Les Éditions de l’Asymétrie doivent d’ores et déjà aux éventuels lecteurs une petite précision liminaire : n’étant membres d’aucun cercle universitaire et étant issus d’une tradition théorique où « la question post-coloniale » constitue, pour le moins, un angle-mort, nous avons abordé les travaux des Subaltern Studies et de Vivek Chibber sans beaucoup des a-priori qui dominent dés qu’on évoque ce champ d’études. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons choisi une voie relativement médiane, en essayant de mettre en valeur autant que possible les premiers travaux subalternistes. Les personnes qui considéreraient cette démarche comme une violation des sacro-saintes cohérences claniques ou académiques sont donc invitées à passer leur chemin…
Depuis sa parution en 2013, le livre de Vivek Chibber a donné lieu à de nombreux débats et interventions dont son éditeur anglais, Verso, à même tiré un livre. Nous en donnerons ici un panorama aussi complet que possible, en dégageant quelques thèmes importants ou récurrents. Précisons que Vivek Chibber a répondu de façon détaillée à certaines de ces critiques ( notamment celle de Partha Chatterjee, de Gayatri Spivak et de Bruce Robbins), on trouvera ces réponses dans le livre publié par Verso, ainsi que dans les deux entretiens précédemment publiés sur ce site.
Question de style
A l’issue de la lecture de la vingtaine de recensions en anglais de l’ouvrage de Vivek Chibber, on peut d’ores et déjà faire un constat surprenant : quasiment aucun auteur ne fait de remarques sur le style pourtant assez spécifique, pour ne pas dire par moment franchement pénible, du sociologue new-yorkais. La longue recension du livre par Neil Lazarus, parue dans Race&Class fait exception :
« Les premiers mots que l’on lit dans La théorie postcoloniale et le spectre du capital ( désormais TPSC) sont les suivants : « Ceci je dois l’avouer, n’est pas un livre que j’étais particulièrement enclin à écrire » Succèdent à cette déclaration catégorique de dédain, 300 pages de critique sans répit mais parfois aussi de bouts de chandelle. L’effet inévitable de cet acharnement complet est d’écraser le paysage. La négativité continuelle de la prose de Chibber milite contre son effectivité. Moins aurait été mieux; il est des moments où il utilise une massue pour casser une noix; et aussi, des moments où une certaine tonalité abrasive du propos évoque plus la sourde oreille, le dogmatisme et la morale plutôt que la polémique et la politique militante. Il y a aussi un nombre stupéfiant de répétitions : Chibber semble croire que quand quelque chose vaut la peine d’être dit, il vaut mieux la dire au moins trois fois.
(…)
Concédons qu’il n’est jamais particulièrement gratifiant ou valorisant de produire
un travail académique uniquement sur le mode critique. Un auteur qui écrit exclusivement pour réfuter ou infirmer se retrouve à passer beaucoup de temps à se plonger dans les articles et les livres de critiques dont l’enseignement lui semble confus, flou, défaillant voire même pervers. La quête exhaustive que mène Chibber dans TPSC contre Chatterjee, Ranajit Guha et Dipesh Chakrabarty, l’empêche de lire d’autres chercheurs et d’écrire à leur sujet, i-compris ceux qui l’intéresseraient probablement plus. Le long et inflexible processus de réfutation tend à le transformer en un équivalent académique d’un croisement entre « l’homme sans nom » ( Clint Eastwood) de Pour une poignée de dollars et le Colombo de Peter Falk : dans le premier rôle, il arrive en ville comme le rédempteur incorruptible des fautes et vénalités de ses adversaires intellectuels ; et sous le costume de Colombo il n’est pas seulement déterminé mais implacable, pinailleur et mesquin. Il n’est pas une pierre qu’il n’ait retourné, il condamne la moindre peccadille comme si il s’agissait d’un crime capital; il enregistre, identifie et dissèque longuement la moindre erreur, trahison ou jugement contestable. »
Neil Lazarus « On Postcolonial Theory and the Specter of Capital by Vivek Chibber » in Race&Class Vol. 57 n°3, 2016
Reducio ad subalternum
Un des reproches les plus récurrents fait à Vivek Chibber est en quelque sorte son reducio ad subalternum. C’est à dire le fait qu’il érige cette revue et son projet au statut de représentant de la totalité de la théorie post-coloniale. Ainsi Benita Pary, auteur notamment de Postcolonial Studies. A matérialiste Critique ( Routledge, 2004), remarque :
« Cette étude n’est pas ce qu’elle prétend être. Quand les commentateurs acceptent son invitation à lire les Subaltern Studies comme une théorie postcoloniale, ils négligent le fait que le projet qu’il définit « comme le plus illustre représentant de la théorie post coloniale dans les recherches sur les pays du Sud » ( p.17 – édition française) a été un récepteur et non un émetteur des prémisses épistémologiques de cette théorie. Non seulement cette théorie était distincte dans sa généalogie, ses ressources conceptuelles et ses buts idéologiques, mais la révision du récit du colonialisme qu’elle offrait, allait avoir une plus grande et plus pernicieuse influence sur les débats académiques que les Subaltern Studies. »
Benita Parry « The Constraints of Chibber’s Criticism. A Review of Postcolonial Theory and the Specter of Capital by Vivek Chibber » in Historical Materialism Vol. 25, n°1, 2017.
Timothy Brennan dans son article Subaltern Stakes ( repris dans l’anthologie de Verso) souligne également ce paradoxe :
« Malgré la solidité de l’argumentation, on s’aperçoit de l’absence de contact de TPSC avec l’univers idéologique qu’il se propose de diagnostiquer. Prétendre, comme le fait Chibber, que les Subaltern Studies sont « le plus illustre représentant de la théorie post coloniale » ce n’est pas seulement inverser l’ordre d’influence mais aussi ne pas percevoir que l’intériorisation de positions postcoloniales déjà bien établies, a permis aux subalternistes d’acquérir un plus grand rayonnement. Ce n’est donc pas la théorie postcoloniale qui est devenue « influente » quand elle s’est alliée aux Subaltern Studies, comme il l’écrit, mais l’inverse. »
Timothy Brennan « Subaltern Stakes » in New Left Review n°89, 2014
Par ailleurs, certains auteurs soulignent que Chibber laisse de côté l’influence importante jouée par par les théories post-modernes dans le fameux tournant de la fin des années 80. Ainsi Pranav Jani :
« Une critique plus complète de la théorie postcoloniale aurait dû reconnaître:
1) la force écrasante du postmodernisme dans les universités occidentales et anglophones, qui ont influencé beaucoup de champs d’études dans les sciences humaines
2) L’articulation des théories postmodernes et postcoloniales au début des années 80 quand la critique des Lumières des premières a rencontré les préoccupations anti-impérialistes des secondes
3) La manière dont l’accent mis par les postmodernistes sur la culture, le discours et l’identité ont influencé les théoriciens qui travaillaient dans différentes disciplines, i-compris les études littéraires et culturelles ( Saïd, Spivak, Bhabha) et en histoire (Guha, Chatterjee, Chakrabarty).
