le nouveau nom qu’on veut leur donner, les valmikis ne renoncent pas pour autant à leur autonomie. C’était une solution de compromis entre la sanskritisation et l’idéologie dalit qui comme le suggère Prashad, découle du contexte particulier d’un travail employé par les autorités municipales. »

Autre enjeu parallèle qui a retenu beaucoup de l’attention des chercheurs indiens et internationaux : l’émergence d’une classe moyenne sur le sous-continent. D. L. Sheth dans son article « Secularisation of Caste and Making of New Middle Class » a proposé un cadre théorique intéressant pour aborder la question. Selon lui, il se produit une « déritualisation de la caste. Avec l’érosion de la ritualité une grande partie du système qui soutenait la caste s’est écroulé. La caste survit désormais comme système de parenté basé sur la communauté culturelle qui opère comme un système émergent de stratification sociale. » Cette déritualisation débouche sur une « sécularisation de la caste qui a détaché d’un côté la caste de la hiérarchie de statuts rituelle d’un côté et l’a importé de l’autre comme caractéristique fonctionnelle dans la politique démocratique concurrentielle. (…) La conscience de caste est désormais articulée comme conscience politique de groupes revendiquant du pouvoir dans une structure des opportunités modifiée. »

Et c’est dans ce contexte qu’émerge la classe moyenne, objet pour le moins hybride selon Sheth : « La nouvelle classe moyenne ne peut pas être considérée comme constituant une pure classe – une construction intellectuelle qui tient de la pure fiction. Elle garde en elle quelques éléments de la caste, dans la mesure où l’entrée d’un individu dans la classe moyenne est facilité par les ressources politiques et économiques collectives de sa caste. (…) pour les membres des basses castes, qui ne disposent pas des ressources liées au statut traditionnel, leur entrée dans la classe moyenne est facilitée par les quotas légaux prévus par l’affirmative action auxquels ils ont droit du fait de leur place dans le système traditionnel. Il semblerait que la classe moyenne indienne continue à porter en elle des éléments de caste dans la mesure où les aspirations modernes à un meilleur statut et la possibilité de leur réalisation sont vus par les individus dans les termes de la caste à laquelle ils appartiennent. Mais le fait crucial dans la formation de cette nouvelle classe moyenne c’est que tout en utilisant les ressources collectives de leurs castes respectives, les individus y entrant connaissent un processus de classisation; a) ils s’éloignent des rôles rituels et des fonctions attachées à leur caste b) ils acquièrent une nouvelle identité du fait de cette nouvelle appartenance c) leur intérêt économique et leur style de vie convergent plus avec les autres membres de la classe moyenne qu’avec leurs compatriotes de caste n’y appartenant pas. » Sur ce marronnier éditorial et académique qu’est la « classe moyenne indienne » et son rapport aux castes, on lira également avec profit les contributions toujours d’actualité de Jackie Assayag ( « En quête de classe moyenne en Inde. Grandeur, recomposition, forfaiture » et « Caste, démocratie et nationalisme. Les avatars du « castéisme » dans l’Inde contemporaine« ) et Gerard Heuzé ( « La classe moyenne ou l’enjeu mouvant de l’égalité : réflexion sur le cas indien« ).

Autre dynamique voisine, le développement de classes au sein des castes, y compris les plus basses comme l’illustre l’article « Caste and Class among the Dalits » de D. Shyam Babu paru dans le recueil Dalit Studies. Dans celui-ci Babu signale les effets absurdes des politiques de « reservation » notamment sur la transition possible de la caste à la classe : « Ironiquement, la discrimination positive semble avoir enfermé les membres de la communauté dans un statut inférieur. Un groupe de Dalits qui, bien que peu nombreux, est en mesure de devenir une classe, est incité par l’affirmative action non seulement à conserver, mais aussi à brandir son identité de Dalit. Il s’agit là d’un paradoxe, car la discrimination positive a été conçue en Inde pour, d’une part, dédommager les Dalits (et les tribus répertoriées) pour les injustices passées qu’ils ont subies et, d’autre part, les mettre sur un pied d’égalité avec les autres catégories de la population. En tant qu’instrument politique, elle est inefficace car elle ne peut bénéficier qu’à une fraction de la communauté, et Ross Mallick s’interroge à juste titre sur « la pertinence de la discrimination positive pour l’amélioration du sort de la communauté » De plus, étant donné son mode de fonctionnement, ses bénéficiaires se retrouvent dans un statut contradictoire d’indépendance économique et d’infériorité sociale. Malgré la certitude statistique écrasante que la discrimination positive ne profitera qu’à un très petit nombre, les Dalits sont conditionnés à maintenir leur statut de « scheduled » dans l’attente de son utilité future. Cette tendance conduit parfois à des situations dans lesquelles les Dalits eux-mêmes exigent des politiques rétrogrades. » Karin Kopadia dans son livre Siva And Her Sisters. constate plus généralement : « Avec une plus grande différentiation en termes d’éducation et d’accès à l’emploi, des divisions de classe apparaissent désormais au sein des castes. Mais du fait du profond enracinement des identités de caste, ces divisions ne débouchent pas sur la naissance d’une conscience de classe qui pourrait transcender la caste mais au contraire en une plus grande stratification de classe au sein de la caste. » Sans que cela ne diminue l’emprise de cette dernière…

