Un échange autour de classe moyenne salariée, « aristocratie ouvrière », etc.

Nous reproduisons ici un échange ayant eu lieu sur le site www.hicsalta-communisation.com pendant l’été 2017, à l’heure où nous venions d’y publier, sous forme d’épisodes d’un feuilleton, le premier jet de ce qui allaient devenir la Présentation et le Chapitre I de Le ménage à trois de la lutte des classes. Nous ne connaissions pas notre interlocuteur et nous ne savons pas si cet échange lui a été d’une quelconque utilité. Quant à nous, il nous a été utile pour la suite en ce qu’il nous a permis de mieux cerner la différence entre ce que nous appelons la classe moyenne salariée (CMS) et les fractions supérieures de la classe ouvrière par niveau de qualification et/ou de rémunération.

R.F. – B.A., mai 2020

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Salut,

Tout d’abord, je ne sais pas si je suis d’accord sur cette définition de la CMS (il va me falloir un peu l’éprouver par les faits et l’Histoire d’abord), mais je pense que ta démarche mérite d’être louée. Enfin une tentative d’analyser la composition des luttes qui dominent la période actuelle et leurs limites d’un point de vue général. Ça permet de sortir de l’analyse très à la mode, des segmentations particulières du prolétariat vues conjoncturellement pour expliquer l’absence de luttes révolutionnaires et ça c’est cool. Auparavant j’étais, à l’instar de Mylène Gaulard, plus dans la perspective de parler de « couche moyenne ». Mais même si penser de cette manière fonctionne et maintien le paradigme, on a quand même l’impression de passer à côté quelque chose. D’accord ou non, dans tous les cas tes textes ont le mérite de mettre en lumière cet angle mort.

Mais tout de même si l’on part de ta définition de la CMS, cela me pose tout de même pas mal de questions :

1) En partant du sursalaire

Si l’on part uniquement du « sursalaire » pour définir la CMS le problème reste entier : on définit là une classe sociale par ses revenus et non par sa place dans les rapports de production.
De plus si l’on part sur cette idée de sursalaire, une partie des ouvriers ayant réussi à négocier à leur avantage leur force de travail pourrait alors être considérée comme CMS.
En exemple: les dockers du port de Fos gagnaient en moyenne en 2003: 4 600€ brut par mois (selon le fameux rapport de la cour de compte cité ici https://blogs.mediapart.fr/robert-chaudenson/blog/061114/sncm-dockers-de-marseille-les-vraies-donnees ou encore par la Provence qui affirme un net de 2700+ diverses primes). Peut-on affirmer que cela correspond seulement à la vente de sa force de travail assortie d’une forme de prime pour accepter une réduction de son espérance de vie ou y a-t-il sursalaire ? En tout cas, il y a surconsommation et épargne de leur part. Et si oui les dockers sont-ils alors des classes moyennes salariées ?

2) En partant du non-travail

Si l’on part de la place dans les moyens de production des CMS en utilisant ton concept de « non-travail » pour les définir. Ce qui facilite la chose c’est que cet encadrement de la force de travail pour maximiser le rendement est présent que ça soit dans les secteurs productifs ou non productifs. Les capitalistes délèguent leur non-travail de gestion à une partie croissante de leurs salariés. Pourtant est-ce que ce non-travail est systématiquement accompagné d’un sursalaire ? Cela semble moins évident depuis la restructuration : l’augmentation de salaire entre les encadrants et les encadrés semblent de moins en moins significative (notamment au niveau des petits chefs). Surtout dans les secteurs à fort turn-over. Le sursalaire est plus déterminé par des primes qu’une augmentation de salaire horaire. Dans la restauration rapide par exemple la différence de revenus entre un manager et un employé est plus marquée par le nombre d’heures travaillées que par un réel sursalaire (moins de 1 $ de l’heure de différence entre le caissier en bas de l’échelle et le manager https://emplois.ca.indeed.com/cmp/KFC/salaries j’ai choisi le Canada, car les chiffres ont l’air d’être plus facile à trouver que sur la France). Le fait de passer manager permet de passer d’un 20h semaine à un 35h (voir plus). Les primes à l’efficacité sont peu élevées ou très dures à toucher (du style restaurant ayant le plus vendu du département) et souvent réparties à tout le personnel. Bref la hiérarchie par le sursalaire semble plus symbolique que significative. Depuis la restructuration, le déclassement semble s’être fait sur la baisse, voir la suppression de ce sursalaire, mais la charge de non-travail continu à être identique voir supérieure.

