C’est ce à quoi invitent très modestement ces quelques exemples de mise en regard d’événements de l’année écoulée sur le Sous-continent et de différents articles parus dans les douze volumes de la série.
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Au tout début de l’année 2017, la cour suprême indienne a réaffirmé le caractère laïque de l’État en édictant qu’aucun candidat ne pouvait désormais se prévaloir d’une religion, d’une caste ou de ses origines pour favoriser son élection. Mais il s’agit probablement plus d’un vœu pieux qu’autre chose, un observateur ayant immédiatement noté que si ce principe s’appliquait, la grande majorité des députés du parlement seraient obligés de démissionner. D’ailleurs, quelques mois plus tard, le 20 juillet, la même presse internationale qui se félicitait de cette décision, a célébré l’accession à la présidence de Ram Nath Kovind, un intouchable. Il s’agissait là d’une manœuvre de Modi et du BJP pour séduire cet électorat dont ils ont absolument besoin pour se maintenir au pouvoir via une improbable coalition entre basses et hautes castes, supposément unies par l’hindouisme et une hostilité commune aux minorités et aux laïques. Plus précisément, selon Nilanjan Mukhopadhyay : « Les activistes nationalistes hindous ont mené campagne auprès des basses castes avec le message que les divers programmes de discrimination positive avaient bénéficié à d’autres castes un peu plus élevées dans le hiérarchie. Ce qui leur aurait assuré de nombreux votes parmi les castes les plus défavorisées. »
Mais, comme le rappelait Meena Kandasamy dans une interview au Monde, les Dalits (autre nom des intouchables) ne se font pas, pour beaucoup d’entre eux, d’illusions et si « La violence contre les basses castes et les intouchables a toujours existé, (…) ils ont désormais décidé d’y résister. Ceux qui se trouvent au-dessus en sont déstabilisés et répondent par la violence. »
Un exemple assez éclairant a été donné en avril, lors de l’anniversaire de la naissance de Bhim Rao Ambedkar, leader intouchable et père de la constitution indienne, quand des dalits ont voulu ériger une statue en son honneur à Shabbirpur, un village d’Uttar Pradesh, des affrontements avec des Thakurs ( haute caste) firent un mort, des dizaines de blessés et occasionna l’incendie de plusieurs maisons. De larges manifestations de protestation s’ensuivirent. Pour une très bonne synthèse au sujet des nombreux usages et conflits autour de ces statues d’Ambedkar, se reporter à l’article de Nicolas Jaoul Les statues d’Ambedkar en Inde. Répliques artisanales d’un monument et usages subalternes de l’officialité
Voir : L’article de Anupama Rao « Mort d’un Kotwal (leader de village). Préjudice et politique de la reconnaissance. » paru dans S.S. XII, porte justement sur l’assassinat, en 1991, d’un activiste dalit par des membres des hautes castes qui lui reprochaient d’avoir érigé une statue d’Ambedkar puis d’avoir enfreint l’interdiction d’accéder à leur temple. Sa reconstitution très précise des événements lui permet d’étudier tout autant les rapports sociaux à l’échelle du village que les effets plus généraux des politiques de discrimination positive et de protection juridique des basses castes.
Vijay Prashad « Liberté intouchable : une critique de l’État bourgeois-propriétaire (Bourgeois-Landlord state) Indien » ( in S.S. X) retrace l’histoire de lutte post-indépendance des dalits pour l’égalité et la trahison des élites indiennes.
Et
Partha Chatterjee dans « Caste et conscience subalterne « ( in S.S. VI) constatait le regain
d’instrumentalisation de la caste à la fin des années 80.
