Evgeny Bronislavovich Pašukanis : Éléments de bibliographie

Nous avons adapté ici une partie de la bibliographie donnée dans l’ouvrage Evgeny Pashukanis, Selected Writings on Marxism and Law (Egalement disponible sur le site marxists.org.), à laquelle nous avons rajouté ou traduit des éléments de contexte et des extraits des textes de Pašukanis disponibles.

1924

– Parution de Obshchaia teoriia prava i marksizm: Opyt kritiki osnovnykh iuridcheskikh poniatii ( La théorie générale du droit et le marxisme  : une tentative de critique des concepts juridiques de base ) chez Sotsakad, Moscou

1925

-«  Lenin i voprosy prava  »( Lénine et les problèmes juridiques) paru dans le premier numéro de la revue Revoliutsiia prava (La Révolution du Droit).

Alors que Lénine vient de mourir, Pašukanis tente de s’appuyer sur les nombreuses mais très éparses analyses du droit présentes dans son oeuvre pour appuyer les thèses de La Théorie Générale du Droit et le Marxisme parue l’année précédente. L’article a toutefois une autre visée puisqu’il est publié au moment d’une vaste offensive contre « l’opposition de gauche » menée par Trotsky. Ce dernier est d’ailleurs attaqué violemment dans l’article, ce qui signalait à l’époque que les deux animateurs principaux de la revue, Pašukanis et Stučka, prenaient clairement le parti de Staline dans la lutte de pouvoir au sein du Parti.

« L’incomparable dialectique de Lénine n’apparaît nulle part avec autant de force que sur la question du droit. C’est particulièrement marquant si on doit le comparer avec le misérable formalisme et la scolastique stérile qui abondent en général dans ce domaine. Nous avons à l’esprit non seulement les analyses théoriques de la superstructure juridique, par lesquelles Lénine apparaît comme un véritable successeur de Marx, mais aussi les positions pratiques de Vladimir Ilich dans ce domaine. Ici aussi nous rencontrons de frappants exemples de la plus pure dialectique léniniste. Il suffit d’observer le rôle que Lénine à donné à la forme juridique dans plusieurs situations concrètes. Il le faisait toujours en prenant complètement en compte la situation historique concrète, les rapports de force entre les classes en lutte, etc. Et on réalise que tout autant le fétichisme de la forme juridique que son complet opposé, qui échouent tous deux à saisir la signification réelle qu’une forme juridique ou une autre peut avoir à une certaine étape, étaient également étrangers à Vladimir Ilich. »

« Lénine comprenait ce que ses opposants ne parvenaient pas à saisir : que la revendication « abstraite », « négative », de droits formellement égaux, était, dans une conjoncture historique donnée, simultanément un slogan révolutionnaire et « révolutionnant » et aussi la meilleure méthode pour renforcer la solidarité de classe du prolétariat et le protéger des infections de l’égoïsme national-bourgeois. »

1926

-Obshchaia teoriia prava i marksizm, 2ed., Komakad, Moscou ( 2éme édition de La théorie générale du droit et le marxisme)

-« Mezhdunarodnoe pravo »( article « Droit international » du second volume de L’Encyclopedie de l’État et du Droit)

Lancé à l’initiative de Stučka, l’Encyclopedie de l’État et du Droit connu trois volumes qui furent publiés entre 1924 et 1927. Selon Piers Beirne et Robert Sharlet, « l’Encyclopédie représentait la première tentative systématique par des juristes marxistes d’étendre leur perspective critique à tous les concepts majeurs du droit et de la politique. La liste des auteurs de cet impressionnant ouvrage comprenait tous les principaux juristes de l’époque en URSS. » Michael Head rappelle que c’est Stučka lui même qui a rédigé une grande partie des entrées et remarque : » Le ton et le contenu ampoulé des contributions de Stučka tient à leur motivation sous-jacente qui est de justifier, comme une condition plus ou moins permanente, l’usage de la répression étatique. Stučka déclarait alors que la dictature du prolétariat allait probablement durer « extrêmement longtemps ». De même, Beirne et Sharlet constate : »Si les entrées de l’Encyclopédie sont souvent énigmatiques ou dogmatiques, elles servaient l’important objectif de fournir une théorie du droit qui pourrait soutenir le système juridique soviétique non pour une brève période de transition envisagée par les communistes les plus radicaux, mais pour des décennies, et de fait pour un futur indéfini. Leur logique suggère en fait un abandon de l’idée de l’extinction de l’État. »
Pašukanis rédigea notamment les entrées : « Léon Duguit », « L’objet de la Loi », et « Droit international », dernier article dont est tiré l’extrait qui suit.