Pour parler comme TPSC, qui se lit mieux comme une critique des Subaltern Studies que de la théorie postcoloniale en elle même, on pourrait dire que c’est le moment postmoderne qui a éloigné les Subaltern Studies de ses racines matérialistes et marxistes et non, comme le suggère Chibber, la faiblesse de la compréhension subalterniste du capitalisme qui aurait ouvert la voie au culturalisme et à l’idéalisme. »
Le même auteur fait une remarque, selon nous nécessaire mais trop rare dans la littérature sur TPSC :
« J’aurais aimé qu’il y ait une plus grand reconnaissance du fait que Guha et les premiers subalternistes cherchaient à produire une nouvelle histoire centrée sur le peuple, en utilisant une grille d’analyse marxiste structuraliste et cherchaient ainsi à corriger les problèmes générés par les méthodes rigides et déterministes des historiens staliniens indiens. Guha qui était directement influencé par les crises de la fin des années 70 en Inde, marqué par le pouvoir autoritaire d’Indira Gandhi et la trahison des partis communistes du sous-continent et inspiré par l’insurrection naxaliste, a emprunté la catégorie de « subalterne » au marxiste italien Antonio Gramsci comme un moyen d’amener les débats gauchistes au delà des banalités habituelles sur le prolétariat- sans, du moins au départ, renoncer à la catégorie marxienne de classe. »
Pranav Jani « Marxism and the Future of Postcolonial Theory » in International Socialist Review n°92, 2014
Dans la même veine, Travis Workman souligne les insuffisances de Chibber au regard de la validité de la démarche du premier projet subalterniste :
« La grille d’analyse de Chibber ignore les dimensions genrées de la reproduction et du travail domestique non payé, en partant du principe que seul le travail qui est quantifié sur le marché du travail capitaliste est l’objet véritable de l’analyse marxiste. L’usage que fait Guha du terme « subalterne » est né justement de sa tentative de dépasser la limitation de la catégorie de travailleur au prolétariat industriel. « La classe ouvrière » ne peut pas remplacer toutes les classes exploitées sans qu’on prête attention aux hétérogénéités de la politique et de l’économie et leur rapport au genre, à l’espace social, à la race et à nombre d’autres facteurs. »
Travis Workman « The Perils of Comparison in Subaltern Studies and Its Critique »
Cultural Critique, Vol. 94, 2016
Cette concentration exclusive sur les trois théoriciens indiens, empêche également de reconnaître les dynamiques pour le moins tortueuses qui ont présidé à l’éclosion de la théorie postcoloniale, comme l’ont rappelé Christopher Taylor et Neil Lazarus:
« Le problème le plus évident avec la thèse de Chibber c’est la représentativité qu’il assigne au collectif des Subaltern Studies – pour Chibber ils incarnent la théorie postcoloniale dans toute sa gloire anti-marxiste. Le second problème le plus évident avec l’argumentation de Chibber tient à son refus de compter parmi les influences constitutives de la théorie postcoloniale tous les penseurs marxistes anti-coloniaux dont les oeuvres ont été fondatrices ou incorporées rétroactivement au canon postcolonial : George Padmore, Frantz Fanon, C.L.R. James, Mao (sic !!! ndt), Ho Chi Minh, Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Walter Rodney… Chibber ignore cette tradition. Et si il cite la longue tentative de Robert Young dans Postcolonialism, an Historical Introduction ( Blackwell Publishing, 2001) de placer cette tradition marxiste au centre de la théorie postcoloniale, c’est uniquement pour l’écarter comme « spectaculairement fausse ». Young a tort car « les Subaltern Studies et par extension la théorie postcoloniale sont soit en tension soit simplement rejettent » ce que Chibber appelle « le socialisme anticolonial ». En d’autres termes, après avoir présenté une robuste généalogie marxiste de la théorie postcoloniale, Chibber la rejette car les Subaltern Studies sont la théorie postcoloniale, les Subaltern Studies sont anti-marxistes et donc la théorie postcoloniale ne peut pas être marxiste. L’approche de Chibber est donc déterminé par ses jugements préalables et il constitue son objet de façon à ce que le marxisme lui soit toujours extérieur. »
Christopher Taylor « Not Even Marxist: On Vivek Chibber’s Polemic against Postcolonial Theory » ( post de blog)
« C’est de ce point de vue qu’on peut reprocher au livre de Vivek Chibber ne pas aller assez loin : ayant correctement identifié la séparation catégorique entre « l’Orient » et « l’Occident » comme un dogme central pour la plus grande partie de la théorie postcoloniale, il ne parvient pas aller plus loin et à saisir cette théorie pour ce qu’elle est, c’est à dire une forme distincte et conjoncturelle de Tiers-Mondisme. Si il n’avait pas mis des oeillères pour se concentrer exclusivement sur le groupe des Subaltern Studies et qu’il avait levé les yeux pour constater que ce qu’il découvrait chez ces derniers était aussi articulé ailleurs dans les études postcoloniales ( simultanément si ce n’est parfois même avant les formulations subalternistes) il aurait pu reconnaître l’existence d’une problématique plus large, évidente, parmi d’autres, dans les travaux de Walter Mignolo sur la « pensée décoloniale », dans ceux de Achille Mbembe et Sarah Nuttall sur « l’afropolitique », de Robert Young sur la « tricontinentale », de Abdelkebir Khatibi sur « la pensée de la différence » et de David Scott sur la spécificité de la conscience du temps dans le monde postcolonial. J’ai écrit ailleurs sur cette problématique plus large, en distinguant entre ce que j’ai appelé « le Tiers-Mondisme postcolonial » ( une créature du régime global post-1975) et la version insurrectionnelle du « Tiers-mondisme » qui a éclos durant la période qui court de 1945 à 1975. »
Neil Lazarus « On Postcolonial Theory and the Specter of Capital by Vivek Chibber » in Race&Class Vol. 57 n°3, 2016
Signalons enfin que ce qui est très couramment reproché à Chibber c’est d’avoir à peine signalé et globalement laissé de côté tout le travail de critique et de confrontation avec la théorie postcoloniale de nombreux penseurs marxistes (dont Lazarus et Pary par exemple, -nous reviendrons d’ailleurs sur les échanges entre la théorie postcoloniale et le marxisme dans une série de publications sur ce site cet automne) comme le souligne Timothy Brennan qui revient également sur l’occultation d’une grande partie des travaux subalternistes :
« Publiquement considéré par des figures majeures de la gauche comme une percée capitale, ce livre a pourtant été très largement écrit à la suite de critiques marxistes qui ont épinglés l’ « l’establishment pseudo-radical » ( selon les termes de Slavoj Zizek) depuis deux décennies. Le « spectre du capital » a hanté la théorie postcoloniale depuis un bon moment déjà. Tout au long des années 90 et au début des années 2000, les critiques marxistes du tournant postcolonial se sont attaqués aux fondations de la question de « l’Occident » elle même, neutralisant son emprise sur un champ reposant sur des oppositions civilisationnelles, traçant les contours d’un contre-courant marxiste vital au sein de ce champ d’études, une force qui se trouve désormais dans une constellation visible que l’establishment postcolonial ne pouvait pas ignorer. Le tir de barrage précoce de Benita Parry dans la Oxford Litterary Review (1987) contre l’importance exorbitante ( « exorbitation ») donnée au discours colonial créa un nouveau climat, sauvant Frantz Fanon de ses récents interprètes postcoloniaux tels Bhabbha ; Fernando Coronil en appelait déjà en 1992, à rien de moins qu’à la décolonisation de la théorie postcoloniale; et les travaux de Neil Lazarus ont distillé la critique marxiste de la théorie postcoloniale dans une série d’essais influents, amenant finalement nombre de chercheurs et penseurs hétérodoxes à une nouvelles centralité institutionnelle avec son Cambridge Companion to Postcolonial Literary Studies (2004). L’étendue de ces travaux, largement publiés et discutés, n’était en aucun cas limitée au « front littéraire et culturel » auquel Chibber se réfère dédaigneusement dans une note de bas de page, même si effectivement personne avant lui n’avait examiné de manière aussi systématique, sur le mode comparatif, les éléments constitutifs des révolutions bourgeoises.
Cette négligence vis à vis de ses prédécesseurs s’étend aussi aux adversaires de Chibber. Il faut souligner que les Subaltern Studies regroupent plus que trois chercheurs ( ou trois livres). En mettant de côté les objectifs narratifs des Subaltern Studies, leur déploiement d’un « récit de crime » foucaldien, les descriptions poignantes des adivasis et des veuves de villages qui parlent en « soupirs et sanglots », Chibber néglige d’une certaine manière ses meilleurs travaux : Gyanendra Pandey sur la construction du communalisme, David Arnold sur le corps indien, la maladie ou la médecine; Bernard Cohn sur le langage et l’autorité coloniales et Shahid Amin sur le silence des textes de l’élite. (…) Même quand Chibber rend hommage à Guha, il ne transmet rien de la passion de l’écriture de celui-ci – allant de son influente lecture des Grundrisse et de son analyse passionnée de la domination coloniale, à ses apartés inspirés sur les moments les plus outranciers de l’historiographie colonialiste, une littérature que Guha décrit comme « encore empourpré de l’éclat des réussites impériales, un langage qui permet de faire passer les insultes racistes dans le langage quotidien comme d’innocentes plaisanteries. »
Timothy Brennan « Subaltern Stakes » in New Left Review n°89, 2014
Domination sans hégémonie ?
Si on considère, comme c’est le cas de l’auteur de ce compte-rendu, que Ranajit Guha restera comme une des figures les plus importantes de la pensée critique de la fin du XXème siècle, le traitement que lui inflige Vivek Chibber dans les quatre premiers chapitres de son livre semble pour le moins excessif. On pense parfois même à la fameuse saillie du jeune Aragon dans le tract surréaliste publié à la mort d’Anatole France ( « Avez-vous déjà giflé un mort ? »). D’ailleurs si on se repenche sur son livre Dominance without Hegemony. History and Power in Colonial India après la lecture de celui de Chibber, on a parfois du mal à faire le rapprochement entre la réflexion foisonnante du vieux subalterniste et le rendu critique pour le moins aride qu’en donne Chibber. Pour une critique plus circonstanciée nous invitons les lecteurs a lire le livre de Vasant Kaiwar L’Orient postcolonial ( Syllepse, 2013, notamment les p.105-127), qui constitue de toute façon un complément indispensable à TPSC.
Plusieurs auteurs ont pris la défense de Guha, notamment Partha Chatterjee lors d’un débat public ( lien vers la vidéo du débat) avec Chibber tenu à New-York en 2013.
« Chibber rejette la critique par Guha de la démocratie bourgeoise de l’Inde postcoloniale comme constituant une domination sans hégémonie en soutenant qu’aucune révolution bourgeoise, pas même les guerres civiles anglaises des années 1640 ou la révolution française de 1789, ne fut hégémonique au sens qu’en donne Guha. Néanmoins la réfutation de Guha par Chibber est basée sur une grossière méprise quant aux affirmations de Guha. Il devrait être évident à la lecture du long essai de Guha que celui-ci a été entrepris comme une critique de l’historiographie libérale et de l’idéologie libérale qu’elle représentait. Ce n’était pas la sociologie historique des révolutions bourgeoises européennes que Chibber prétend qu’elle est. La courte section intitulée « La tendance universalisante du capital et ses limites » d’où Chibber tire une grande partie de ses citations, visait à mettre en lumière deux assertions majeures de l’historiographie libérale : le capital à une tendance à l’universalisation et la révolution en Angleterre et en France a établi une hégémonie bourgeoise dans le sens où la bourgeoisie peut « parler pour toute la société ».