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La caste ne détermine toutefois pas tout en politique, ainsi, selon Milan Vaishnav, auteur de When Crime Pays : Money and Muscle in Indian politics, recensé par The Economist le 4 février 2017, « Les parlementaires qui ont été condamnés ou inculpés pour des crimes graves ont trois fois plus de chances que les autres de gagner des élections parlementaires. » 34% des membres du parlement, la Lok Sabha, ont été l’objet d’enquêtes criminelles, chiffre en augmentation. Parmi les diverses explications, notamment le déclin du Congrès qui a amené ses anciens alliés de la pègre à se présenter eux-mêmes aux élections, l’auteur évoque aussi le vote des pauvres : « Forcer l’État à remplir ses fonctions les plus basiques – construire une école, donner une subvention, repaver une route- est un métier qui suppose de cogner quelques têtes. Et ce parfois littéralement. Qui de plus adapté à la situation que quelqu’un qui « sait résoudre les problèmes » ? Si le système ne marche pas pour vous, un député violent peut être un bon allié. »
La version pakistanaise du « parti politique », coquille vide ballotée au grès des luttes de clans, et dénoncée récemment par le poète et essayiste Harris Khalique, illustre aussi cette criminalisation structurelle.
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Voir David Hardiman « La faction indienne : examen d’une théorie politique » in S.S. I
« La théorie de la grande faction indienne est supposée expliquer la mobilisation politique des classes subalternes par les élites. Tout ce qu’elle parvient à faire, c’est à mettre le doigt sur certains aspects de la collaboration de classe. Il y a collaboration de classe quand certains membres des classes subalternes croient qu’il est dans leur intérêt de collaborer avec les membres des classes dominantes. Et cela, à cause de liens économiques ou de caste et familiaux, qui supposent que les « frères » se tiennent les coudes. La collaboration de classe peut aussi être obtenue par l’intimidation- avec par exemple, l’homme de main du propriétaire qui menace de tabasser le paysan si celui-ci refuse son soutien politique. Le peu de stabilité qu’a connu la société indienne a, en grande partie, dépendu du déroulement de tels processus. »
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Sur le plan politique, ce qui continue surtout à faire l’actualité ce sont les diverses violences qui accompagnent la vague « safran ». Ainsi, il est difficile de faire le tri dans les nombreux articles portant sur les exactions des ‘gau raksha’, ces protecteurs des vaches qui s’en prennent un peu partout en Inde aux musulmans et aux intouchables ( signalons la synthèse proposée par Mathieu Ferry sur le site de la vie des idées). Notons toutefois la condamnation aussi tardive que cocasse ( « Gandhi n’approuverait pas ») de leur meilleur allié, Narendra Modi. D’autant que tout ce qui entoure l’animal sacré est aussi devenu un juteux business.
Pour une analyse sociale détaillée de la préhistoire de ces mouvements Voir : Gyan Pandey « Ralliement autour de la vache. Conflits sectaires dans la région de Bhojpuri 1888-1917 » S.S. II
Au-delà de la protection des vaches, l’influence des extrémistes hindous ne se dément pas avec la nomination en mars de Yogi Adityanath comme « chief minister » de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé du pays. Présenté comme un Yogi et un ascète, il est surtout connu pour être obnubilé par la haine des musulmans. Sa nomination a d’ailleurs aussi immédiatement été suivie du réveil de vieilles rumeurs ayant déjà fait beaucoup de dégâts en Inde mais aussi ailleurs, celle des conversions forcées au christianisme (lancées cette fois-ci par la brigade de la jeunesse hindoue fondée en 2002 par le même Yogi Adityanath) ou encore celles dirigées contre les étudiants africains dans le pays, accusés de trafic de drogue ou d’enlèvement, ce qui a mené d’ores et déjà à plusieurs agressions et lynchages. Mais l’extrémisme hindou ne s’attaque pas qu’aux autres religions et pousse aussi à la ré-invention autoritaire des traditions, ainsi l’État d’Assam qui veut imposer l’enseignement du sanskrit, les velléités de ré-écriture de l’histoire notamment celle des sciences ou la volonté de bannir toute référence ou promotion de monuments, tels le Taj Mahal ( là encore c’est Adityanah qui est à la manœuvre), construit par les musulmans à l’ère de la domination moghol.