« Le contenu historique réel du droit international, c’est la lutte entre les États capitalistes. Le droit international doit son existence au fait que la bourgeoisie exerce sa domination sur le prolétariat et les pays coloniaux. Ces derniers sont organisés dans un certain nombre de trusts étatico-politiques en compétition les uns avec les autres. Avec l’émergence des États soviétiques dans l’arène historique, le droit international assume une signification nouvelle. Il devient la forme d’un compromis temporaire entre deux systèmes de classe antagonistes. Ce compromis s’effectue pour la période où un système ( bourgeois) est d’ores et déjà incapable d’assurer sa domination exclusive et un autre ( prolétarien et socialiste) n’y est pas encore parvenu. C’est en ce sens qu’il semble possible pour nous de parler de droit international dans la période de transition. » (p.172)

1927

-« Marksistskaia teoriia prava i stroitel’stvo sotsializma » ( La théorie marxiste du droit et la construction du socialisme) in Revoliutsiia prava ( La révolution du droit) n°3

L’année 1927 marque à la fois la défaite de l’opposition unifiée face à Staline et un tournant important dans les débats juridiques post-révolutionnaires. Si Pašukanis devient un acteur dominant de la scène juridique, sa théorie commence à faire l’objet de critiques détaillées qui soulignent l’importance excessive qu’il accorde à l’échange marchand au détriment du contenu de classe spécifique du droit. Le principal critique n’est autre que Stučka, qui, complètement aligné sur le bloc Staline-Boukharine, semble prendre la tête d’une fraction modérée de la scène juridique soviétique qui prend ses distances avec « l’invariance » de Pašukanis concernant l’impossibilité d’un droit soviétique ou prolétarien.
Pour Stučka , le droit soviétique n’est pas qu’un résidu bourgeois promis à l’extinction mais aussi un aspect nécessaire et créatif d’une dictature du prolétariat amenée à durer. Si la critique de Stučka recoupe le nouveau tournant de la politique soviétique, entre l’isolation persistante du régime, après la défaite de la grande grève générale britannique de 1926 et l’écrasement de la révolution chinoise l’année suivante, et les préparations de la « révolution culturelle » et du plan quinquennal lancés en 1928, elle pointe néanmoins certaines insuffisances criantes des thèses de Pašukanis. Celui-ci en prend acte dans cet article, qui marque aussi le début d’une série de corrections faites le plus souvent pour complaire à la nouvelle direction stalinienne et qui l’amèneront aux reniements complets de 1936.

« Le rapport entre deux possesseurs de marchandise, comme base réelle de toute la riche variété de constructions juridiques, est en soit une abstraction relativement vide. Beaucoup de choses se cachent derriere la volonté du possesseur de marchandise : la volonté du capitaliste, la volonté du petit producteur de marchandise et la volonté du travailleur vendant sa seule marchandise – sa force de travail. Le caractère formel de la transaction juridique ne dit rien de son contenu économique et de classe.
Sur ce point le camarade Stučka nous appelle correctement  » à ne pas nous confiner au monde abstrait des simples producteurs de marchandises plus qu’il n’est nécessaire pour révéler les secrets de des abstractions de la loi bourgeoise. Une fois que c’est fait retour à la réalité, à la société de classe. » On peut difficilement refuser cette recommandation. L’interprétation du sens des catégories formelles du droit ne les dépouille pas de leur caractère formel et par conséquence n’élimine pas le danger de retomber dans une idéologie juridique agrémentée d’une coloration marxiste. » (p196)

-« O revoliutsionnykh momentakh v istorii angliiskogo gosudarstva i angliiskogo prava  » ( Éléments révolutionnaires de l’histoire de l’État et du droit Anglais) ibid.