(…)
Le point crucial c’est que nulle part dans son essai Guha n’avance de propositions qui pourraient être interprétées comme tenant d’une sociologie historique des révolutions bourgeoises en Angleterre et en France. Et de fait, il n’a aucun besoin de recourir à des arguments sociologiques. Tout ce dont il a besoin, tout d’abord, c’est d’une description des affirmations libérales selon lesquelles le nouvel ordre social établi par la bourgeoisie jouissait du consentement de toutes les classes de la société et était donc hégémonique. Deuxièmement, il a besoin d’une description des affirmations libérales selon lesquelles la domination britannique en Inde jouissait également de la même base de consentement de la part de ses sujets indiens. Troisièmement, il a besoin d’un description des affirmations par les libéraux indiens que l’ordre postcolonial en Inde bénéficiait de la même hégémonie que la bourgeoisie européenne car la bourgeoisie libérale indienne pouvait légitimement parler au nom de toute la nation. Enfin, Guha doit montrer que ces prétentions libérales à l’hégémonie pour les régimes coloniaux comme postcoloniaux sont fallacieuses. C’est que son essai voulait démontrer. Il n’avait pas besoin de faire d’affirmations quant à l’histoire réelle des révolutions bourgeoises en Europe.
Par conséquent, l’exercice élaboré de Chibber consistant à montrer que la révolution anglaise n’était pas anti-féodale ( car le féodalisme en Angleterre était déjà en train de disparaître) ou que les révolutionnaires bourgeoise français n’étaient pas des capitalistes, est entièrement hors sujet. Cette démonstration ne change rien à la thèse de Guha.
(…)
Guha avance, en écho à Antonio Gramsci, qu’une bourgeoisie hégémonique triomphe en représentant ses propres intérêts comme étant les intérêts universels de la société. Nulle part Guha ne développe la thèse que lui attribue Chibber : que la bourgeoisie est parvenue à l’hégémonie « en intégrant les intérêts réels des classes sociales subalternes dans leur programme révolutionnaire » ( TPSC). Il serait absurde pour n’importe qui suivant la voie tracée par Gramsci d’avancer ceci. En fait, le mouvement vers l’hégémonie de la bourgeoisie est presque toujours une réponse aux pressions des classes subalternes – une tentative de prévenir la résistance directe et l’opposition. Le mouvement vers l’hégémonie est une manoeuvre de représentation, souvent accomplie par un déploiement fructueux de rhétorique politique : il est élaboré dans et par l’idéologie. »
Plusieurs imprécisions dans les termes de la réfutation de Guha par Chibber, la confusion constante entre capital, capitalistes et bourgeoisie par exemple, ont été soulignées par différents auteurs, notamment Gayotri Spivak dans son compte-rendu de TPSC ( repris dans le livre de Verso p. 74-75 par exemple). Sandro Mezzadra revient également sur la question de l’hégémonie :
« Il me semble qu’il faut lire l’expression « Domination sans hégémonie » au regard de la figure « imaginaire » de l’Europe et des normes qui y sont liées. En d’autres termes, je ne pense pas que la question posée par cette expression est réglée, même si on reconnaît avec Chibber que « la domination sans hégémonie » a été et est la forme normale du pouvoir bourgeois. Le concept Gramscien d’hégémonie, du moins de mon point de vue, souligne le problème de la constitution historique de la bourgeoisie, un problème qui surgit justement car celle-ci ne coïncide pas avec les « capitalistes », alors que Chibber tend à confondre les deux termes. Comme cela a été souligné dans les débats des années 70 chez les operaïstes italiens, la bourgeoisie est un concept « médiant » dont les frontières sont bien différentes de ce que Marx appelait « le capital total » et reposent sur des géométries de pouvoir changeantes.
C’est de ce point de vue, et définitivement sous la pression de puissantes luttes de classe, que la bourgeoisie a été d’une manière obligée de se constituer en sujet hégémonique, à représenter les normes de la modernité là où le pouvoir ne pouvait être réduit à la pure coercition. Cela ne s’est pas déroulé partout selon la même intensité et le même rythme, bien sûr, mais ce sens spécifique du terme hégémonie est devenu indissociable de l’Europe comme « figure imaginaire »; il s’est cristallisé dans le concept même de constitutionalisme et a été extrêmement influent dans la formation et la légitimation ( mobilisant souvent des arguments « historicistes ») de l’expansion et la gouvernance coloniale. »
Sandro Mezzadra « Review Essay » in Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 2014
Le marxisme de Vivek Chibber
Il est indéniable que Vivek Chibber propose une approche marxiste relativement novatrice, du moins un mélange original entre divers courants, qu’il s’agisse du « marxisme politique » de Robert Brenner et Ellen Meiskins Wood ou de la variante de « marxisme analytique » proposée par Erik Olin Wright . Cette démarche et les conclusions pour le moins hétérodoxes qu’il oppose aux présupposés de certains auteurs des Subaltern Studies, n’ont pas manqué de susciter diverses critiques. Beaucoup d’auteurs lui reprochent ainsi, à l’instar de Julian Murphet, d’avoir laissé de côté la théorie du développement combiné et inégal :
« Un des concepts marxistes les plus importants qui ait émergé après Marx est la notion de développement combiné et inégal telle qu’elle a été d’abord ébauchée par Trotsky puis reprise et améliorée ensuite par des théoriciens comme Ernst Bloch, Frederic Jameson et Perry Anderson. C’est un concept encore à l’état d’ébauche dans les pages du Capital, mais qui, avec ces apports ultérieurs, semble le plus à même d’expliquer la plus grande partie de ce que le livre de Chibber reproche aux subalternistes d’ignorer : les pressions économiques sur les États-nations par un marché mondial dans lequel chacun est inséré différemment; le fréquent maintien de modes de production pré-capitalistes distincts au sein ou à côté de la production industrielle avancée; la distinction entre subsomption réelle et formelle au sein de l’économie capitaliste; et la disposition du capital à accepter des taux de salaires différenciés selon les zones géographiques. Et pourtant ce concept, si utile à la critique que Chibber semble vouloir mener, est seulement mentionné une fois, à la fin du livre et salué en passant à la page 245. La raison en est surement que si ce concept éclaire précisément le terrain couvert par le livre, il le fait d’une manière qui n’est pas compatible avec ce dernier. Quand Bloch parle des diverses temporalités qui battent dans le coeur du présent ou Jameson des dissonances sociales et culturelles qui émergent du sous-développement, ce qui devient évident c’est qu’il n’est pas possible de représenter cette imbrication des modes de production de façon effective sans employer un modèle dialectique. Seule une présentation dialectique peut permettre de saisir sérieusement les contorsions existentielles et épistémologiques à l’oeuvre dans ces palimpsestes que sont des formations sociales comme l’Inde capitaliste ou la Russie communiste – et le modèle dialectique est justement ce que la méthode de Chibber cherche à invalider. Un marxisme sociologique et analytique de la sorte est incompatible avec les transformations vertigineuses d’une idée alors qu’elle va et vient entre la conjoncture spécifique et le cadre universel; entre la situation locale et la tendance globale; entre le produit particulier et l’équivalent universel; entre le détail superstructurel et la base économique. Quand le modèle d’un Adorno ou d’un Jameson est taillé pour ces vertigineux hauts et bas de l’échelle de la réalité sociale, Chibber est braqué sur l’idée « claire et distincte » en elle même : un préjugé cartésien des « Lumières ».
Julian Murphet « No Alternative » in The Cambridge Journal of Postcolonial Literary Inquiry Vol.1, N°1
La rigidité de la rhétorique et de l’argumentation de Chibber n’évoque effectivement pas cette souplesse dialectique dont se gargarise souvent le marxisme (Cf. le fameux « Ce qui manque à ces messieurs, c’est la dialectique ! » d’ Engels). Ce défaut a été souligné par Bruce Robbins et, sur un ton plus polémique, par Christopher Taylor :
« Quand Marx s’est mis à écrire le capital, il avait besoin de données sur les dures conditions de travail dans les usines britanniques. D’où tenait-il ces données ? Regardez ses sources : il les tenait dans leur majorité des Livres Blancs parlementaires, les compte-rendus des enquêtes officielles. Il s’agissait de commissions parlementaires. La classe ouvrière n’avait pas le droit de vote. Si la seule préoccupation de la bourgeoisie anglaise était d’écraser et de réduire au silence ses employés, ces enquêtes n’auraient jamais eu lieue et ces Livres Blancs n’auraient jamais été écrits ou publiés. Il s’ensuit qu’il existait des électeurs des classes moyennes qui étaient horrifiés par ce qu’ils entendaient à propos du Nord industriel et assez puissants pour pousser le parlement a se pencher sur ce problème. Si on suit la façon dont Chibber envisage le monde, cela paraît inconcevable. Chibber nous décrit une bourgeoisie résolue qui sait exactement ce qu’elle veut et l’obtient, ses actions ne produisant aucunes conséquences imprévues, son idéologie révolutionnaire ne devenant jamais source d’ambivalences, ne frappant jamais l’imagination de ceux d’en bas ( ni de certains de ses membres comme Marx ou Lénine ou Mao) et n’étant donc pas prolongée dans un sens plus subversif, ne menant jamais aux Livres Blancs parlementaires. C’est une sorte de version fantaisiste de la Théorie du Jeu qui décrit comment un acteur doit se comporter logiquement, mais ce n’est pas une description détaillée de la façon dont les acteurs réels, collectifs ou individuels, se sont effectivement comportés. Pour Chibber les mobiles ne sont jamais contrastés. Les buts et les intentions sont exemptes d’ambiguïtés. La tentative de les réaliser soit réussie soit échoue. Comme dans un jeu, soit vous gagnez soit vous perdez. Mais l’histoire ne fonctionne pas comme un jeu. Regardez ces Livres Blancs et vous constaterez que le modèle de Chibber est irrémédiablement insuffisant. Une notion sévèrement réductrice de l’être humain va probablement produire une notion sévèrement réductrice de la façon dont l’histoire se déroule. Ceux d’entre nous qui voudraient penser comment nous nous insérons « dans la même histoire de base » feraient mieux de penser, comme Marx, de façon dialectique. »
Bruce Robbins Response to Vivek Chibber . Sur le site de la revue n+1
« La méthode que Chibber utilise contre les Subaltern Studies me semble profondément non matérialiste – du moins si on s’inspire de la tradition marxiste du matérialisme historique. Chibber est moins intéressé par l’interpénétration dialectique, temporalisé et temporalisante de l’universel et du particulier, de l’abstrait et du concret; en général il défend l’indifférence, de même que la supériorité analytique du premier sur le second. Un profond idéalisme philosophique sous-tend le livre, même si il utilise des termes que nous associons au lexique marxiste. Et de fait une de mes craintes c’est que TPSC ne devienne une nouvelle occasion pour les chercheurs des « Postcolonial Studies » de renvoyer paître le marxisme. Mais TPSC est un livre qui doit peu au matérialisme historique marxiste, Chibber note lui même que le livre ne tient pas particulièrement à afficher une fidélité absolue au marxisme.