Cela ne remet pas en cause la définition des CMS par le non-travail (même si cela justifie leurs luttes dans la période), par contre cela complique la définition par le sursalaire. Tu dis un peu plus loin que si les capitalistes ne versent pas ce sursalaire pour faire le travail des capitalistes « l’ingénieur serait un prolétaire ». C’est intéressant et cela peut marcher dans les secteurs privés. Moins dans le public. Selon cette définition on pourrait donc penser que les fonctionnaires catégorie A (prof et consorts par exemple) sont prolétaires en début de leur carrière et deviennent « de plus en plus » CMS au fur et à mesure qu’ils grimpent les échelons. Pourtant leur fonctionnement en tant que corps intermédiaire à tendance à leur donner des objectifs de lutte plutôt uniformes, surtout pour les profs (aucune perspective de dépassement). Mais là aussi du coup on met de côté leur place dans les rapports de production (ou plutôt de reproduction élargie dans le cas de cet exemple).
D’un autre côté en partant toujours de cette définition par le non-travail : faut-il considérer les ouvriers de Toyota comme des CMS à partir du moment où le non-travail de rationalisation de la production est pris en charge collectivement par eux ? Idem pour les Fralib et autres usines reprises en SCOP.

3) En les utilisant en corrélation

Après avoir dit ça qu’est-ce qu’il reste comme définition possible de la CMS ?

La corrélation de ces deux facteurs (sursalaire + non-travail). C’est plausible, mais en partant de là on peut obtenir un éventail de couches différentes extrêmement larges (on retombe sur un pluriel « les classes moyennes » bien moins utile) et il devient alors difficile de caractériser leurs luttes comme interclassistes autrement qu’individuellement. Exemple : les centaines de milliers d’emplois d’éducateur en CUI/CAE utilisés pour remplacer à moindre coût les boulots auparavant occupés par la fonction publique encadrant la reproduction élargie de la force de travail. Le sursalaire y est inexistant (la plupart ne dépassent pas les 900€ bruts par mois) mais cela permet d’intégrer massivement les enfants de CMS au marché du travail dans cette période de crise. Un boulot de CMS comme papa mais sans le sursalaire qui va avec.

De l’autre côté les ouvriers qualifiés de la Mède (raffinerie à Fos), dont le salaire moyen tourne autour des 4 000€ bruts. Le sursalaire est important alors que le non-travail est inexistant. Et les luttes sociales qu’ils ont pu mener ces dernières années semblent porter uniquement sur la défense ou l’augmentation de ce sursalaire. Plus largement l’ensemble de ce que l’on a pu parfois appeler « l’aristocratie ouvrière » semble être dans ce cas et pourrait alors être considéré comme une couche de la CMS.

Ces disparités ne sont pas si gênantes dans la définition, mais pose tout de même une réelle porosité de la frontière entre CMS et prolétariat. Peut-être qu’un tableau déterminant un ensemble de ces différentes couches et les mettant en relation avec les luttes qu’elles ont pu mener permettrait de voir plus clair pour savoir si elles portaient strictement sur le sursalaire (mais ça tu l’a peut-être déjà prévu dans les chapitres suivants).

Mais par contre si l’on considère l’existence de cette multitude de couches particulières au sein de la CMS, il devient difficile de lui donner positions générales dans les luttes et dans son rapport au prolétariat et au capital. Sauf si l’on considère ces rapports comme des tendances possibles et déterminées conjoncturellement selon la période, le sursalaire et le niveau de non-travail. J’ai l’impression que c’est ce que tu sous-entends lorsque tu parles « des fractions les plus avancées de la CMS » qui sont celles qui s’efforcent « de ramener le conflit à un niveau plus quotidien ». Le problème c’est tout de même la communauté d’intérêts qui participe à faire la classe…

À d’autres moments, par contre, j’ai l’impression que tu considères l’action de la CMS comme unique et monolithique notamment sur la question de la possibilité de son alliance avec le prolétariat révolutionnaire. Même si sur le fond je pourrais être d’accord, l’affirmer aussi catégoriquement avec une définition aussi poreuse me semble compliqué.

Pour finir et ayant participé avec une partie de la CMM (Classe Moyenne militante) au dernier mouvement social sur la Loi Travail, j’avoue que j’ai hâte de lire la suite et notamment savoir comment tu vas faire pour classifier la « large » participation de ce que l’on a communément appelé les intellectuels précarisés (ou enfants de CMS en voie de déclassement) au jeu insurrectionnel.

Ben Malacki, 21 juin 2017

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Nous répondons ci-dessous aux trois objections que tu fais à notre réflexion sur la CMS (note stp le NOUS, car nous sommes deux dans cette affaire, comme indiqué dans la présentation) :

1) Sursalaire

Partir du sursalaire ne se limite pas à parler de revenus, au contraire puisque le niveau absolu des salaires de la CMS nous intéresse moins que sa nature : une part valeur de la force de travail, une part sursalaire, composé de plus-value. Cette analyse, ipso facto, place la CMS dans les rapports de production, comme tu le demandes et comme nous le faisons dans les § 2.4 et § 3 du texte.
Ton autre objection sur ce terrain se réfère aux salaires élevés des dockers de Fos. On sait bien pourquoi de tels salaires leur sont payés. Parce qu’ils luttent pour maintenir une position plus ou moins monopolistique et qu’ils y parviennent. Ça n’a rien à voir avec le sursalaire de la CMS. On est dans un cas particulier du marchandage de la force de travail, dont la valeur dépend comme on le sait de nombreux facteurs historiques et sociaux. Le salaire ne se cale sur la valeur de la force de travail qu’en tendance, et on sait bien qu’il y a eu et qu’il y a encore des exceptions.