Alors que l’école juridique de « l’échange marchand » fondée par Pašukanis étend son influence, les jeunes disciples sont invités à appliquer la nouvelle méthode à de nouveaux domaines. Parmi ceux-ci l’histoire, d’où cette contribution de Pašukanis sur la Révolution Anglaise où, pour l’anecdote, il semble par moments dresser un parallèle entre les niveleurs d’alors et les bolcheviks, comme si l’organisation démocratique et informelle des premiers avait préfiguré celle verticale et bureaucratique des seconds.

« Pour le marxiste, il ne peut y avoir de doute quant au fait que la nature réelle des organisations et institutions juridiques est le plus clairement révélée quand un vieil ordre social est détruit et est remplacé par un nouveau. Par conséquent , une des missions de la section juridique de l’Académie Communiste est d’étudier les plus grandes phases révolutionnaires. Il est par contre impossible de présumer que cette tâche sera en quoi que ce soit facilitée par cette étude spécialisée de l’histoire du droit que nous a fourni jusqu’ici la science bourgeoise. Dans ces travaux, contrairement à la littérature historique en général, les périodes révolutionnaires n’occupent qu’une place relativement modeste. On peut l’expliquer probablement par le fait que la lutte des classes ouverte ne révèle pas seulement le caractère social réel de la loi de l’État mais révèle également l’inadéquation complète du dogmatisme historique et des historico-évolutionnistes qui sont l’apanage de la science juridique bourgeoise. »

1929
-Ekonomika i pravovoe regulirovanie ( Régulation économique et juridique) in Revoliutsiia prava (La révolution du droit) n°4-5

Année de l’expulsion de Trotsky, du renforcement du pouvoir de Staline et du début des déboires de Boukharine and co, 1929 est celle aussi des débuts d’une campagne de collectivisation forcée et d’industrialisation à outrance qui suppose plus encore qu’à l’accoutumée la défense de l’État soviétique. En avril, lors d’une réunion du plenum du Comité Central du Parti Communiste, Staline a demandé qu’on renforce la dictature du prolétariat afin de mener au mieux la lutte contre les koulaks. Pašukanis en tant que juriste en chef se doit donc d’adapter sa théorie aux nouvelles exigences du pouvoir. C’est à quoi il s’attelle dans cet article où il critique la thèse de Yevgeni Preobrazhensky sur 
l’accumulation primitive socialiste à laquelle il reproche de ne pas percevoir la nature originale du nouveau régime, qu’il fait ressortir en analysant notamment l’intervention des États occidentaux dans l’économie durant la première guerre mondiale. Il continue d’ailleurs à considérer que la fusion du législatif et de l’administratif dans l’économie planifiée ne fait que préparer le dépérissement du droit et de l’État.

« En nous penchant désormais sur la régulation de l’économie dans les conditions soviétiques, nous devons tout d’abord noter qu’il ne s’agit pas principalement de structuration rationnelle de l’économie nationale, de la réalisation d’une proportionnalité entre les différentes branches de production; ce n’est pas juste le fait d’arriver à un équilibre exact de l’économie nationale dans son ensemble. C’est avant tout une tâche politique, la continuation de la lutte de classe, la fondation d’une économie socialiste malgré la resistance de couches sociales hostiles, malgré l’idéologie encore intacte de la propriété privée; et cela en faisant de grands sacrifices. Noter régulation a pour but la création la plus rapide possible d’une base culturelle et technique pour le socialisme. Nos plans doivent inclurent et comprennent un principe directeur et non simplement un ajustement mécanique de l’offre et la demande. Notre régulation se distingue également par le fait qu’elle est basée sur la nationalisation. Nous ne nous sommes pas arrêtés devant le sanctuaire de la propriété privée et nous avons ouvert la voie à l’influence directe sur le processus de production. Cela était de fait considéré comme impossible par les théoriciens bourgeois. La régulation par les États capitalistes a commencé dans la sphère de la distribution et s’y est essentiellement limitée. Quels changements dans le domaine du droit découle de la régulation de l’économie nationale ? Le premier et le plus important c’est la fusion de la législation avec l’administration. Nous proclamons l’unité des pouvoirs exécutifs et législatifs comme le principe de base de notre structure étatique, mais ce principe s’impose profondément dans la pratique dés lors que nous passons à une activité planifiée et régulée. »
« Cette perspective de développement des actes et relations organisationnels et techniques au détriment des ceux juridiques formels, c’est la perspective du dépérissement du droit, qui est étroitement lié au dépérissement de la coercition étatique dans la transition à une société sans classes. Le problème du dépérissement du droit est la pierre angulaire par laquelle se mesure le degré de proximité d’un juriste avec le marxisme.
La tentative d’adopter une forme de neutralité sur cette question est aussi impossible que de maintenir une neutralité dans la lutte pour le socialisme (…) Celui qui n’admet pas que l’organisation planifiée éradique la base juridique formelle est, essentiellement, convaincu que les relations de l’économie marchande capitaliste sont éternelles et que leur disparition présente n’est qu’une anormalité amenée à disparaître dans le futur. »