Ce que fomente Chibber c’est plutôt quelque chose de l’ordre de la « Methodenstreit » ( conflit de méthodes) interdisciplinaire, le nomothétique contre l’idéographique. De façon révélatrice, on pourrait substituer au mot universel, le mot loi dans la démonstration de Chibber sans que ça ne change rien au travail analytique effectué à travers ce terme, car Chibber veut postuler des régularités et des constantes au nom de la construction d’un rendu maitrisable du social qui s’adresse à ce qu’il considère comme la contradiction primordiale de la modernité. La sociologie historique, pour Chibber, serait le récit de comment ces lois s’instancient elles-mêmes, mais toujours d’une manière qui préserve la régularité fonctionnelle de la loi instanciée. »
Christopher Taylor « Postcolonial Studies and the Specter of Misplaced Polemics against Postcolonial Theory: A Review of the Chibber Debate » in Cambridge Journal of Postcolonial Literary Inquiry, N°5, vol.2, 2018.
De même l’absence de toute approche dialectique de la « raison » ( « La raison a toujours existé, mais pas toujours sous une forme raisonnable. » Marx, Lettre à Ruge, 1843) et la défense unilatérale des « Lumières » dans TPSC, a également retenu l’attention de Travis Workman et Benita Parry :
« Si on lit la critique par Chatterjee de l’identité de la raison et du capital dans Nationalist Thought en même temps que les textes de l’École de Francfort sur la raison instrumentale et la dialectique de la raison, on trouve des similarités significatives. Comme en sont conscients Theodor Adorno et Chatterjee, le nationalisme, le romantisme, l’irrationalité, le racisme et même les politiques fascistes ne sont pas le contraire de la raison des « Lumières », comme voudrait l’affirmer Chibber à travers une séparation excessivement nette. Dans la modernité, les universaux des Lumières sont à la fois un moyen potentiel de libération et un moyen de réification et de légitimation de l’exploitation, ou pire. L’exploration historique de la relation profonde entre la dialectique de la raison et les projets coloniaux et impérialistes est une des contributions les plus importantes que la théorie postcoloniale a faite aux sciences humaines, et elle ne peut pas être mise de côté de façon aussi expéditive. »
Travis Workman « The Perils of Comparison in Subaltern Studies and Its Critique » in Cultural Critique, Vol. 94, 2016
« La défense des universaux des Lumières ( par Chibber ndt), telle qu’elle est louée sur la 4eme de couverture, ne va pas plus loin qu’une défense peu exigeante de la raison. En cela il ignore les réserves émises par les marxistes : pour Horkheimer et Adorno – qui distinguaient entre la raison qui cherche les moyens d’émanciper les êtres humains des contraintes et des forces qui leur sont extérieures et la rationalité instrumentale qui vise à assurer la domination technique de la nature et de la société. Les valeurs des Lumières ne sont pas en soi automatiquement progressistes puisque le processus de libération qui mène à la liberté humaine, tel que théorisé par Hegel et Marx, est miné par notre asservissement au sein de la totalité des relations sociales capitalistes. »
Benita Parry « The Constraints of Chibber’s Criticism. A Review of Postcolonial Theory and the Specter of Capital by Vivek Chibber » in Historical Materialism Vol. 25, n°1, 2017.
Le travail abstrait
La redéfinition du concept marxien de « travail abstrait » par Vivek Chibber a constitué un point central dans les débats sur TPSC. Si un certain réductionnisme est utile à sa démonstration, le fait qu’il ne cite aucune des théorisations importantes sur le sujet ( et avant tout celle de Isaac I. Roubine) ou qu’il n’articule pas cette notion aux deux étapes de subordination du travail au capital définie dans Le chapitre inédit du Capital, illustre le caractère pour le moins sommaire de sa théorie, comme n’ont pas manqué de le souligner plusieurs auteurs. Pedersen critique ainsi le fait de théoriser le travail abstrait isolément des conditions qui le rendent possible.
« La thèse de Chibber est pour une grande partie correcte, mais analyser le travail abstrait comme résultant de la course au profit des capitalistes ou de la logique de marché, consiste à ne traiter qu’une partie de l’histoire. Celui-ci nécessite également tout ce qui génère la vente régulière de la force de travail comme marchandise, son utilisation comme travail et sa coagulation dans les outils et les techniques de ce travail. Et, de façon plus cruciale, il requiert l’établissement de la monnaie comme équivalent général. Et tout cela dans une configuration sociale et historique extrêmement complexe qui contient un mode de représentation nécessaire à sa continuation. Ces apparences sont réelles dans le sens où elles ne peuvent pas être réduites à des acteurs ou des orientations individuels. »
David Pedersen « Minding Appearances : the Labor of Representation in Vivek Chibber’s TPSC » in Journal of World-Systems Research, Vol.20, N°2, 2014
Chatterjee attaque, quant à lui, bille en tête, la définition même que donne Chibber ( ce dernier lui a vertement répondu , texte repris dans le livre de Verso )
« « Le processus d’universalisation » déclare Chibber « est en cours si les stratégies de reproduction des agents s’orientent vers une dépendance à l’égard du marché » (TPSC) En d’autres termes, comme il le répète : « ce qui est universalisé sous la domination du capital(…) ce sont les contraintes de la dépendance marchande » ( idem). Mais il est difficile de comprendre comme la dépendance au marché seule peut être un critère suffisant pour l’universalisation du capital. Par exemple, on peut imaginer un système de production marchande simple par des producteurs/ propriétaires complètement dépendants du marché mais n’employant pas de travail salarié et ne s’engageant pas, de ce fait, dans le développement d’une économie capitaliste. Marx était catégorique sur le fait que la production capitaliste ne pouvait se déployer, non seulement, que quand le capital possède les moyens de production mais requiert une masse de travailleurs salariés qui n’ont pas de moyens de production. En d’autres termes, ce qu’on appelle une accumulation primitive ou primaire doit instaurer cette séparation de la masse des travailleurs d’avec les moyens de leur travail. Sans cela, il n’y a pas de production capitaliste.
C’est seulement à cause de l’émergence de la force de travail libre et aliénable qui peut être achetée et vendue comme n’importe quelle marchandise que le travail abstrait peut apparaître comme la mesure commune de toutes les formes concrètes de travail employées dans la production capitaliste. Le travail abstrait est une catégorie qui n’a de sens que pour la forme capitaliste de production. Bien que la définition par Marx du travail abstrait soit un pilier majeur de la thèse de Chakrabarty, Chibber la rejette. Au lieu de cela, il insiste sur le fait que le travail abstrait est une mesure de l’efficience productive des travailleurs qui est instaurée du fait des conditions de compétition propres à la production de valeurs d’échanges. Le travail abstrait mesure, pour lui, « le niveau socialement nécessaire d’efficience du travailleur » (TPSC). Bizarrement il invoque la définition marxienne du travail socialement nécessaire comme un appui canonique à sa thèse.
Mais comment la production de valeurs d’échange pourrait elle en elle même susciter une mesure abstraite des niveaux socialement nécessaires d’efficience ? Même dans les modes de production pré-capitalistes, où certaines marchandises particulières peuvent être produites pour être échangées sur le marché, il peut exister des mesures socialement reconnues d’efficience dans des branches spécifiques du procès de travail concret. Ainsi, dans la petite production paysanne ou l’artisanat, il peut parfaitement exister une norme communément acceptée d’efficience moyenne dans, par exemple, la récolte de certaines cultures ou la découpe des bûches. Mais comment peut il y avoir une mesure commune des niveaux socialement nécessaires d’efficience dans toutes les branches de l’industrie d’une économie, si le travail lui-même n’a pas été transformé en force de travail – c’est à dire en une marchandise qui peut être achetée et vendue sur le marché ? Comment les capitalistes peuvent-ils parler d’un point de référence d’efficience qui s’applique généralement à la production industrielle de vêtements, de chaussures, d’automobiles, de missiles et de toute autre marchandise, si il n’y a pas une première mesure commune du travail comme marchandise ? Cette commune mesure, nous le savons de Marx, c’est le travail abstrait. (…) Le travail abstrait c’est cet élément homogène commun qui entre dans la production de toutes les marchandises par la vertu du fait qu’elles sont toutes le produit de l’emploi de la force de travail comme marchandise. »
Partha Chatterjee « Debate: Marxism & the Legacy of Subaltern Studies » Historical Materialism NY 2013
Christopher Taylor dans un post de blog, polémique mais étayé, réfute l’unilinéarité de la conception de Chibber en s’appuyant notamment sur ses propres travaux concernant l’économie des plantations.