2) Non-travail


Il nous semble que ton propos porte sur deux points :

a) l’écart de salaire entre encadrant et encadré est parfois faible, a tendance à se restreindre. Pas d’objection. C’est tout le problème actuel de la CMS.

b) les ouvriers de Toyota prennent en charge la rationnalisation de la production. C’est presque la même réponse, sauf qu’ici c’est un problème pour l’encadrement et pour les travailleurs. Mais surtout : cet espèce d’auto-encadrement par les cercles de qualités etc. est lui-même très encadré par la hiérarchie.

3) Combinaison des deux


Le fait que tu tombes sur « un éventail de couches différentes extrêmement large » indique simplement que la CMS est fragmentée, tout comme les autres classes. Quant à l’aristocratie ouvrière : l’expression vient de Lénine, je crois, et désigne cette partie de la classe ouvrière que la bourgeoisie aurait « achetée » avec les super bénéfices des trusts. La thèse est douteuse, au sens où les salaires élevés de l’aristocratie n’ont sûrement pas été obtenu sans luttes. C’est un peu ce que tu dis dans le § sur la raffinerie de La Mède.

Au final, nous pensons qu’il ne faut pas confondre un salaire plus élevé que la moyenne dans tel ou tel secteur particulier du prolétariat avec le sursalaire. Leur histoire, leur contexte, leur vécu, leurs implications sociales et politiques le montrent.

B.A. – R.F., 23 juin 2017

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Bon cette réponse est un peu longue et gagnerais peut-être à être développée dans un article de réponse, mais je ne vois pas trop où je pourrai le poster ailleurs.

La question est : comment différencier le sursalaire et marchandage de la force de travail pratiquement lorsque l’on décompose le salaire ? Poser théoriquement une césure nette entre sursalaire d’un côté et travail nécessaire de l’autre ça passe, dans la réalité définir cette frontière est plus difficile.

1) Quel rôle historique
Pour moi, la question de cette importance de la taille du sursalaire a pour but de savoir si une partie de la CMS peut basculer sur une nécessité de dépassement ou si sa place dans l’encadrement, même s’il n’est pas rémunéré, les condamne structurellement à lutter pour le sursalaire. L’enjeu est de taille et est véritablement le seul qui importe. La liste d’exemples naïfs que j’ai avancé dans le commentaire précédent visait à cela. Votre phrase « aucune alliance n’est possible entre la CMS et le prolétariat révolutionnaire » est extrêmement catégorique et, à ce stade du développement de votre analyse, on ne sait pas pourquoi la petite-bourgeoisie pourrait, selon les circonstances choisir le camp du prolétariat et pas la CMS ? Affirmer que ces classes n’ont pas de rôle historique propre c’est une chose, affirmer qu’elles ne peuvent en avoir un qui soit uniquement réactionnaire c’en est une autre.

2) Sur la minorité aristocratique

Sur la question de « l’aristocratie ouvrière », je ne me référais pas nécessairement à celle de Lénine que j’ai du mal à utiliser en référence. Mais plus à celle d’Engels sur la question des « vieux » et des « nouveaux » syndicats (Traduit et publié par Dangeville chez Maspero). Il y parle d’« ouvriers privilégiés » et de « minorité aristocratique » :

« Or, ces ouvriers nouveaux sont aussi actifs, sinon plus, que les ouvriers “qualifiés” mais ne peuvent faire partie des syndicats. Les ouvriers qualifiés se développent littéralement en vase clos, grâce aux règlements corporatifs des syndicats. Tu t’imagines sans-doute que ces syndicats pensent q… (Engels à Bebel, 28 octobre 1885)

« Cependant, ces nouveaux syndicats diffèrent grandement des anciens. Ceux-ci ne comprenant que les ouvriers “qualifiés” pratiquant l’exclusivisme […]. En Angleterre, les syndicats existent depuis un demi-siècle et la grande majorité des ouvriers est en dehors des syndicats, qui forment une minori… » (Engels in Arbeiter-Zeitung 23 mai 1890)

Dans ces deux cas Engels, parle des « ouvriers qualifiés » des « vieux syndicats » comme privilégiés. Ces syndicats permettent un meilleur marchandage de la force de travail et ces syndicats continuent d’exister car ils permettent de maintenir une position monopolistique. Le gros des forces actives des syndicats français se trouve aujourd’hui dans ces secteurs ouvriers et dans la fonction publique (par définition CMS). Inversement sur certains bastions où la minorité aristocratique est majoritaire, la quasi-totalité des travailleurs sont syndiqués ou inféodés aux « vieux » syndicats (par exemple les taux de grévistes en cas de lutte corporatiste à la Mède tournent toujours entre 80 et 100%, par contre en regardant la période 95-2017, je n’y ai jamais trouvé de lutte spontanée démarrée sans les syndicats). Si l’on récupère la définition d’Engels, corréler la « minorité aristocratique » et le prolétariat de ces secteurs a donc un sens.