1932

-Uchenie o gosudarstve i prave (La doctrine de l’État et du Droit), Partizdat’, Moscow, E.B.P. ed.

Nous traduisons ici la présentation succincte que donnent Piers Beirne et Robert Sharlet en introduction à la traduction de cet article par Peter B. Maggs.

«  Lors de l’hiver 1929-1930, l’économie de l’URSS connut des ruptures dramatiques avec les débuts de la collectivisation forcée et une industrialisation rapide. De façon concomitante semble-t-il, le Parti insistait sur la reconstitution et le ré-alignement des superstructures en conformité avec le développement de ces nouveaux rapports de production. Dans cet esprit, Pašukanis n’était plus critiqué mais ouvertement attaqué dans la lutte sur le « front juridique ». Comme beaucoup d’autres figures intellectuelles venant d’autres disciplines, l’Histoire notamment, Pašukanis entreprit à la fin de 1930 une auto-critique majeure, qualitativement différente des changements marginaux apportés précédemment à son oeuvre. Durant l’année suivante, 1931, Pašukanis exposa cette révision idéologique dans son discours devant la première conférence des juristes marxistes, un discours intitulé « Vers une théorie marxiste-léniniste du Droit ». Les premiers résultats apparurent l’année d’après dans un ouvrage collectif La doctrine de l’État et du droit.
Ce qui suit est la traduction du premier chapitre du livre, « La théorie marxiste de l’État et du droit » qui fut rédigé par Pašukanis lui même. Il faut noter que cet ouvrage illustre les transformation formelles qui se sont déroulées dans le monde de l’enseignement du droit durant cette période agitée. Auparavant, Pašukanis et d’autres juristes auraient signé leur propre monographie; la tendance était désormais à l’édition collective ce qui garantissait la plus grande sécurité individuelle. Les interprétations par Staline de l’histoire bolchevik, de la lutte des classes et du révisionnisme, et plus particulièrement son livre Les problèmes du léninisme sont devenus peu à peu la principale source d’autorité. Enfin, le langage et le vocabulaire du discours académique était dans les années 20 riche et divers et évoluait énormément selon les préférences individuelles des auteurs; a cela se substitua une prose simplifiée et standardisée sans nuances ni ambiguïtés, et qui essayait surtout de rester fidèle au nouveau contenu théorique des plus récents manuels sur l’État et le droit. Le lecteur s’apercevra peut-être que « La théorie marxiste de l’État et du Droit » est un texte imprégné de ces tensions. »