« Conscient que le capitalisme maintient et (re)produit les formes de production qu’il trouve sous la main, Chibber critique les subalternistes pour leur refus de réaliser ce fait, suggérant que leur anti-marxisme dérive de leur hypothèse que le capitalisme ne peut que prendre la même forme que dans les pays où règne la plus-value relative. Mais il refuse de considérer la séparation entre les sociétés qui produisent de la plus-value absolue et les sociétés qui produisent de la plus-value relative comme un facteur indiciel de la différence entre subsomption formelle et réelle. C’est un point central dans la mesure ou la théorisation par Marx de cet différence montre que le capital a) n’universalise pas tout d’un seul tenant b) l’espitémologie sociale quotidienne que le marché dissémine et qu’on appelle « travail abstrait » est un phénomène territorialisé. De fait Marx décrit longuement dans le troisième volume du Capital comment certains modes de comptabilité ne deviennent possibles que dans les conditions de la subsomption réelle. Dans mes propres recherches sur la comptabilité des plantations, je suis tombé sur un grand nombre de planteurs qui veulent désespérement être des capitalistes mais ne le peuvent pas : la territorialisation et subsomption inégale du monde par le marché empêchent certains capitalistes acharnés d’adopter la mesure commune du travail abstrait. Même lorsque le capital se mondialise, il auto-délimite son universalité ( cf. Toute la théorie des système-monde). (…) Pour la plupart des plantations ou des fermes produisant pour l’exportation des pays colonisés, l’abstraction était une rétroaction, un fait qui entravait la bonne marche comptable du capital, prévenait l’utilisation optimale du capital variable et menait à des crises de surproduction. L’abstraction se déroulait ailleurs et à un autre moment – à Londres ou Glasgow, disons des mois après que le produit ait été récolté et expédié – et les capitalistes coloniaux pouvaient seulement tenir compte abstraitement de leur production des mois après que leur produit ait été monétisé et réalisé sur le marché. La seule chose que savaient la plupart des capitalistes coloniaux c’est qu’ils ne pouvaient pas opérer comme les firmes idéal-type que suppose l’analyse de Chibber. De suggérer, comme le fait Chibber, que l’universalisation du capital consiste simplement en une dynamique d’intensification de l’extraction du surplus réduit la différenciation matérielle entre les formes d’extraction du surplus à un accident fortuit, et donc ignore la façon dont la capacité de cette dynamique à se réaliser est déterminée par les conditions structurelles et matérielles. En d’autres termes, on a ici une analyse weberienne et non marxienne. »
Christopher Taylor « Not Even Marxist: On Vivek Chibber’s Polemic against Postcolonial Theory » ( post de blog)
Enfin Sandro Mezzadra fait une mise en garde, qu’on retrouve un peu partout, contre la tendance à vouloir fagoter le réel par un raccourci théorique.
« Indépendamment de ce qu’on pense du concept de travail abstrait chez Marx, il est de fait difficile de nier que l’amalgame entre le travail abstrait et une image homogène de la classe ouvrière a été extrêmement influent dans le marxisme et le mouvement ouvrier dans de nombreuses zones géographiques et pendant très longtemps. C’est, selon moi, une constatation cruciale pour toute théorie critique du capitalisme et tandis que les Subaltern Studies et les études postcoloniales m’ont permis de formuler les problématiques politiques qui en découlent, je ne vois pas de véritable reconnaissance de son importance dans le livre de Chibber. Ce qu’il défend comme la réelle universalisation du capital, ce qui veut dire l’universalisation « de la dépendance au marché » est véritablement trop générique pour ne fournir autre chose qu’une norme vague et abstraite. Et plus important encore, cela ne dit rien des façons dont la tendance à l’universalisation du capital coïncide avec les expériences subjectives et les luttes des vies et du travail exploités. »
Sandro Mezzadra « Review Essay » in Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 2014
Universalisation et spécification
Un des autres enjeux central du débat autour de TPSC c’est bien évidemment la question de la spécification historique et de l’universel. En démontrant de façon salutaire que la dynamique des révolutions bourgeoises n’avait que peu à voir avec le canon « marxiste », et que la démocratisation était le produit non pas d’une bonne volonté hégémonique mais des luttes de classe, Chibber prête toutefois le flanc au reproche de poser ce progrès démocratique comme horizon indépassable et unique des luttes partout dans le monde. C’est ce qu’ont souligné Utathya Chattopadhyaya et Noaman G. Ali.
« L’insistance de Chibber à situer Marx et Rawls dans une même généalogie où le libéralisme et le marxisme apparaissent entièrement compatibles sous l’égide des « Lumières » est un bon indicateur de comment le gauchisme basé sur les droits libéraux a imprégné l’espace occupé auparavant par la critique marxiste rigoureuse. Le recours au libéralisme et aux « Lumières » pour compléter le marxisme constitue une erreur inquiétante. En refusant de se confronter de façon critique aux difficultés produites par les politiques de différenciation coloniales et au capitalisme colonial et en cherchant des solutions immédiates dans la pensée libérale, il exclut la possibilité d’une rupture plus radicale avec l’héritage de la différenciation coloniale. »
Utathya Chattopadhyaya Intervention lors d’une table-ronde consacrée à TPSC, 2014
« La question saillante est : pourquoi la lutte (…) ne prend-elle pas la forme de « la recherche des libertés libérales » ou n’obtient pas comme résultat « une culture libérale basée sur le droit ». Pourquoi des groupes de gens qui se préoccupent de leur bien-être physique sont prêts à détruire le bien-être physique d’autres appartenant à la même classe qu’eux ? Est-ce que les travailleurs de Bombay qui se tournent vers l’hindutva ne sont pas concernés par leur bien-être physique ? Est-ce que les personnes mobilisées par les maoïstes indiens ou népalais sont si inconscients de leurs intérêts et de leur bien-être qu’ils ne comprennent pas que la « nouvelle démocratie maoïste » n’est pas compatible avec la démocratie libérale népalaise ou indienne ? Devons nous réduire à la fois les luttes réactionnaires et les luttes progressistes à des contributions par inadvertance ( et inévitable ) à la réalisation d’une démocratie libérale encore plus démocratique et plus libérale ? Répondre à de telles question suppose de repenser les théories admises qui s’appuient sur une théologie toute prête, cela suppose de penser les questions de conscience et de culture politique, et de penser les différences historiques. »
Noaman G. Ali « Provincializing Marxism: Vivek Chibber and the Specter of Subaltern Studies »
Stein Sundstøl Eriksen souligne que si Chibber fournit une théorie générale de l’universalisation du capital, il se garde bien de l’étayer par une quelconque « analyse de cas ».
« Montrer que le capitalisme peut être universalisé sans abolir le pluralisme culturel ce n’est pas la même chose que de montrer qu’il a été effectivement universalisé. Chibber ne doute pas que le capitalisme s’est complètement universalisé en Inde. Néanmoins, il ne présente pas de preuves empiriques que c’est le cas, ou aucun critère pour établir si ça a été le cas. Pour être entièrement convaincant sur ce point, la thèse de Chibber nécessiterait des spécifications à la fois conceptuelles et empiriques. Que signifie précisément la dépendance au marché ? Suppose-t-elle que tous les producteurs soient devenus dépendants du marché ? Nécessite-t-elle la marchandisation de la terre et du travail ? Et empiriquement : est-ce que tous les producteurs indiens, i-compris les paysans, sont-ils de fait devenus dépendants du marché ? Dans quel sens et dans quelle mesure ? Si l’absence de spécification n’invalide en rien la critique de Guha et Chakrabarty par Chibber ou son affirmation de la validité de la théorie marxiste et de son caractère indispensable pour comprendre le capitalisme indien, sa propre interprétation de l’universalisation du capitalisme reste floue. »
Stein Sundstøl Eriksen « Postcolonial Theory and the Specter of Capital » in Forum for Development Studies, Vol.42, N°3, 2015.
Steinmetz reproche à Chibber d’ignorer toutes les formes politiques particulières mises en place par les puissances coloniales, qui ne correspondent certes pas à une universalisation du mode de production capitaliste.