Puisque l’on en est à regarder les rôles historiques, là aussi, la question à laquelle il me semble nécessaire de répondre est : est-ce que la place particulière de cette couche du prolétariat modifie son rôle historique ? Si on le regarde vis-à-vis des rapports de production on serait tenté de dire que non. Par contre au regard de l’Histoire, on serait plus tenté par un… « c’est possible »… J’ai du mal à trouver un exemple historique où cette partie du prolétariat a réussi à participer à une tentative de dépassement général.

Cette question devient encore plus présente dès lors que l’on ne pose plus la question de la révolution comme transcroissance. L’ancienne perspective programmatiste de la montée en puissance du prolétariat permettait d’intégrer ces catégories au processus révolutionnaire : les luttes corporatistes particulières convergeaient entre elles puis, de lutte en lutte, menaient à la grève générale expropriatrice et à l’autogestion/communisme de conseil/dictature du prolétariat (rayer la mention inutile).

Par contre, si l’on parle de communisation c’est plus compliqué. Comment ces catégories pourraient demander autre chose que le maintien corporatif de leurs salaires élevés et de leurs avantages ? Comment pourrait-il lutter pour un dépassement ? Et même plus : face à une tentative de dépassement d’une partie du prolétariat, feraient-elles autre chose que de participer à la répression pour permettre le maintien de leurs privilèges ?

3) Retour sur la définition de classe moyenne

Il me semble qu’il y a donc un angle mort au niveau du sursalaire comme définition de la classe moyenne.

Pour sortir de cette impasse je pense qu’il vaut mieux chercher du côté de la définition de W. Reich qui voit la classe moyenne comme la classe qui a porté le fascisme au pouvoir et donc qui a eu un rôle historique (on peut le critiquer sur beaucoup de choses, mais il a eu quelques bonnes intuitions). Il reste encore à vérifier que cela fonctionne parfaitement, mais il me semble que c’est la piste la plus intéressante à explorer.

Reich met classiquement d’un côté les petits exploitants (commerce, gérants, petits patrons, petits propriétaires et paysans propriétaires). De l’autre la classe moyenne salariée composée principalement des fonctionnaires (ceux qui font fonctionner l’État) et des « petits et moyens employés » sans plus de précisions. La particularité de ces derniers, de par leur rôle de gestion, est de s’identifier avec leur employeur. « Cette identification avec une administration, une entreprise, un Etat, une nation qui peut se définir par la formule : Je suis l’Etat, l’administration, l’entreprise, la nation est le meilleur exemple d’une idéologie devenu puissance matérielle. » (W. Reich, La psychologie de masse du fascisme P.63).

Il y a donc un travail d’encadrement qui est à rapprocher de ce que vous appelez de « non-travail », mais la différence ne vient pas que de là. Ce « non-travail » participe en réalité à l’identification du travailleur à l’employeur plus qu’autre chose. En réalité pour Reich, c’est l’identification qui fait tout.

Par contre, il n’y a pas de sursalaire : « L’employé et le fonctionnaire moyen sont dans une situation économique moins favorable que l’ouvrier moyen de l’industrie : l’infériorité économique des premiers est partiellement compensée chez les fonctionnaires de l’État par quelques minimes espoirs de promotion, par la perspective d’une certaine sécurité économique » (Ibidem).

Si l’on va plus loin que Reich et que l’on commence à essayer d’élaborer une définition en partant de son analyse cela pourrait donner cela :

Depuis qu’elle a émergé comme sujet, les contours économiques de la classe moyenne sont très difficiles à définir alors qu’un bon nombre de travailleurs s’en revendique ou y sont assimilés. Ce n’est pas pour rien : la classe moyenne existe avant tout très clairement en tant que « classe pour soi ». Elle est beaucoup moins visible au niveau économique ou au niveau de sa place dans les rapports de production. Économiquement elle ne semble exister que par les petites compensations utilisées pour acheter cette identification du travailleur.

En réalité la classe moyenne est avant tout une idéologie devenue puissance matérielle. Elle existe en corrélation du niveau d’identification entre le travailleur et son employeur. Par contre, si l’on reste au niveau matériel, celui de la « classe en soi », il ne reste que des prolos.

Pour autant, cette idéologie qui devient une puissance matérielle et se matérialise en classe pour soi est loin d’être négligeable. En effet, si l’on détermine la classe moyenne de la sorte, elle semble avoir un programme. Celui de la valorisation du travail et de la négociation du rapport capital/travail à travers une gestion du capitalisme national qui répartirait plus équitablement ses profits. Car sa particularité est qu’elle semble se projeter à l’échelle de la communauté, le plus souvent nationale. Sur certaines périodes, elle peut avoir également un rôle historique notamment dans le cadre du retour à l’ordre d’un mouvement social ou dans l’arrivée au pouvoir de certaines factions promettant d’appliquer son programme (même si le programme n’est jamais appliqué).