« Le droit soviétique comme forme particulière de politique suivie par le prolétariat et l’État prolétarien, a été pensé précisément pour garantir la victoire du socialisme. De ce fait il est radicalement différent du droit bourgeois malgré leur ressemblance formelle. »
« La tentative d’établir une distinction entre les caractéristiques formelles et les concepts juridiques abstraits exprimant le rapport entre possesseurs de marchandise et de proclamer « cette forme de loi » comme le sujet de la théorie marxiste du droit doit être reconnu comme constituant une lourde erreur. Cela prépare la voie à la séparation de la forme et du contenu et détourne la théorie de sa tâche de construction socialiste vers la scolastique.
La relation immédiate, en pratique, entre le prolétariat (comme classe dominante) et le droit (comme arme avec laquelle sont décidées les taches de la lutte de classe à chaque étape) est remplacé dans ce cas par le refus théorique abstrait de « l’horizon borné du droit bourgeois » au nom du communisme développé.
Dans cette perspective, le droit soviétique est vu exclusivement comme un héritage de la société de classe imposé au prolétariat et qui le tourmente jusqu’à la seconde phase du communisme. L’exposition théorique abstraite du droit bourgeois masque la nécessité de l’analyse concrète du droit soviétique à différentes étapes de la révolution. De ce fait, il ne donne pas d’indications concrètes suffisantes pour la lutte pratique contre les influences bourgeoises et les distorsions opportunistes de la ligne générale du Parti sur la question du droit. »

1935

-Kurs sovetskogo khoziaistvennogo prava (Un cours sur le droit économique soviétique), E. B. Pashukanis and L. Ia. Gintsburg (editeurs.) Sov. zakonadat.,Moscou.

Alors que dans le monde académique l’étau se resserre sur tous ceux qui ne s’acclimatent pas suffisamment vite au nouveau cours stalinien et au renforcement à tout crin de l’État, ce Cours sur le droit économique soviétique de Gintsburg et Pašukanis, largement diffusé à l’époque, se présente tout d’abord comme une apologie d’un Staline théoricien de la construction du socialisme, désormais mis au rang de Marx, Engels et Lénine. On peut le considérer néanmoins comme une tentative de sauver un peu de cohérence théorique par une forme de fuite en avant : ainsi l’objectif de dépérissement du droit qui était sauvegardé via la suprématie de la règle technique et du plan, devient l’alibi d’une apologie du despotisme d’usine dans l’essor industriel du capitalisme d’État soviétique.

« Le droit économique soviétique est un système de mesures nécessaires pour résoudre les problèmes organisationnels les plus importants de la construction d’une économie socialiste. Tous ces principes et institutions – tels que la discipline du plan, la gestion individuelle, la responsabilisation économique, la discipline des contrats- apparaissent si on les examine de plus près, comme des leviers importants pour l’organisation de la production socialiste et du commerce soviétique. Le plan est la loi de l’État soviétique. La réalisation du plan est l’obligation sacrée de chaque agence économique, de chaque dirigeant, de chaque travailleur. La nature obligatoire des actes liés à la planification socialiste ( la discipline de plan) est soutenu par plusieurs sanctions, notamment par la répression sur des chefs d’accusation criminels. Le plan comme loi, et la cour comme gardienne du plan et de la loi, sont donc les deux leviers les plus importants de l’organisation socialiste. (…) L’économie socialiste, basé sur un haut niveau de technologie, requiert la plus stricte unité de volonté, la subordination inconditionnelle à la volonté du dirigeant soviétique.  »

1936

-«  Gosudarstvo i pravo pri sotsializme  » ( L’État et le Droit sous le socialisme) Sovetskoe gosudarstvo no.3

De nouveau nous traduisons la présentation donnée par les éditeurs de l’anthologie Evgeny Pashukanis, Selected Writings on Marxism and Law, Piers Beirne et Robert Sharlet.