« Le débat sur la forme politique se concentre principalement sur le processus de travail. Il n’y a aucune discussion sur les formes politiques propres aux sociétés, États et empires coloniaux. Et c’est dans ce domaine de la politique au sens restreint que l’analyse de Chatterjee a été d’une importance exemplaire. Chibber ne tient pas compte de la façon dont les États coloniaux ont préservé ou créé des formes politiques telles que les tribus, les États princiers et autres types d’administrations indirectes, en donnant un pouvoir limité à des leaders colonisés. Mahmood Mandani avance dans Citizen and Subject : Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism ( Princeton University Press 1996) que le système de l’administration indirecte a accru le niveau de coercition dans les États coloniaux tout en limitant la diffusion de l’universalisme capitaliste – non du fait d’un libéralisme politique insuffisant mais littéralement par la limitation volontaire de la diffusion des formes économiques capitalistes. « La tendance à la dépendance au marché » a été parfois activement contenue, du Tanganyikaand britannique à la Polynésie Allemande. Pour le dire de façon plus concrète : en donnant le pouvoir politique local à certains leaders tribaux, les gouvernements coloniaux n’étaient-ils pas de fait en train de faire quelque chose de bien différent de ce que faisaient les gouvernements en Europe au 19 et 20ème siècle ? C’est comme si les révolutions européennes avaient activement renforcée les secteurs les plus arriérés des classes féodales non-capitalistes. En d’autres termes, il n’est pas correct de dire que « la prépondérance des relations de pouvoir archaïques, les recours aux symboles traditionnels, la résistance des coalitions politiques basées sur la caste et la famille et ainsi de suite – nous pouvons montrer que tout cela s’inscrit dans la tendance à l’universalisation » ( TPSC p.187) du capital partout et tout le temps. Certains modes de vie archaïques ont été préservés de façon antithétique par rapport à l’expansion du capitalisme. Je ne parle pas de capitalistes utilisant des idéologies traditionnelles pour dominer leurs travailleurs, mais d’États coloniaux retirant de potentiels travailleurs du marché du travail capitaliste- limitant littéralement la diffusion des formes économiques capitalistes. »
George Steinmetz « On the Articulation of Marxist and Non-Marxist Theory in Colonial Historiography » in Journal of World-Systems Research, Vol.20, N°2, 2014. ( Re-publié également dans le livre de Verso)
Enfin Cumings et Sewell note certaines absences criantes dans le livre de Chibber, celle de la Chine et de la diversité des trajectoire historiques et sociales des États européens.
« Peut-être que l’absence de références à Polanyi et Wallerstein a à voir avec une autre absence : le livre de Chibber ne mentionne pratiquement pas la Chine, pourtant l’expérience récente de développement capitaliste fulgurant de la Chine est l’exemple le plus frappant de la palpable récurrence du même – une version chinoise si ce n’est des universalités du capital, du moins une variante de l’industrialisation menée par l’État qui prédomine en Asie du Sud-Est depuis au moins 80 ans, passant du Japon à la Corée, de la Corée à Taiwan et enfin à la Chine. Il serait très compliqué de transférer les thèses postcoloniales sur la culture, la différence et autres particularités à n’importe lequel de ces pays, et la critique par Chibber des subalternes et de leur conception du rôle historique de la bourgeoisie semble particulièrement efficace, car en Asie du Sud-Est cette classe a émergé sous les auspices de l’État ( tout comme le prolétariat).(…)
La raison de l’absence de la Chine est due, je présume, au fait que sa trajectoire depuis 1980 ne peut pas être expliquée par une théorie s’appuyant sur la lutte des classes. Le jugement de Chakrabarty selon lequel « il n’y avait pas de classe en Asie du Sud comparable à la Bourgeoisie européenne » est également vraie pour la Chine. Au contraire le moment crucial est venue en 1978-79, quand le programme de réforme de la Chine et son insertion dans l’économie mondiale ( décrite comme une « ouverture ») coïncida avec l’établissement des relations diplomatiques sino-américaines: nous avons là l’exemple le plus clair d’un État hégémonique accueillant un Etat paria, sur l’hypothèse que le monde allait bousculer la Chine pour les décennies à venir et non que la Chine bousculerait le monde; tôt ou tard elle sera soumise à la « gravité » capitaliste. »
Bruce Cumings « Back to Basics ? The Recurrence of the same in Vivek Chibber’s TPSC » in Journal of World-Systems Research, Vol.20, N°2, 2014.
« Pour résumer : TPSC fournit une critique circonstanciée, soutenue, intelligente et salutaire des Subaltern Studies. Son génie réside dans sa critique plutôt que dans la reconstruction. Le rationalisme de Chibber, qui se rapproche parfois beaucoup de la théorie du « choix rationnel », est avant tout un dissolvant ou un déflateur. Chibber a préparé le terrain et a utilement indiqué la valeur des outils analytiques marxistes. Mais, selon moi, il faudra un marxisme plus imprégné de sensibilités culturelles pour reconstruire une meilleure histoire du monde postcolonial.
Je voudrais finir sur quelques réflexions sur la provincialisation de l’Europe. Si les historiens postcoloniaux sont véritablement sérieux dans leur volonté de provincialiser l’Europe, ils devraient peut-être commencer par reconnaître que l’Europe est effectivement divisée en de nombreuses provinces- connues usuellement sous le nom d’États-nations- qui ont des histoires surprenamment diverses. Les histoires politiques, intellectuelles ou industrielles de l’Angleterre, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Allemagne, la Norvège et la Grèce ne sont en rien les mêmes. Les différences entre l’histoire du Portugal et de l’Angleterre peuvent être aussi grandes que celles entre l’histoire de la Chine et de la France. Et aucun de ces pays a une histoire qui soit identique à l’histoire du capitalisme, des Lumières ou de la démocratie. Nous devrions peut-être essayer de bannir le nom collectif sur-utilisé d’ « Europe » de nos vocabulaires pour quelque années et traiter cette vaste péninsule à l’extrémité ouest de l’Eurasie pour ce qu’elle est : une collection de provinces très diversifiée et non une totalité unifiée. Le dégonflage par Chibber de la théorie postcoloniale devrait nous aider à aller dans cette direction. »
William H. Sewell, Jr. « On Chibber’s TPSC » in Journal of World-Systems Research, Vol.20, N°2, 2014.
Critique de la théorie de la défense du bien-être
« L’intérêt universel des agents sociaux pour leur bien-être » érigé par Chibber en moteur de la lutte des classes n’a pas manqué de faire réagir. Eriksen remarque qu’avancer cette thèse ne suppose pas non plus nécessairement de faire allégeance à la théorie du choix rationnel et Mezzadra y voit les limites d’un matérialisme obtus
« Si il est important d’insister sur la pertinence universelle de la notion d’intérêt, l’appel à la théorie du choix rationnel n’est pas nécessaire pour l’établir. De surcroît, la version soft de la théorie du choix rationnel que Chibber adopte peut facilement glisser à la tautologie. Si chaque action ou chaque but poursuivi par un acteur peut être décrit comme rationnel, ce que l’on gagne en insistant sur la rationalité des acteurs n’est pas évident. Mais il est parfaitement possible d’accepter l’universalité des intérêts sans adopter la théorie du choix rationnel. Ainsi les intérêts d’un acteur peuvent être constitués par sa position dans la structure sociale tandis que dans le même temps, on peut se poser la question empirique de savoir si l’acteur est a) conscient de ses intérêts b) agit sur la base d’une intention de les maximiser ou de les satisfaire. En d’autres termes, les intérêts existent, mais c’est une question empirique de savoir si les acteurs en sont conscients ou si leurs actions sont motivés par ces intérêts. C’est le cas à la fois en Orient et en Occident. L’appel de Chibber à « la psychologie politique » de la théorie (soft) du choix rationnel est donc inutile. »
Stein Sundstøl Eriksen « Postcolonial Theory and the Specter of Capital » in Forum for Development Studies, Vol.42, N°3, 2015.