Sur ces détournements de l’histoire et autres manipulations idéologiques, on peut se reporter à :
Partha Chatterjee « Réappropriation du passé : esquisse d’une généalogie de l’historiographie moderne au Bengale » in S.S VIII
Shahid Amin « Représenter le musulman. Hier et aujourd’hui. Aujourd’hui et hier » in S.S XII
et
Sudipta Kaviraj « L’institution imaginaire de l’Inde » in S.S VII
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Une des premières « victimes » du nouveau régime fut U. R. Ananthamurthy, un des monuments littéraires du pays, certes habitué aux scandales, mais qui avait du passé la dernière année de sa vie sous protection policière (alors qu’il était octogénaire!) pour avoir menacé de quitter le pays en cas de victoire de Narendra Modi. Petite vengeance posthume, son pamphlet « Hindutva or Hind Swaraj » paru en 2016, deux ans après sa mort, a été largement lu et commenté.
L’assassinat en septembre 2017, de la journaliste et écrivaine Gauri Lankesh, un nom de plus dans la longue liste des militants rationalistes tués par l’extrême droite hindoue, est venu rappeler que les écrivains se retrouvent effectivement souvent en première ligne dans les nombreuses luttes sociales et civiques du pays. Ainsi dans la même période c’est l’écrivain dalit Kancha Ilaiah qui a reçu des menaces de mort, à cause de son livre sur la caste Vysyas et de ses interventions contre les méthodes et privilèges de cette caste dont sont issus la plupart des dirigeants économiques et politiques du pays. Un autre auteur critique du système des castes, le tamoul Perumal Murugan, a lui aussi été victime de nombreuses attaques pour son livre « One Part Woman », il a du notamment, face aux protestations dans son village natal, s’engager à censurer son livre et à retirer de la vente les exemplaires non expurgés, avant qu’une cour de Delhi statut sur son droit d’écrire des livres critiques sur sa propre communauté.
Kancha Ilaih a écrit dans le numéro IX des Subaltern Studies « Travail productif, conscience et histoire : l’alternative Dalitbahujan »
On peut aussi lire avec profit la belle analyse de l’oeuvre du nouvelliste pakistanais Saadat Hasan Manto par Aamir R. Mufti « Un plus grand nouvelliste que Dieu : Genre littéraire, Genre et minorité dans l’Inde coloniale tardive » paru dans S.S. XI.
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Autre cible régulière des puritains, l’alcool et son statut sont toujours l’objet de nombreux débats et d’initiatives législatives en Inde. Ainsi en 2016, le Bihar a rejoint plusieurs autres États indiens en bannissant totalement l’alcool et début avril 2017, la cour suprême a confirmé sa décision d’interdire la vente d’alcool à moins de 500 mètres d’une route ou d’un autoroute national, cette interdiction s’étendant à toutes les types de commerces, boutiques comme restaurants. Or, rien qu’au Marahashtra, on estime que 16 000 des débits de boisson possédant une licence (sur une total de 26 000) sont à moins de 500 mètres d’une route nationale. Ce qui a naturellement provoqué une levée de boucliers, notamment des États pour qui les taxes sur l’alcool sont une source importante de revenus. Et les subterfuges ( déplacement de l’entrée du bar, mises à distance artificielles, requalifications des routes, etc..) se sont en conséquence multipliés.
Cet enjeu de l’alcool est traité dans deux articles passionnants de David Hardiman :
« De la coutume au crime : les politiques de la boisson dans le sud du Gujarat colonial. » in S.S. IV
« L’affirmation adivasi dans le sud du Gujarat : le mouvement Devi de 1922-1923 » in S.S III
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Aspect moins connu de la question religieuse en Inde, le rôle des sectes. « L’Inde en finira-t-elle avec son obsession pour les gourous ( « godmen ») ? » se demandaient des universitaires dans trois textes paru dans le quotidien The Hindu la 13 octobre dernier. Quoique divergents sur la nature et l’apport de ces gourous, les trois textes s’accordaient sur le constat que le phénomène était parti pour durer. Pour K.N. Panikkar, professeur à la JNU, la coexistence de la modernité avec l’obscurantisme et l’irrationalité est la marque distinctive de l’Inde d’après l’indépendance. D’autant plus que selon lui une grande partie de la clientèle des sectes provient d’une classe moyenne qui, vivant un fort désarroi culturel, est donc venu apporter un soutien financier et politique non négligeable à divers gourous. Il y a eu plusieurs exemples récents de cette influence des gourous et des sectes dans la vie politique et sociale indienne. Ainsi quand les représentants du Lingayatisme, un courant religieux assimilé à l’hindouisme mais régulièrement tenté de prendre son « indépendance », ont demandé à être déclaré comme religion à part début septembre, le monastère sacré de Siddanga et son vénérable chef âgé de 110 ans ont vu défiler tous les politiciens qui comptent, venus les dissuader d’aller au bout de leur projet. Il s’agit en effet d’un filon précieux puisque, quoiqu’opposé au système de caste et prônant la justice sociale, le mouvement a toujours fait voter en masse pour le BJP.