4) Cas d’étude

Voyons un peu nos cas énoncés dans le premier commentaire à l’aune de cette autre définition. Si l’on regarde un employé d’État précarisé (CUI-CAE ou contractuelle par exemple) où la compensation par « l’espoir de promotion » ou par « la sécurité économique n’existe plus », son appartenance à la classe moyenne est beaucoup plus discutable. Mais l’identification peut demeurer. En effet, l’employé d’association payé 600€/mois et faisant du travail de fonctionnaire arrive souvent à affirmer « je suis l’association ». Il faut peut-être y voir là la porosité de la classe moyenne et l’aspiration du travailleur à en faire partie (Souvent dans la volonté de reproduire la classe de ses parents). En effet comme le souligne Reich cette identification à l’employeur est massivement présente chez les fonctionnaires et autres « moyens employés », mais ne leur est pas exclusive. « La puissance de cette identification avec l’employeur se révèle de manière particulièrement frappante chez les domestiques » (ibidem) qui sont pourtant matériellement des prolétaires.

Voir la classe moyenne de cette manière permet aussi de reconsidérer la minorité aristocratique des ouvriers des docks de Marseille ou de la Mède. Lorsque le syndicat gère les embauches, le niveau de rémunération et participe au bon déroulement du rapport capital/travail : affirmer Je suis le syndicat peut revenir à affirmer je suis l’entreprise.

Cette vision de la classe moyenne permet aussi de comprendre certaines limites de la génération de nos parents. Pourquoi tant de prolos nés dans les années 50-60 se sont identifiés à la classe moyenne ? Parce que grâce à la période du compromis keynesiano-fordiste ils sont devenus propriétaires de leur appartement ? Pas seulement. L’espoir de promotion et la sécurité économique étaient réels pour la très grande majorité du prolétariat des pays du centre. Durant cette période le sentiment d’identification avec l’employeur a clairement explosé chez les prolos. Les maos aimaient appeler ça l’idéologie petite-bourgeoise.

Depuis ça a quelque peu changé. Tout le monde l’affirme, la crise a produit massivement le déclassement, le délitement de la classe moyenne. Matériellement c’est la restructuration qui veut dire les baisses de salaires, l’augmentation de la productivité et la précarisation. C’est-à-dire la fin de la sécurisation de l’emploi, des perspectives de carrières et le changement régulier de boulot. Ce turn-over permanent a provoqué une baisse de l’identification à l’employeur qui a reculé en même temps que le sentiment d’appartenance à la classe moyenne. Les enfants des prolos baby-boomers ont des emplois plus qualifiés et mieux payés que ceux de leurs parents. Pourtant le fait de changer en permanence de job les pousses à penser que leurs gosses ne font pas partie de la classe moyenne auxquels ils ont parfois pu s’identifier.

Pour conclure et si on va au bout de l’idée, je pense qu’il faut renverser la manière dont vous penser le problème : la classe moyenne est en réalité la partie du prolétariat qui a encore les moyens de s’identifier au capital. Elle ne peut alors que revendiquer un meilleur rapport capital/travail. Elle est donc transversale à l’ensemble du marché du travail. Le « non-travail » réalisé ou la surmarchandisation dans un cadre monopolistique de vente de la force de travail crée des secteurs où la classe moyenne est massivement présente, mais c’est conjoncturel.

« Le prolétariat est révolutionnaire ou il est classe moyenne ».
Karlita Marx, L’idéologie germanique.

Ben Malacki, 31 juillet 2017

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Nous répondons ici au deuxième commentaire de Ben Malacki. Il soulève des réserves au sujet de nos thèses sur la classe moyenne salariée (CMS) qui sont destinées à être les plus courantes.

1) « La question est : comment différencier le sursalaire et marchandage de la force de travail pratiquement lorsque l’on décompose le salaire ? Poser théoriquement une césure nette entre sursalaire d’un côté et travail nécessaire de l’autre ça passe, dans la réalité définir cette frontière est plus difficile ».

La question est-elle ici de faire la distinction entre un salaire prolétaire relativement élevé, type docker, et un salaire d’encadrement comportant une part de sursalaire ? Si oui, la réponse est à trouver dans le contexte général du rapport social. Un salaire élevé (relativement) ne donne pas à lui tout seul une appartenance de classe. Il faut d’une part voir comment il a été fixé : résulte-t-il d’une lutte et d’un rapport de force avec le capital ? Dans ce cas il est limité à une fraction du prolétariat (sa généralisation signifierait un changement de la valeur de la force de travail). Ou bien a-t-il été octroyé, par exemple en fonction d’un diplôme ? Si un salaire prolétaire reste durablement élevé, cela résulte d’une faiblesse du capital à se débarrasser d’un closed shop, par exemple, ou d’une qualification particulière. Cela fait partie du rapport de force, comme on a pu le voir dans les ports, ou dans l’imprimerie. Rien de tel pour la classe moyenne salariée. Pour la CMS, que ce soit dans le privé ou dans le public, le sursalaire – grand ou petit – est là, et c’est tout ; même si elle peut lutter pour le défendre, elle ne lutte pas pour l’obtenir. La différence est de taille. Nous avons aussi critiqué l’idée de Bihr que ses salaires élevés résulteraient d’un monopole que la CMS aurait sur le savoir. D’autre part, la distinction entre un salaire élevé de prolétaire et un salaire de CMS se voit aussi à la fonction qu’il paye. Le marqueur du sursalaire n’est pas seulement dans le niveau de consommation, il est aussi dans la fonction d’encadrement.