« On n’a pas besoin d’être un fan de Jacques Derrida pour savoir que Marx était hanté par les spectres. Parmi ceux-ci la forme marchandise joue un rôle important, et c’est de son caractère nébuleux et mystique que découle « l’objectivité fantomatique » qui prévaut dans la formation sociale capitaliste. C’est bien l’entrelacement même des valeurs d’échange et d’usage, c’est à dire de la chose « matérielle » et de la forme marchandise, dans la table ( le fameux exemple fourni par Marx) qui préfigure ce que j’ai appelé l’impossible pureté de la matérialité. La constante reproduction de ce spectre et d’autres ( avec l’économie politique et sociale de tromperie qui leur est connectée) en dépit de plusieurs décennies de critique « scientifique » de l’idéologie devrait nous rendre un peu plus prudent que Marx ne l’était ( et Marx était de fait très prudent) concernant la perspective d’une appréhension claire comme de l’eau de roche de la « matérialité ». C’est un point crucial, où l’accent mis par Chibber sur la continuité entre le marxisme et une version « idéalisée » des Lumières n’aide pas vraiment. Le matérialisme d’une certaine manière, doit continuer à se colleter les fantômes et peut-être qu’encore plus d’inflation conceptuelle sera nécessaire, si c’est pour forger de nouvelles armes théoriques pour les luttes de libération. Je doute sincèrement qu’un simple trait universel de la nature humaine, le seul besoin de base que Chibber présente comme sous-jacent « à l’histoire universelle de la lutte des classes » – c.a.d le simple besoin de bien être physique- fournira une base satisfaisante pour un tel matérialisme. « L’homme est ce qu’il mange » pourrait-on ajouter avec Feuerbach et nous voilà revenu au point de départ juvénile des élaborations de Marx. »
Sandro Mezzadra « Review Essay » in Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 2014
Enfin, Chatterjee et Chattopadhyaya ont beau jeu de souligner combien cette notion fait fi de bien des évidences…
« La motivation pour défendre le besoin universel de bien-être physique tel qu’il est décrit par Chibber est indépendant non seulement des cultures mais des modes de production, de formation de l’État, des structures de pouvoir, et de toutes les autres configurations historiques. Les esclaves, les serfs, les paysans, les ouvriers : on peut considérer que tout le monde défend ce besoin universel. Ainsi, si le bien-être physique est une motivation si universelle pourquoi les classes subalternes devraient-elles être les seuls à y aspirer; pourquoi les classes non productives ne sont-elles pas engagées dans la défense de leur besoin de bien-être ? Au bout du compte, la recherche du bien-être physique émanant de la nature humaine suggère une biopolitique universelle. Ou il alors il s’agit d’une politique zoologique, puisque les animaux sont connus pour poursuivre et défendre leur besoin de bien-être ? En bref, l’histoire universelle de la lutte des classes selon Chibber c’est l’universalisme matérialiste devenu incontrôlable. »
Partha Chatterjee « Debate: Marxism & the Legacy of Subaltern Studies » Historical Materialism NY 2013
« Avec quel sentiment de bien être physique les Xhosa fonctionnaient-ils ? Je mentionne cela pour suggérer précisément comment la notion de bien être physique est a-universelle. Si Chatterjee a déjà remarqué comment le bien être physique ne suppose pas de démarcation de classe et peut fonctionner tout autant pour le capitaliste que pour le travailleur, cette catégorie est aussi fondamentalement impénétrable. (…) Le terme de bien-être physique est extirpé de toute spécificité historique et reste bien éloigné du matérialisme dialectique dont se vante la tradition marxiste. C’est également une catégorie d’analyse qui fonctionne selon des a-priori, particulièrement dans la façon dont il aplatit le type d’inégalités que Chibber a reconnu ailleurs. En fait, Chibber semble bien conscient qu’un tel argument est basiquement contractualiste et tient de la sophistique libérale, puisque il situe cette analyse dans ce qu’il appelle les « libertés libérales », auxquelles aspire apparemment chaque travailleur de la planète. Si la marchandise était fondamentalement mystérieuse pour Marx, elles rendu instrumentale dans le livre de Chibber, puisqu’elle ne sert qu’à la satisfaction des « besoins humains de base ». »
Utathya Chattopadhyaya Intervention lors d’une table-ronde consacrée à TPSC, 2014
Défense de la validité des postcoloniaux
Dans un recension particulièrement élogieuse de TPSC ( « Capitalist Development, Structural Constraint and Human Agency in the Global South » ), Michael Schwartz va jusqu’à écrire que le livre condamnera les Subaltern Studies et la théorie postcoloniale à une postérité à la Eugen Dühring, c’est à dire de n’être plus connus que par la critique systématique qui a été faite de leur travaux ( cf l’Anti-Dühring de Engels). Il faut probablement considérer ce genre de proclamations prématurément triomphalistes au regard d’un certain arrière-plan institutionnel ( les postes à pourvoir à l’avenir dans les universités américaines), que Chibber ne fait d’ailleurs pas mine d’occulter, sans toutefois se faire trop d’illusions ( cf son interview a Jacobin reproduite sur ce site ). Quoi qu’il advienne effectivement, et pour en rester au plan théorique, nous donnons ici quelques uns des plaidoyers en faveur de la validité des études postcoloniales émis au fil des recensions de TPSC…
« Je pense que si les thèses de Chibber peuvent frapper des lecteurs « extérieurs » comme Zizek, Brenner ou Chomsky ( ndt: Lazarus fait ici allusion aux éloges présentes sur la 4eme de couverture de la version anglaise du livre) et passer pour une intervention explosive, à la fois vivifiante et nécessaire- une « bombe » comme la qualifie Ho-fung Hung dans son introduction au forum de discussion consacré au livre dans la revue Symposium- elles ne risquent pourtant pas d’impressionner ceux qui travaillent dans le champ des études postcoloniales, qui ont déjà été confrontés à ces arguments et ont, de fait, travaillé avec depuis un certain temps déjà. Mais il est probable que Chibber n’écrit pas pour les postcoloniaux; il écrit plutôt pour des lecteurs relativement peu familiarisés avec ce courant; et dans ces termes l’effet du livre- et peut-être même son intention stratégique- est de suggérer aux lecteurs extérieurs que l’ensemble du champ des études postcoloniales n’a aucune valeur et ne mérite pas qu’on s’y attarde. »
Neil Lazarus « On Postcolonial Theory and the Specter of Capital by Vivek Chibber » in Race&Class Vol. 57 n°3, 2016
« Chibber manque de se mélanger les pinceaux dans sa tentative de mettre en accusation la totalité de la théorie postcoloniale à travers l’exemple spécifique des Subaltern Studies. Son insistance sur les pièges que recèle l’idéalisation d’une bourgeoisie européenne transformée en précurseur de la démocratie et l’orientalisation d’une paysannerie indienne vue comme une communauté et une tradition subalterne étrangère à la logique occidentale, est en fait une analyse éminemment postcoloniale, rendue possible grâce aux pratiques postcoloniales. Les thèses sur une séparation hermétique entre l’Orient et l’Occident appartiennent à l’univers glauque et manichéen du colonialisme. Explorer « l’altérité » n’a de sens qu’à partir du présupposé d’une humanité commune. Chibber prouve en fait que la théorie postcoloniale est parfaitement à même de formuler ses propres débats, i-compris en employant des voix, qui telles que la sienne, prétendent se tenir à l’écart de cette même théorie postcoloniale. »
Axel Andersson « Obscuring Capitalism: Vivek Chibber’s Critique of Subaltern Studies » in Los Angeles Review of Books.
« Comme Chibber le sait bien, la théorie postcoloniale survivra non à cause de son unité mais justement à cause de sa désunion. Bien que ce champ d’étude doive beaucoup au subalternisme, il n’a pas de cadre espitémique ou institutionnel unifié par un seul paradigme. Les études postcoloniales ressemblent plus à ce que l’historien des sciences Peter Galison appelle une « zone d’échange », un espace d’entente provisoire qui permet la discussion et la collaboration entre chercheurs ayant des présupposés et des positions épistémologiques différentes. »
Matthew C Watson « The poverty of postcolonial theory ? » in Postcolonial Studies, Vol.16, N°2
« Cette tentative positiviste de couper l’herbe sous le pied de la théorie en mettant le doigt sur sa base empirique erronée s’appuie inévitablement sur le caricature et n’explique pas culturellement ou historiquement pourquoi la théorie postcoloniale a persisté dans le capitalisme tardif malgré ses supposées « erreurs ». De ce point de vue, des textes plus anciens sur les études postcoloniales de Arif Dirlik, Benita Parry et Harry Harootunian restent plus convaincants car ils ne se contentent pas simplement de montrer le caractère empiriquement incertain de certaines assertions d’un branche des études postcoloniales mais soulignent les conditions du capitalisme tardif et de l’après guerre froide dans lesquelles les études postcoloniales prospèrent et se reproduisent comme forme de savoir. Historiciser la théorie postcoloniale suppose un certain mode d’analyse textuelle immanente. L’argument de Chibber selon lequel il n’y a que chez les Subaltern Studies que l’on trouve quoi que ce soit de substantiel pour juger de la théorie postcoloniale en dit plus sur sa mauvaise volonté à se confronter aux thèses des sciences humaines théoriques que sur la véritable exemplarité du groupe.
(…)
Son approche laisse un grand nombre de phénomènes inexpliqués, phénomènes que les Subaltern Studies et la théorie postcoloniale ont légitimement raison de vouloir explorer. Cela inclurait le racisme colonial de la classe ouvrière métropolitaine et des colons, le rôle de la religion et de la culture dans l’action politique, la capacité de l’idéologie a faire agir les sujets contre les propres intérêts ou leurs intérêts de classe, la « genrisation » de la classe, et la façon dont « le bien-être physique » devient biopolitique, quand les besoins des uns sont opposés à l’existence d’autres. Dans la meilleure variante de théorie postcoloniale, explorer ces enjeux ne signifie pas abandonner en quoi que ce soit l’analyse de classe mais plutôt de tracer les interactions de la classe avec les autres facteurs dans le processus social de l’impérialisme, particulièrement les déplacements et les modes d’identification qui vont au-delà de la défense de ses intérêts ou des effets de la répression directe d’État. »
Travis Workman « The Perils of Comparison in Subaltern Studies and Its Critique » in
Cultural Critique, Vol. 94, 2016
« La théorie postcoloniale s’est développée dans le sillage et comme une réponse à la pulvérisation des programmes de libération du Tiers-monde, dans le cadre d’une apparente « fin de l’histoire » et d’un triomphe de l’emprise du capital. Au contraire aujourd’hui les chercheurs postcoloniaux sont témoins -et répondent à – d’une crise générale du capitalisme et de la ré-émergence correspondante de mouvements sociaux de libération partout dans le monde. De plus, les chercheurs des études postcoloniales sur la culture et la littérature développent des cadres d’analyse matérialistes qui se confrontent dialectiquement à la logique globalisante du capital et de sa relation aux réalités concrètes locales qu’il subsume et transforme.. »
Christopher Taylor « Postcolonial Studies and the Specter of Misplaced Polemics against Postcolonial Theory: A Review of the Chibber Debate » in Cambridge Journal of Postcolonial Literary Inquiry, N°5, vol.2, 2018.