Enfin, si certaines études se sont penchées sur le rapport entre caste, classe et inégalités dans l’Inde contemporaine, ainsi le livre d’Ashwini Deshpande, The Grammar of Caste. Economic Discrimination in Contemporary India ou en français l’article de Marie-C. Saglio-Yatzimirsky « La pauvreté en Inde : une question de castes ?« , c’est surtout autour des évolutions de l’exploitation dans les campagnes et en ville que l’on trouve les contributions les plus stimulantes. L’article de Alpa Shah et Jens Lerche, « Tribe, Caste and Class – New Mechanisms of Exploitation and Oppression » qui ouvre le recueil qu’ils ont édité en 2018, Ground Down by Growth. Tribe, Caste, Class and Inequality in Twenty-first-century India, nous a semblé offrir une bonne synthèse théorique. Selon ces deux auteurs « la globalisation économique a ré-enraciné les oppressions sociales fondées sur l’identité ( par lesquelles nous entendons ici la tribu, la caste, le genre et la région mais nous pourrions ajouter la race, l’ethnicité, la sexualité) les rendant inséparables des rapports de classe, un processus que nous conceptualisons comme une « oppression conjuguée » {« conjugated oppresion »}. (…) Ground Down by Growth montre comment les inégalités de caste et de tribu ( et de région et de genre) se forment via les rapports de classe dans le pays, transformant les vieilles formes de discrimination et de marginalisation basée sur l’identité en de nouveaux mécanismes d’exploitation, d’oppression et d’assujettissement. Plus spécifiquement, nous avançons que l’enracinement de la différence sociale dans l’expansion du capitalisme se réalise au travers de trois processus reliés entre eux : les inégalités de pouvoir héritées du passé ; l’hyper-exploitation fondée sur le travail migrant non qualifié et l’oppression conjuguée. »

Rappelant combien la modernisation économique indienne s’est fondée sur une plus grande encore informalisation du travail que par le passé ( au point que Jonathan Parry décrit dans Classes of Labour les 8% des travailleurs qui sont dans le secteur formel comme une « aristocratie ouvrière » fondamentalement opposée au 92% restant dans le secteur informel) et a démenti les « prédictions téléologiques » annonçant une inexorable « prolétarisation » à l’occidentale, Shah et Lerche constatent : « Alors que le travail à temps plein dans l’agriculture a rapidement diminué dans l’ensemble du Sud, il n’y a pas d’évolution générale vers une classe doublement « libre » – d’une main-d’œuvre principalement industrielle « libérée » (c’est-à-dire dépossédée) de l’accès aux moyens de production tels que la propriété foncière, et « libre » (c’est-à-dire forcée par la contrainte économique) de vendre sa force de travail. Au lieu de cela, des groupes de travailleurs « plus ou moins » libres (Banaji 2003) ont été constitués, ayant souvent au moins un pied dans l’agriculture et l’autre dans le travail informel et précaire et dans la production de petites marchandises en dehors de l’agriculture. Cette condition non prolétarienne, que Henry Bernstein appelle les « classes du travail » { « classes of labor »}, peut être considérée comme une nouvelle armée de réserve permanente confrontée à une marginalité terminale au sein du capitalisme mondial. C’est le sort de la majeure partie de la population active d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, et, selon certains, même de la Chine. »

