Principaux historiens anglo-saxons de la transition post-socialiste albanaise, James Pettifer et Miranda Vickers avaient publié en janvier 1997, soit au tout début de ce qui allait devenir l’insurrection de mars, « Albania. From Anarchy to Balkan Identity », titre qui ne manquait certes pas d’une certaine prescience quoique plutôt à contretemps ce dont témoignait d’ailleurs également la couverture du livre ( une photo des locaux de la VEFA, la principale pyramide financière albanaise). En 2007, ils ont repris dans The Albanian Question : Reshaping the Balkans leurs analyses à l’aune du soulèvement.
Ce qui distingue plus particulièrement celles-ci est l’accent mis sur le legs « envériste », c’est à dire de la « stalinautarcie » d’Enver Hoxha. Pettifer et Vickers soulignent ainsi la continuité dans l’isolement et l’endogamie d’une classe dominante qui restait arcboutée sur son fragile bastion de Tirana et était surtout préoccupée de se faire bien voir des diplomates étrangers en vue d’une éventuelle passation de pouvoir sous tutelle occidentale. Du côté de la population, ils soulignent tout d’abord l’importance de la formation militaire du temps de « L’Albanie sentinelle du marxisme-léninisme » ( « Les albanais n’avaient pas besoin d’être formés aux méthodes de guérilla puisque celles-ci avaient été enseignées aux populations civiles depuis des décennies ») et surtout émettent une thèse assez surprenante quant au fond idéologique et social de la révolte : « Pour les étrangers, les événements ont été subsumés sous la bannière de « l’anarchie » alors qu’en fait ce qui se déroulait c’était une étape avancée d’un conflit entre deux traditions qui s’étaient formées sous le communisme : la tradition « envériste », avec son accent mis sur la révolution et le pouvoir populaire, qui pouvait également incorporer des éléments de nationalisme albanais et la tradition « économiste et technocratique » représentée par le président Berisha et son gouvernement. L’envérisme avait à sa manière un véritable contenu révolutionnaire qui était profondément ancré dans la conscience politique populaire. »
Si on ne peut que saluer la volonté d’envoyer promener les poncifs ethniques ( sud contre nord, c’est à dire tosks contre gegs) chers aux journalistes et à certains universitaires, on peut tout de même douter de l’emprise réel de cette idéologie envériste, fantasmée par Berisha et ses relais, surtout après la radicalité dont a fait preuve la population dans le démantèlement du régime en 1990-1991 et que Pettifer et Vickers avait très bien documenté dans leur premier livre. The Albanian Question n’en constitue pas moins une référence incontournable pour qui souhaite comprendre le soulèvement dans son contexte national et régional ainsi que ses suites immédiates avec la tentative de putsch de Berisha en 1998…