Annexe 1 : A propos de la réception du livre en Inde
Si le livre est paru simultanément dans le monde anglo-saxon et en Inde ( chez le grand éditeur Navayana), il n’a donné lieu qu’à peu de controverses sur le Sous-continent. Achin Vanaik dans son introduction à The Debate on Postcolonial Theory and the Specter of Capital ( Verso), s’interroge ainsi : « Pourquoi les réponses dans la presse ont-elles été beaucoup moins nombreuses et la réception académique beaucoup plus calme en Inde que partout ailleurs, alors que, sur bien des points, le livre de Chibber est d’autant plus important pour les universitaires indiens vu la direction que les « études critiques » dans les sciences sociales indiennes sont en train de prendre en ce moment ? » Selon Vanaik, cela tient tout d’abord au fait que peu de personnes souhaitaient prendre la défense des Subaltern Studies, depuis que ces dernières, après leur exportation aux Etats Unis à la fin des années 80, ont été présentées comme une « révolution méthodologique » inégalée et ce, au mépris de toute la tradition historiographique indienne dont elles étaient issues. Mais Vanaik note également, sans, par contre, donner de véritables précisions, que le regain d’influence de la pensée post-coloniale en Inde sous le signe de « la modernité spécifique indienne » joue probablement également un rôle dans le peu d’intérêt porté aux thèses « universalistes » de Chibber. A propos de cette surprenante alliance supposée entre vague safran et théorie postcoloniale on peut se reporter à une interview
donnée à Joseph Confavreux par deux philosophes indiennes Dwivedi Divya et Mohan Shaj, dans laquelle on lit :
« La théorie postcoloniale est apparue sur la scène politique à la fin des années 1980 comme une solution (au) conflit entre les institutions modernes et l’ordre des castes. Certains événements ont contribué à établir une perspective postcoloniale permettant de justifier, notamment, les traditions misogynes et de désigner le féminisme ou la laïcité comme des concepts « eurocentriques ».(…)
Le nationalisme hindou et la théorie postcoloniale désirent tous deux la même chose, même si la théorie postcoloniale s’intéresse en priorité à la redécouverte de l’Inde qui existait juste avant la colonisation européenne, tandis que le nationalisme hindou se concentre sur une chronologie encore plus ancienne.
(…)
De nos jours, il n’y a plus de réelle distinction entre les deux, puisque le nationalisme hindou influence la théorie postcoloniale. Nous avons désormais des théories postcoloniales évoluant vers une « sanskritisation » de l’Inde, une « hindouisation » de l’Inde. On a ainsi pu voir un universitaire postcolonial écrire récemment dans un journal que la Constitution indienne devrait refléter le Dharma de la société indienne, un terme qui, à l’origine, signifiait « l’ordre cosmique » mais désigne plus largement les codes sociaux, leurs variations permises, et les punitions pour les violations de ces codes ! »
La complaisance visiblement ignare du journaliste français et le flou inquiétant des propos des deux philosophes, à peine mâtiné d’un « name dropping » maladroit ( Shahid Amin est ainsi cité sans qu’on comprenne vraiment si il participe de cette, supposée, entente contre-nature entre les Subaltern Studies et l’extrême droite Hindoue) devraient toutefois appeler à une certaine prudence. Car, si la thèse existe depuis un certain temps déjà, elle a été avancée par Sumit Sarkar et Aijaz Ahmad ( voir la bibliographie chronologique sur ce site) dans les années 90, nous n’avons ainsi trouvé aucune occurence récente sur ce thème dans les archives de l’indispensable Economical and Political Weekly…
A propos de cette non-réception en Inde, il faut noter également que Chibber ne fait au bout du compte qu’appel à peu de références indiennes, i-compris dans le champ marxiste. Ainsi, comme le constate Michael Levien dans sa recension « Subaltern Scrutinized » parue dans l’European Journal of Sociology : « Chibber ne laisse aucun doute quant au fait qu’il considère que le capitalisme est devenu complètement dominant en Inde et pourtant il n’explique pas : a) le timing de ce développement b) les inégalités régionales qui l’ont accompagné c) à travers quels critères empiriques cela peut être établi. Il s’agit là justement des épineuses questions qui étaient au coeur de l’intense débat débuté dans les années 60 qui a duré deux décennies et est resté sans conclusion sur la question du « mode de production dans la campagne indienne, » débat que Chibber mentionne brièvement mais sur lequel il ne se penche pas. Quoiqu’on hésite à inciter à prolonger un livre déjà long et complexe, se confronter à la vaste littérature sur l’ « accumulation primitive » et la transition agraire semble indispensable pour répondre à la question de savoir ce que cela signifie pour le capitalisme de s’être établi dans une société largement rurale. »
Cela nous donne l’occasion d’annoncer la publication début octobre sur ce site d’un nouveau post : Le mode de production introuvable . Il s’agira justement d’un compte-rendu détaillé de ce débat marxiste indien sur la nature du mode de production dominant dans les campagnes, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
Annexe 2 : La théorie marxiste et le spectre du n’importe quoi
Une des critiques au fond les plus justes tant de Chibber que de Chakrabarty and co est faite, en passant, par Viren Murthy dans son article, par ailleurs très fouillé, « Looking for Resistance in All the Wrong Places? Chibber, Chakrabarty, and a Tale of Two Histories » paru dans Critical Historical Studies (et repris dans le livre de Verso) en 2015.
Murthy constate en effet : « Néanmoins, au bout du compte, ni Chibber ni Chakrabarty n’ont été capables de développer un point de vue qui aille au-delà du capitalisme. Si les ouvriers luttant pour leurs intérêts aident à modifier le capitalisme, une telle logique semble pleinement compatible avec la politique de la social-démocratie capitaliste. »
Si la critique de Murthy est bienvenue il faut remarquer que Vivek Chibber a clarifié ses positions politiques dans un texte paru en 2017 dans la revue trotskyste américaine Jacobin et intitulé en toute modestie « Our Road to Power ». Nous traduisons ici quelques extraits significatifs :
« Il est aisé d’en venir à la conclusion, comme le font de nos jours la plupart des progressistes, que la prochaine gauche doit rejeter le modèle léniniste de parti. Le problème avec ce point de vue c’est qu’aucun modèle n’a semblé nulle part approcher la même efficacité politique. Toutes les alternatives putatives provenant de la gauche depuis les années 60 – les organisations multi-tendances, les horizontalistes, les anarchistes et leurs groupes affinitaires, le mouvement des mouvements, etc- ont été capables de mobiliser un temps, mais ils n’ont pas réussi à maintenir des mouvements dans la durée et encore moins à obtenir des gains matériels. De fait, le modèle du parti de cadres a été si efficace que tous les grands partis de mobilisation du 20ème siècle l’ont répliqué, même à droite.
Compte tenu de cette histoire, il est difficile d’imaginer une façon pour la gauche de s’organiser sans une variante de la structure que les premiers socialistes ont découvert – un parti de cadres de masse avec un leadership centralisé et une cohérence interne.
(…)
Notre perspective stratégique doit minimiser la centralité de la rupture révolutionnaire et retrouver une approche plus gradualiste. Pour le futur proche, la stratégie de la gauche doit se concentrer sur la construction d’un mouvement pour faire pression sur l’État, gagner du pouvoir en son sein, changer la structure institutionnelle du capitalisme et éroder le pouvoir structurel du capital- plutôt que d’essayer de sauter cette étape. Cela suppose la combinaison d’une politique électorale et d’une politique de mobilisation sociale.
Vous construisez un parti basé sur la classe ouvrière, vous renforcez la capacité organisationnelle de la classe, vous affrontez les employeurs sur les lieux de travail et créez des cercles de pouvoir dans la société civile et vous utilisez ce pouvoir social pour faire avancer des reformes politiques en participant aux élections. Les réformes devraient avoir l’effet dual de rendre le travail organisationnel plus aisé dans le futur et aussi de réduire la capacité du capital à saper ces acquis dans le futur. Il y a beaucoup de noms pour une stratégie de ce type- des réformes non réformistes, des réformes révolutionnaires.
(…)
Vu l’héritage douteux de la planification centralisée, nous devrions sérieusement considérer qu’une économie post-capitaliste doit prendre la forme d’une sorte de socialisme de marché. Il y a beaucoup de modèle à gauche de ce type d’économie qui ont chacun des caractéristiques différentes. Ce qui est important c’est que quelle que soit la structure institutionnelle du socialisme de marché, les principes qui président à son organisation restent fidèles à ce à quoi aspirent les socialistes – placer les gens avant le profit. De façon plus précise, quelle que soit la forme définitive de ce modèle, il différera du capitalisme en ce que le marché sera entravé afin qu’il ne se comporte pas de façon arbitraire vis à vis des besoins de bien-être de base du peuple. Les décideurs économiques seront démocratiquement responsables, les inégalités économiques ne pourront pas se traduire en inégalités politiques. »
Si nous considérons que TPSC constitue indéniablement un apport important à la réflexion marxiste et au débat de celle-ci avec la théorie postcoloniale nous n’avons bien évidemment rien à voir avec les élucubrations actuelles de Mr Chibber. Ce léninisme déshydraté converti au socialisme de marché ( à la chinoise ?), n’est qu’une variante de plus de la décomposition d’un courant politique qui, si il a joué un rôle indéniable dans la préservation et la perpétuation de larges pans de la théorie marxiste, aura passé ces dernières années à se jeter à corps perdu dans toutes les chausses trapes possibles ( de chavisme en Syriza) et imaginables ( la Catalogne indépendante). Nous conseillons d’ailleurs à Mr Chibber, pour se guérir de ses fantasmes de parti de cadres et de centralisme démocratique, de relire, au pire le petit opuscule de Werner Sombart sur le sujet ( Pourquoi le socialisme n’existe-t-il pas aux Etats-Unis ?) et au mieux la vaste littérature sur la très belle tradition organisationnelle anti-autoritaire américaine ( les I.W.W bien sûr, mais pas seulement).