2) « Votre phrase “aucune alliance n’est possible entre la CMS et le prolétariat révolutionnaire” est extrêmement catégorique et, à ce stade du développement de votre analyse, on ne sait pas pourquoi la petite-bourgeoisie pourrait, selon les circonstances choisir le camp du prolétariat et pas la CMS ? Affirmer que ces classes n’ont pas de rôle historique propre c’est une chose, affirmer qu’elles ne peuvent en avoir un qui soit uniquement réactionnaire c’en est une autre ».

Nous n’affirmons pas que la CMS n’a pas de rôle historique; nous affirmons qu’elle a un rôle auxiliaire dans la contradiction fondamentale entre prolétariat et capital, notamment lorsque cette contradiction suit son cours normal (luttes quotidiennes). Nous n’affirmons pas non plus que son rôle soit uniquement réactionnaire. Nous disons que son rôle ne peut qu’être contre-révolutionnaire lorsque la contradiction éclate (phase insurrectionnelle). L’adjectif « réactionnaire » n’a de sens que par opposition à « progressiste », et la CMS – contrairement aux classes moyennes pré- ou archéo-capitalistes – est certainement « progressiste », en premier lieu parce que, étant elle-même salariée avec sursalaire, elle est favorable à une accumulation rapide du capital ; en deuxième lieu, parce que la contre-révolution est toujours une modification profonde de la contradiction fondamentale dans le sens d’un renouvellement des modalités de la reproduction capitaliste où l’encadrement va avoir son rôle à jouer. Pas grand-chose à voir, donc, avec la « masse réactionnaire » de Lassalle.
Quant à l’analogie avec la petite-bourgeoisie («la petite-bourgeoisie pourrait, selon les circonstances choisir le camp du prolétariat»), qui a dit qu’elle pourrait choisir quoi que ce soit? Tour d’abord, les classes, quand elles agissent historiquement en tant que telles, ne « choisissent » pas… et surtout pas de se subordonner à des intérêts qui ne sont pas les leurs. (Cela vaut aussi pour le prolétariat: même quand il participe à la contre-révolution, c’est de sa reproduction immédiate dont il s’agit).

3) « Pour moi, la question de cette importance de la taille du sursalaire a pour but de savoir si une partie de la CMS peut basculer sur une nécessité de dépassement ou si sa place dans l’encadrement, même s’il n’est pas rémunéré, la condamne structurellement à lutter pour le sursalaire ».

La disparition totale du sursalaire ne peut se vérifier que dans une situation de crise économique et sociale extrême qui n’a pas de précédents historiques. La situation actuelle au Venezuela approche-t-elle de la disparition totale du sursalaire ? Il faudra étudier la question. Ce qu’on peut dire pour le moment reste donc très hypothétique. Ce qui est essentiel, c’est de distinguer entre paupérisation et prolétarisation de la CMS, et ce à une échelle supra-individuelle et inter-générationnelle. Ce n’est pas parce que la rémunération de tel ou tel salarié baisse au niveau de la stricte reproduction de sa force travail, que le sursalaire aura ipso facto disparu. Tout d’abord parce qu’il y aura le sursalaire thésaurisé par ses parents, dont il héritera. En deuxième lieu, on sait que le salaire évolue avec l’ancienneté, notamment pour la CMS. On peut bien commencer comme petit cadre avec un petit salaire, il faut voir comment ce salaire va évoluer au cours de la trajectoire professionnelle. Le même discours s’applique pour tout type de vrai ou faux « pauvre » (chez les stagiaires, les précaires, etc.). Voilà pour ce qui est du « cas d’étude » des éducateurs en contrat CAE-CUI. On peut légitimement parler de prolétarisation seulement lorsque le sursalaire passé (celui des parents) a été cramé et la possibilité d’un sursalaire présent ou à venir aussi. Cela suppose une dégradation très générale de la situation de la CMS mondiale. Par exemple, lorsque les enfants de la classe moyenne du sud de l’Europe ne voudront plus émigrer à Londres, Berlin ou Paris parce que les salaires qu’ils recherchent n’existeront plus, alors on approchera d’une situation de prolétarisation de la CMS.

4) « […] je pense qu’il vaut mieux chercher du côté de la définition de W. Reich qui voit la classe moyenne comme la classe qui a porté le fascisme au pouvoir et donc qui a eu un rôle historique […] »

Laissons W. Reich aux psychanalystes « critiques ». Encore une fois : la CMS a bien un rôle historique, mais ce rôle est seulement auxiliaire dans la contradiction fondamentale et motrice. En ce sens, la classe moyenne n’a pas « porté le fascisme » toute seule. De la même manière qu’aucune lutte de classes moyennes ne peut vaincre sans la participation, fut-elle passive, d’au moins une partie du prolétariat et/ou d’au moins une fraction du capital, aucune contre-révolution ou revirement autoritaire ne peuvent l’emporter sans une telle participation.