Plus dramatiquement, la condamnation en aout pour viol du gourou Gurmeet Ram Rahim Singh, leader de la secte Dera Sacha Sauda, qui prétend compter 60 millions d’adeptes dans le monde, a provoqué de graves émeutes qui ont fait 30 morts. Déjà en 2014 et 2016, des opérations de police pour déloger des membres de secte qui s’étaient retranchés dans leurs locaux s’étaient soldés par plusieurs morts.
La question de l’influence ambivalente des sectes et des gourous dans l’histoire indienne est traitée de façon détaillée dans trois textes, portant à chaque fois sur les classes moyennes:
La magistrale analyse d’un fait divers impliquant un gourou auto-proclamé, par Sumit Sarkar dans « L’avatar Kalkî de Bikrampur : un scandale villageois dans le Bengale du début du 20ème siècle. » in S.S VI
Partha Chatterjee « Une religion de la vie famille urbaine : Sri Ramakrishna et les classes moyennes de Calcutta » in S.S.VII
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Saurabh Dube « Mythe, symboles et communauté : le satnampanth au Chattisgarh », ibid.
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Autre persistance, les empoisonnements au pesticide des paysans, comme au Marahashtra au mois d’octobre, où « Un pesticide appelé “police” (sic!), destiné aux exploitations de canne à sucre, est notamment mis en cause après avoir été pulvérisé dans les champs de coton par des agriculteurs qui ne connaissaient pas son mode d’emploi. » Il aurait déjà fait plus de cinquante morts.
Selon un rapport du Centre pour les droits humains et la justice mondiale « du fait des réformes économiques, les producteurs indiens de coton ont été contraints à entrer en concurrence avec le marché international, ce qui les rend extrêmement vulnérables à la volatilité des prix. Au fur et à mesure que de nouvelles politiques économiques intégraient l’Inde au marché mondial, la dévaluation de la roupie qui en résultait a fait chuter les prix et a augmenté la demande des récoltes indiennes. Pour capitaliser cette source potentielle de revenus, le gouvernement indien a exhorté les agriculteurs à passer à la culture commerciale, et l’Inde a rapidement réaménagé son secteur agricole pour l’orienter l’exportation. Les cultures commerciales, telles que le coton, peuvent entraîner des gains à court terme, mais elles sont finalement soumises à une forte volatilité des prix. Le passage soudain de l’Inde à la culture commerciale a provoqué une saturation du marché mondial de coton et, à son tour, à une dépression des prix du coton pour ces paysans. » ( cité dans le panorama récent et en français de la crise agricole en Inde de Sushovan Dhar paru sur le site d’Inprecor)
Voir Shahid Amin « Petite production marchande paysanne et endettement rural : la culture de la canne à sucre dans l’est de l’Utra Pradesh 1880-1920 » S.S. I
On sait par ailleurs que les suicides au moyen des pesticides sont courant, selon les statistiques du Bureau national d’enregistrement des crimes, 318 528 paysans se sont suicidés entre 1995 et 2015. Pour l’anecdote, le parlement a finalement décidé, le 27 mai, de dépénaliser le suicide. Jusque là atteindre à ses jours était puni d’une amende et d’une peine de prison.
La situation actuelle a entrainé, notamment au Tamil Nadu, des protestations paysannes d’un genre nouveau, puisque des paysans endettés et menacés de famine par la sécheresse sont montés à Delhi avec les le crânes de leur proches s’étant suicidés faute de pouvoir rembourser leurs dettes.