Si dans ce contexte, la revitalisation des discriminations « fondées sur l’identité » semble centrale à Shah et Lerche, ils n’en sont pas moins critiques des théories intersectionnelles : « Ces dernières années, les théories de l’intersectionnalité ont connu beaucoup de succès avec leur tentative d’attirer l’attention sur comment l’injustice et l’inégalité sociale se produisent à un niveau multidimensionnel impliquant plusieurs identités « interagissant entre elles » ( telles que le genre, la race, la classe et l’ethnicité). Bien qu’elles aient été importantes en mettant en lumière les identités multiples, nous pensons que ces théories ne sont pas adéquates pour expliquer la façon inextricable dont les rapports de classe et d’identité se constituent mutuellement. C’est parce que dans la plupart des analyses de « l’intersectionnalité » les différentes catégories sont presque toujours traitées comme des « variables » indépendantes qui peuvent ou non dans des circonstances particulières « interagir », » se croiser » ou « corréler ». De surcroit, la classe est traitée comme une catégorie sociale plutôt que comme constitutive des rapports sociaux entre les personnes tels qu’ils sont déterminés par leur rapport aux moyens de production et de reproduction. Nous attirons au contraire l’attention sur le fait que l’oppression sociale fondée sur l’identité est constitutive et détermine le rapport des personnes à leurs moyens de production et de reproduction, nous plaçons ainsi au premier plan l’analyse de l’économie politique dans laquelle les rapports de classe, caste, tribu, genre et de région sont inextricablement liés. »

Après avoir donné un rapide mais utile aperçu des analyses existantes « sur cette constitution mutuelle des rapports de classe et de la différence sociale » ( Oliver Cox, Stuart Hall, Etienne Balibar), Shah et Lerche détaillent ce qu’ils entendent par les trois processus interconnectés qui la permettent en Inde. Ainsi  » les inégalités de pouvoir héritées du passé » : « puisque pour les groupes dalits ou tribaux, l’inclusion négative/défavorable {« adverse inclusion »} dans l’économie se fonde sur un désavantage historique et une discrimination institutionnalisée. Cette histoire légitime le fait qu’aujourd’hui dalits et tribaux ont moins de terres, de capitaux, d’éducation et de poids politique que les autres et sont donc consignés aux travaux les moins qualifiés et les plus durs. » De même « l’hyper-exploitation fondée sur le travail migrant » prend sa source dans une migration venant non pas de l’extérieur mais « d’une extranéité interne {« internal alien-ness »} basée sur le statut de classe, de tribu ou régionale. Cette circulation interne de la main d’oeuvre est essentielle pour abaisser les coûts et contrôler le travail dans et en dehors du processus de travail. » Ce qui donne naissance à ce que Jan Breman « appelle les « chasseurs-cueilleurs de salaire » qui transcendent et travaillent au delà des séparations agriculture-industrie et ville-campagne. » Et s’appuyant sur Meillassoux ( cf Femmes, greniers, capitaux) Shah et Lerche définissent l’hyper-exploitations comme « la condition dans laquelle le capital réduit les coûts du travail venant de la campagne bien en deçà des coûts de locaux standards du travail non seulement en les payant moins et en leur faisant subir de pires conditions de travail mais aussi en omettant le coût de sa reproduction dans sa région d’origine. »

Enfin « l’oppression conjuguée » ( terme emprunté à Philippe Bourgois), qui selon les auteurs n’est pas l’apanage du seul capitalisme, atteint bien entendu des sommets « puisque dalits et tribaux ne sont pas seulement représentés comme des étrangers; dans bien des cas ils sont les non-humains de l’Inde, ceux qu’on peut discriminer, ceux qui n’ont pas de droits et contre lesquels on peut commettre des atrocités avec une quasi complète immunité. » D’autant quand sous prétexte de lutte anti-naxaliste on les transforme désormais en « classes dangereuses » « non civilisées » et « anti-nationales ». Les auteurs concluent : « Pour en revenir à Stuart Hall, la capitalisme fonctionne en utilisant les spécificités culturelles de la force de travail ; et en accord avec E.P. Thompson, c’est depuis les univers de vie spécifiques des différents groupes dalits et tribaux qu’une conscience et action de classe spécifiques contre ces conditions pourra se former. Mais comme nous le montrons, la forme précise, la direction ou la portée d’une telle action ne sont pas prédestinées et ne peuvent être considérées comme garanties. » Précisons que nous ne rendons pas ici réellement justice au texte, puisque chaque « généralité analytique » est illustrée d’exemples très concrets à travers les secteurs industriels, groupes sociaux et régions de l’Inde actuelle. La série d’études de cas qui constituent le recueil étant de surcroît très éclairante sur bien des réalités localisées et agencement sociaux spécifiques qui font les rapports sociaux sur le sous-continent. On regrettera juste que dans leur salutaire volonté de synthèse, les auteurs ne prennent pas le temps de véritablement théoriser l’articulation entre la caste, la classe et le genre, historiquement et aujourd’hui, articulation qui sera l’objet du prochain et dernier post.

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