« La révolution par le haut stalinienne avait atteint en 1936 la plupart de ses objectifs économiques et politiques, et sa propension naissante à privilégier une plus grande formalité et stabilité juridique devenait de plus en plus apparente. Le parti était en train de s’éloigner du « nihilisme juridique » et se rapprochait de la stabilité et de la légalité socialiste et Pašukanis a du être certainement conscient du fait que les tendances gauchistes qu’il semblait représenter devenaient un obstacle à ce mouvement de balancier.
Comme le professeur Hazard le décrit dans sa préface ( traduite sur ce site), Pašukanis était toujours politiquement pré-éminent dans le monde juridique soviétique. Son collègue, Krylenko, avait été nommé commissaire à la justice de l’URSS. En plus de ses autres rôles et titres, Pašukanis avait été nommé commissaire suppléant et s’était vu confier des responsabilités spéciales dans la rédaction de la nouvelle constitution de l’URSS qui devait remplacer celle de 1924, désormais caduque. La tendance à une plus grande stabilisation juridique et à un plus grand recours à la loi comme instrument de régulation et de contrôle était déjà bien évidente dans l’avant-projet de constitution ainsi que dans les changements dans le domaine des lois sur les contrats, sur la famille ou les fermes collectives. Ces changements et la nouvelle constitution indiquaient bien qu’on s’éloignait de la vision nihiliste et abolitionniste du droit économique et qu’on allait vers une réhabilitation de la forme juridique telle qu’elle avait été articulée pendant la NEP.
Pašukanis, comme théoricien et symbole de l’ancienne politique juridique, se tenait en travers du chemin de ce tournant. C’est lui, après tout, qui avait à l’origine caractérisé toutes les lois comme bourgeoises et qui, avec le succès de sa Théorie Générale du Droit, avait popularisé ce point de vue non seulement parmi les juristes marxistes mais plus encore parmi les divers dépositaires de l’autorité qui trouvaient pratique de se penser comme au dessus des lois. De surcroît, Pašukanis était clairement identifié avec l’opposition à l’idée de « loi socialiste » et il restait le défenseur le plus en vue du processus actif de dépérissement du droit. Sentant qu’il n’était plus officiellement et publiquement dans la norme de la nouvelle politique du Parti concernant l’État et le Droit, Pašukanis s’empressa de publier sa troisième et dernière auto-critique. Dans cette déclaration relativement pitoyable, Pašukanis applaudit le dicton popularisé par Staline au plenum du CC d’avril 1929 et au XV et XVI ème congrès du parti et ailleurs, selon lequel le socialisme demande la plus haute concentration de pouvoir étatique. Pašukanis admet que sa Théorie Générale a été sérieusement déficiente puisque le socialisme en pratique ne consiste pas dans le dépérissement imminent de la forme juridique mais dans la préparation des conditions de ce processus. Sous le socialisme, la forme juridique ne disparaît que par rapport à la propriété des moyens de production, mais elle reste néanmoins opérante dans la sphère de la distribution. Seul un système juridique socialiste peut créer les conditions d’une transformation lors d’une phase supérieure du communisme.
Cette rétractation ne fut pas suffisante pour sauver Pašukanis des purges. La nouvelle constitution fut promulguée en décembre 1936, et il disparut un mois plus tard. »

« La société socialiste est organisée comme une société étatique. L’État socialiste et le droit socialiste doivent être entièrement préservés jusqu’à la phase la plus avancée du communisme. C’est seulement à cette phase là que les gens commenceront à travailler sans supervision ni normes juridiques. Il est tout autant opportuniste de dire que le droit va dépérir sous le socialisme que d’affirmer que l’autorité de l’État doit disparaître dés le renversement de la bourgeoisie.
Dans ce contexte il est approprié de présenter une fois encore une critique méritée des positions erronées défendues par l’auteur de La théorie générale du Droit et le Marxisme. C’est essentiel si l’on veut que les vieilles erreurs et confusions ne se reproduisent pas sous d’autres formes.  »
« La position théorique qui initia cette confusion anti-marxiste c’était le concept de droit conçu exclusivement comme forme d’échange marchand. La relation entre les possesseurs de marchandise était considérée comme étant le contenu réel et spécifique de tout droit. Il est clair que le contenu de classe de base de tout système juridique – qui consiste dans la propriété des moyens de production- était par conséquent relégué à l’arrière plan. Le droit était déduit directement de l’échange marchand : le rôle de l’État de classe, protégeant le système de propriété correspondant aux intérêts de la classe dominante, était de ce fait ignoré. L’essence devrait être : quelle classe a le contrôle du pouvoir étatique ?
La grande révolution socialiste d’octobre a attaqué la propriété privé capitaliste et institué un nouveau système juridique socialiste. Le point le plus important du concept de droit soviétique c’est son essence socialiste comme droit de l’État prolétarien. Après la victoire du socialisme et la liquidation de la structure pluraliste de l’économie, le droit n’a pas commencé à dépérir. Plutôt, ce fut la période où le contenu du droit socialiste soviétique reflétait l’uniformisation des rapports de production socialistes. »

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