A propos de cette lancinante question de l’endettement paysan voir Amin ( op.cit.) et David Hardiman « Les bhîls et les shahukars de l’est du Gujarat » in S.S. V
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Cette année 2017 aura été aussi témoin de deux avancées pour les droits des femmes en Inde, toujours mitigées toutefois par la montée de l’intolérance religieuse et sociale. .
Le 22 aout, la cour suprême a ainsi rendu illégale la répudiation par simple répétition du même mot ( talaq) de la femme par son mari musulman, interdiction qui était « un serpent de mer » politique et idéologique depuis l’affaire Shah Bano en 1985. De même, le 11 octobre, elle a décidé qu’un rapport sexuel avec une mineure, même mariée, était assimilable à un viol, ce qui devrait permettre de mettre fin aux mariages des enfants.
Dans le même temps, un certain nombre de faits divers sont venus rappeler que rien n’était gagné. Ainsi en aout, une enfant de 10 ans qui avait été violée par son oncle et à qui on avait interdit l’avortement, a donné naissance à une fille. De même, le scandale de la vidéo de la correction infligée à une jeune fille hindoue accusée d’avoir été vue dans un salon de thé avec un jeune musulman, par une dirigeante du BJP, Sangeeta Varshney, est venu illustrer la campagne menée par les extrémistes hindous contre ce qu’ils appellent le « jihad de l’amour ». Là encore, rumeurs et désinformations ( notamment des histoires d’enlèvements et de séquestrations) alimente un climat délétère qui s’est étendu à la communauté bouddhiste du pays.
Dans un autre registre, le pays se dirige depuis la fin 2016 vers l’interdiction des mères porteuses, ce qui était devenu une industrie depuis 2002, n’était pas régulé jusque là. Dans le même temps toutefois, c’est une autre politique de la reproduction qui émerge : « Trois mois de shuddhikaran (purification) pour les parents, des rapports intimes fixés en fonction de l’alignement des planètes, une abstinence totale après la conception du bébé et un régime alimentaire spécifique. Voilà ce que recommande Arogya Bharati, une organisation de santé proche des nationalistes hindous du RSS (Rashtriya Swayamsevak) aux femmes désireuses de donner naissance à un uttam santati, un “enfant sur mesure”. D’après ses responsables, cet ambitieux programme aurait été lancé dans l’État du Gujarat il y a plus de dix ans et aurait été étendu à l’ensemble du pays en 2015. Le projet compte aujourd’hui dix annexes dans le Gujarat et le Madhya Pradesh, et devrait bientôt ouvrir d’autres antennes dans l’Uttar Pradesh et le Bengale-Occidental.
“Notre premier objectif est de construire une samarth Barath (une Inde forte) grâce aux enfants sur mesure. Nous voulons des milliers de bébés d’ici 2020”, explique le Dr Karishma Mohandas Narwani, qui chapeaute le programme. » (« Inde L’art de faire des bébés sur mesure » in Courrier International 16/05/2017)
De nombreux articles des Subaltern Studies portent sur la question du féminisme en Inde. Les plus pertinents pour comprendre la situation actuelle , notamment dans ses aspects juridiques, sont :
Nivedita Menon « Incarner le moi : le féminisme, la violence sexuelle et la loi »
Flavia Agnes « Les femmes, le mariage et la subordination des droits » parus dans S.S XI
et
Susie Tharu et Tejaswini Niranjana « Problèmes de la théorie contemporaine du genre » paru dans S.S IX
Sur la question des « politiques reproductives » voir
Gayatri Chakravorty Spivak « Discussion : Une postface sur le nouveau subalterne » in S.S. XI
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Si l’on entend souvent parler de la diaspora indienne aux États-Unis, dont une partie est très mobilisée à la fois dans le soutien à Trump et à Modi, il en est d’autres au sort plus mitigé. Plus de 2 millions d’indiens avaient signé des contrats de dix ans pour aller travailler dans d’autres colonies européennes, selon diverses modalités de recrutement. Dans un article, commémorant le centenaire de la fin du système d’exportation du travail en servitude mis en place par les anglais, The Economist recense les fortunes diverses des descendants de ces déplacés et note qu’une « Une identité post-coloniale commune est en train d’émerger, combinant la fierté de l’essor économique de l’Inde, les traditions religieuses et culturelles- et de plus en plus la commémoration des luttes de leurs ancêtres pour s’établir. » Toutefois, dans des pays où les conflits ethniques sont fréquents et le terme « coolie » encore une insulte, les manœuvre de la Vishwa Hindu Parishad (Conseil Hindou Mondiale) qui travaille beaucoup à mobiliser les diasporas n’arrange pas toujours les choses. Surtout que dans certains pays, comme au Sri Lanka, les descendants des travailleurs déplacés , appelés Tamils des montagnes puisqu’ils travaillent dans les exploitations de thé des montagnes de l’intérieur du pays, ne bénéficient toujours pas des droits minimum ni même de la nationalité.