5) «Pour conclure et si on va au bout de l’idée, je pense qu’il faut renverser la manière dont vous penser le problème : la classe moyenne est en réalité la partie du prolétariat qui a encore les moyens de s’identifier au capital. Elle ne peut alors que revendiquer un meilleur rapport capital/travail. Elle est donc transversale à l’ensemble du marché du travail ».

En conditions de développement normal de la contradiction fondamentale, tout le monde, à différents degrés, « s’identifie » au capital. Toute lutte immédiate sur le salaire, les conditions de travail ou la sauvegarde de l’emploi doit compter avec l’employeur, c’est-à-dire essayer de le faire plier tout en reconnaissant sa légitimité, sinon il risque de fermer la boite. Ce qui est une autre façon de dire que, malgré le caractère antagonique de leurs intérêts, les deux classes se présupposent. Quelle serait donc, aujourd’hui, la partie du prolétariat qui n’a PAS (ou plus) les moyens de s’identifier au capital? Est-elle révolutionnaire pour autant? Si elle existe, pourquoi n’est-elle pas en train de faire la révolution? Est-elle restée un peu trop petite-bourgeoise dans son for intérieur? Si l’on mène au bout cette idée d’« identification au capital », on en vient à nier les classes. La citation marxienne « le prolétariat est révolutionnaire ou n’est rien » peut paraître radicale ou provocante, mais théoriquement elle est fausse, tout simplement parce le prolétariat non révolutionnaire est bel et bien quelque chose.

6) « Pourquoi tant de prolos nés dans les années 50-60 se sont identifiés à la classe moyenne ? Parce que grâce à la période du compromis keynesiano-fordiste ils sont devenus propriétaires de leur appartement ? Pas seulement. L’espoir de promotion et la sécurité économique étaient réels pour la très grande majorité du prolétariat des pays du centre. Durant cette période le sentiment d’identification avec l’employeur a clairement explosé chez les prolos. Les maos aimaient appeler ça l’idéologie petite-bourgeoise ».

C’est une vision très idyllique du « compromis fordiste ». N’oublions pas que les Trente Glorieuses, c’était aussi des usines sans WC, l’amiante, les foyers ou les bidonvilles pour les travailleurs immigrés, etc. Il est vrai que cette période a remarquablement amélioré le niveau de vie. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que cela veut dire. Premièrement, la plus-value relative peut bien se traduire en une augmentation du panier prolétarien en termes de volume de biens, et simultanément en sa diminution en termes de valeur. Deuxièmement, même lorsque le panier prolétarien augmente en volume, il ne cesse pas pour autant de correspondre aux besoins minimaux de la force de travail dans les conditions nouvelles du compromis fordiste. Bien sûr, ces besoins ne sont pas les mêmes pour les prolétaire des aires centrale et ceux des périphéries du MPC. Cependant, le capital est un rapport social, non un rapport entre grandeurs physiques…

…quoique, même les grandeurs physiques présentent quelque surprise finalement. Dans son livre Les ouvriers dans la société française (Seuil 1986), G. Noiriel montre que la « très grande majorité du prolétariat » a peu profité des Trente Glorieuses, proportionnellement moins que toute autre classe, et les OS moins que tout le monde. La plupart des statistiques utilisées par Noiriel remontent à la fin des années 1970/début 1980, donc à la période où les Trente Glorieuses venaient juste de se terminer. En voici quelques extraits pour l’édification du lecteur :

« Non seulement les OS et les manœuvres constituent la catégorie ayant l’espérance de vie la plus faible (à 35 ans, elle est de 37 ans en moyenne pour les premiers et de 34,3 pour les seconds), mais cette catégorie sociale est aussi celle pour laquelle les progrès accomplis en vingt ans ont été les plus modestes. Cette situation s’explique par le fait que ces ouvriers sont les plus exposés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, que leur existence quotidienne est soumise à l’hygiène de vie la plus déplorable ». (p. 252)

« Outre les accidents de travail, on peut évoquer comme cause de cette injustice l’inégal accès à la santé selon la catégories sociale. Avec le monde paysan, les ouvriers se caractérisent par une sous-consommation d’actes médicaux et par une moindre fréquence des visites aux spécialistes. Les historiens du XIXème siècle évoquent volontiers le critère de la taille afin d’illustrer les stigmates de la condition ouvrière à une époque où les travailleurs étaient fréquemment réformés car trop petits pour servir dans l’armée. Un siècle et demi plus tard, les “conquêtes” du mouvement ouvrier ont certes permis l’élévation de la taille moyenne dans les classes populaires, mais en ce qui concerne les hommes on constate qu’il existe toujours une étroite corrélation entre la hiérarchie sociale et la taille physique. La moyenne s’établit ainsi à 175,5 cm pour les membres des professions libérales, à 171,5 pour les ouvriers qualifiés et les contre-maîtres, 171 pour les OS et 170,1 pour les exploitants agricoles ». (p. 251)

« Les ouvriers sont de tous les actifs ceux qui, avec les paysans, partent le moins souvent en vacance d’été (53,2%). Encore faut-il préciser que, parmi ceux qui partent, les ouvriers sont les plus nombreux à être hébergés par des “parents et amis”, ou à faire du camping (60%) ». (p. 251)