Voir :
Sudesh Mishra « La diaspora et l’art difficile de mourir » in S.S.X qui évoque « les expériences bouleversantes de transplantation et d’aliénation vécues par les travailleurs en servitude aux Fiji »
Kaushik Ghosh « Un marché pour l’aboriginalité : primitivisme et classification raciale dans le marché du travail en servitude de l’Inde Coloniale » in S.S.X qui trace très précisément la généalogie de la gestion raciale de la main d’oeuvre dans le « marché mondial aux coolies » qu’était le système de travail en servitude.
Satish Deshpande « Stratégies spatiales hégémoniques : l’espace de la nation et le communalisme hindou dans l’Inde du 20ème siècle » in S.S. XI, qui note justement : « Un aspect important de cet impact mutuel est la globalisation de l’Hindutva elle même, c’est à dire la globalisation de ses congrégations et de ses électeurs. L’émergence de ce qui peut être appelé l’Hindutva non-résidente ( particulièrement aux USA et en GB) fournit un exemple évident, qui illustre à la fois la transportabilité et l’immuabilité de son essence. Aujourd’hui, alors que le monde est témoin de plus en plus de ce type de négociations ( impliquant autant de collusions que de collisions) entre les faces locales et globalisées de l’ethnicité, l’impact définitif est trop complexe à prédire. » (P211)
Voir aussi, au sujet du Sri Lanka,
– Pradeep Jeganathan « Un place pour la violence : Anthropologie, politique et localisation de la pratique Sinhala de la masculinité » in SS XI
– Qadri Ismail « Constituer la nation, contester le nationalisme : les femmes du Tamil Nadu et le nationalisme séparatiste tamoul au Sri Lanka », ibid
– David Scott « La tolérance et les traditions historiques de la différence », ibid
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Et pour finir, un épisode qui aurait certainement inspiré Ranajit Guha, la révolte des femmes de chambre d’une luxueuse « gated community » d’une ville nouvelle Noida, qui s’apparente elle même à un ghetto de riches, a fait grand bruit au mois de juillet et a visiblement traumatisé ceux qui se croyaient jusque là à l’abri. Ainsi, Arun Kumar Singh, le chef de la police de Noida a expliqué au New york Times , « qu’il a été très surpris de la manière dont les propriétaires se sont retournés contre leurs employés après la révolte, les accusant fallacieusement d’être des immigrants illégaux en provenance du Bangladesh. « Je leur ai demandé, comment se fait il alors qu’ils aient été accueilli chez vous pendant tant d’années ? C’est comme ça », lui a-t-on répondu, « le jour où vous avez un différent avec votre frère, le jour où votre frère devient un repris de justice ( « history-sheeter »), un Naxalite, autrement avant cela c’est votre frère. »
Voir : Vivek Dhareshwar et R. Srivastan « « Perturbateurs fichés » ( « Rowdy-sheeters ») : un essai sur la subalternité et la politique » in S.S. IX
« La figure du « perturbateur » acquiert une élasticité sémantique et idéologique dans l’imaginaire de la classe moyenne en devenant l’objet de leur anxiété au sujet de ce qu’ils voient comme la criminalisation de la politique (‘goondaraj’) et la menace que celle-ci représente pour leurs précaires privilèges de classe. Cette description idéologique et sociale imprègne ensuite les discours quotidiens des idéologues de la classe moyenne, de la gauche à la gauche et droite libérales, qui évoque la « lumpénisation » de la politique comme une explication de tout ce qui les dérange dans la vie politique et sociale de la nation. »