« […] la “démocratisation” de l’accès à l’automobile ne doit pas faire oublier que 76% des ouvriers achètent une voiture d’occasion, ce qui est le cas pour à peine le tiers des cadres supérieurs et des professions libérales (encore faudrait-il mesurer la valeur de l’occasion) ». (p. 251-252)

« […] l’enquête publiée en 1982 par le Ministère de la Culture sur les “pratiques culturelles des Français” concernant les ouvriers, illustre les écarts qui séparent aujourd’hui encore les différents groupes sociaux tant au niveau de la lecture que du sport ou de l’accès aux différentes formes de pratiques culturelles consacrées. Il n’y a guère que pour le bricolage, le loto ou le PMU que la pratique ouvrière est supérieure à celle des cadres ». (p. 252)

Et pour finir: « Les catégories les plus dominées du monde du travail sont aussi celles où la solitude est la plus grande. […] De toutes les catégories socioprofessionnelles, les OS et manœuvres sont ceux qui sortent le moins souvent. La fréquence de sortie “chez des amis” est particulièrement faible pour eux (59% contre 69,1 % pour les ouvriers qualifiés et 86,4 % pour les cadres supérieurs et les professions libérales) ». (p. 254)

Dans l’épisode 2 de notre feuilleton, nous avons effleuré la question des écarts de salaire entre OS et OP en admettant que l’OP est payé à la valeur de se force de travail. Le moindre salaire des OS correspond-il à une moindre valeur de leur force de travail ? Sans doute, mais il est aussi clair qu’une grande partie d’entre eux, notamment les immigrés, sont payés en dessous de la valeur de leur force de travail, car une partie de leur reproduction est externalisée dans les PVD.

7) « Tout le monde l’affirme, la crise a produit massivement le déclassement, le délitement de la classe moyenne. Matériellement c’est la restructuration qui veut dire les baisses de salaires, l’augmentation de la productivité et la précarisation. C’est-à-dire la fin de la sécurisation de l’emploi, des perspectives de carrières et le changement régulier de boulot ».

Tout le monde peut bien l’affirmer: et alors? Dans l’épisode 3 (Le mouvement contre la Loi Travail en France) nous avons justement essayé de montrer que tout ces discours sur le délitement de la classe moyenne et la précarisation généralisée ne correspond pas à la réalité. Certes, depuis la crise de 2008 il y a eu une paupérisation relative et une augmentation de la précarité, mais certainement pas une prolétarisation massive la classe moyenne. Par paupérisation de la CMS, il faut entendre baisse du sursalaire ; par prolétarisation, il faut entendre disparition complète du sursalaire et des réserves individuelles et familiales. Il n’y a d’ailleurs pas de crise ni de restructuration en ce moment : il y a une différence entre une crise (une rupture soudaine et brutale) et une phase de dépression longue, d’activité économique contractée; et il y aussi une différence entre les restructurations des boîtes et une restructuration globale du rapport d’exploitation qui est toujours le produit d’un affrontement de classe sinon insurrectionnel, du moins d’amples proportions. Ce type d’exagération gauchiste qui parle à tout va de crise permanente, de déclassement et de précarisation généralisée comme des faits accomplis est d’ailleurs le même depuis 40 ans, et il n’est pas devenu plus vrai en tout ce temps.

8) « Le prolétariat est révolutionnaire ou il est classe moyenne ».

NON. Le prolétariat est toujours le prolétariat, notamment lorsqu’il n’est pas révolutionnaire. Même au niveau des luttes quotidiennes il ne se confond pas avec la CMS, bien qu’il puisse – comme nous le disons – converger avec elles sur la base d’intérêts communs. Mais attention, parler d’une convergence objective entre prolétariat et CMS, signifie que les deux classes agissent en tant que classes propres du MPC. De ce point de vue, il faut bien distinguer ce qui relève de l’action en tant que classe et ce qui relève d’une conduite à peu près individuelle. Des prolétaires peuvent participer à un mouvement de la CMS sans pour autant se manifester en tant que classe ; l’inverse peut advenir aussi. Le fait que des individus d’une classe suivent le courant de l’autre classe ne fait pas apparaître leur propre classe en tant que telle dans le mouvement général.

Pour revenir au problème initial: la « désertion de classe » est un phénomène marginal, tant du point de vue sociologique que historique. D’où la méfiance que doit susciter toute forme de « possibilisme » au sujet des classes moyennes (ancienne ou salariée). Pourquoi cet étrange besoin d’en « sauver » au moins une partie pour la révolution ? Dire que le prolétariat des luttes quotidiennes est, lui aussi, classe moyenne ne revient-il pas à dire que la classe moyenne n’est, en fait, qu’une couche du prolétariat ? C’est un point de vue qui doit arranger certains activistes. Le détournement de citation de Marx « le prolétariat est révolutionnaire ou n’est rien» »n’est pas plus juste que sa version d’origine. Non : le prolétariat (révolutionnaire ou non) existe, la CMS aussi. Nous en sommes là.

B.A. – R.F., 11 septembre 2017

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